Mélanger antibiotiques et biocides dans l’eau peut être risqué
Le chlore et le peroxyde d’hydrogène dégradent certains antibiotiques administrés dans l’eau. Cela pourrait expliquer des échecs thérapeutiques ou l’apparition d’antibiorésistance dans les élevages.
Le chlore et le peroxyde d’hydrogène dégradent certains antibiotiques administrés dans l’eau. Cela pourrait expliquer des échecs thérapeutiques ou l’apparition d’antibiorésistance dans les élevages.
L’eau d’abreuvement est fréquemment traitée par un biocide désinfectant pour améliorer sa qualité bactériologique. Cette eau peut également servir de vecteur de médicaments pour le traitement collectif des animaux. Or, la vérification de la compatibilité entre les biocides et les médicaments n’est pas exigée dans les dossiers d’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Une étude, pilotée par l’Anses-ANMV démontre que cette compatibilité est loin d’être acquise. Cette étude a testé la stabilité de sept antibiotiques administrés dans de l’eau de boisson traitée au peroxyde d’hydrogène ou à l’hypochlorite de sodium. Seules les deux spécialités de sulfamides étudiées se sont révélées stables quelles que soient les conditions testées (type d’eau, nature du biocide, concentration en substance active).
En revanche, cette étude montre que le peroxyde d’hydrogène a impacté la stabilité de deux spécialités d’amoxicilline testées en eau dure et d’une spécialité d’amoxicilline en eau douce (Tableau 1). Une perte moyenne de 12 % à 73 % a été observée entre 6 et 30 heures après dilution. Ces résultats confirment ceux qui avaient été trouvés dans l’étude précédente Antibi’eau (1) : l’amoxicilline est un antibiotique très sensible à l’action oxydante du peroxyde d’hydrogène. Cette étude révèle aussi qu’une spécialité a mieux résisté que l’autre à cette action oxydante. Il sera donc utile, à terme, que les laboratoires pharmaceutiques mènent des études complémentaires sur la stabilité de leurs spécialités vétérinaires dans différents types d’eau contenant différents biocides pour préconiser des recommandations d’usage et signaler des points de vigilance à adopter lors de la préparation des solutions médicamenteuses dans les élevages.
Attention aux fortes concentrations de chlore en eau dure
Cette étude montre également l’impact d’une très forte concentration de chlore sur huit spécialités vétérinaires à base d’amoxicilline, doxycycline, colistine et tiamuline. Cette dégradation a été obtenue dans les essais avec une eau basique et dure. En effet, pour obtenir 0,5 ppm de chlore actif, l’hypochlorite de sodium a dû être incorporé à un niveau trois fois plus élevé que dans une eau acide et douce. Or, l’ajout des antibiotiques dans l’eau a souvent provoqué une diminution du pH, ce qui a entraîné une augmentation de l’activité du chlore et donc une dégradation des antibiotiques. En élevage, ce problème ne devrait normalement pas se rencontrer : l’hypochlorite de sodium n’est pas la méthode choisie pour désinfecter des eaux basiques et dures, justement parce qu’il faut incorporer des doses beaucoup trop importantes pour obtenir un résultat satisfaisant. Néanmoins, quel que soit le type d'eau, une vigilance et des contrôles seront nécessaires pour vérifier le taux de chlore actif dans l’eau d’abreuvement : il peut notamment être élevé lors d’électrolyse de l’eau, d’acidification de l’eau ou d’erreur sur le taux de chlore incorporé.
En eau douce, la chloration n’a posé aucun problème sur les antibiotiques, sauf pour la colistine après dilution au vingtième : il y a eu une dégradation comprise entre 17 et 27 %. Ce résultat diffère des conclusions de l’étude Antibi’eau où aucune dégradation de colistine n’avait été notée. L’hypothèse pour expliquer cette différence serait que les spécialités étudiées ont été différentes entre les deux études et que certaines spécialités seraient plus résistantes que d’autres à l’action du chlore. C’est d’ailleurs le cas ici où une des spécialités de colistine a été un peu plus sensible au chlore que l’autre.
Un changement de la qualité de l’eau peut modifier la stabilité des antibiotiques
Enfin, un dernier test a été mené avec une eau de puits prélevée dans un élevage. L’objectif était d’étudier l’effet d’une eau très riche en fer (536 µg/L) et en manganèse (117 µg/L) sur la stabilité des antibiotiques mélangés avec un biocide. Ce test a été réalisé avec des spécialités à base d’amoxicilline, de tiamuline et de doxycycline diluées avec du peroxyde d’hydrogène. Les résultats obtenus convergent globalement avec ceux obtenus dans des eaux standards pour l’amoxicilline et la tiamuline mais pas pour la doxycycline. Sa stabilité a été significativement affectée par la présence de peroxyde d’hydrogène dans l’eau de puits alors qu’elle était préservée dans une eau standard. Cette étude montre donc que la stabilité des antibiotiques revêt un caractère multifactoriel : différents facteurs entraînant une modification physico-chimique et biologique de l’eau de boisson pourraient conduire à un effet sur la stabilité des substances actives. D’où l’importance de maîtriser la qualité de l’eau d’abreuvement lors d’administration de traitement par voie orale.
Les travaux conduits dans ce projet permettront aux autorités françaises de porter des recommandations dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne pour définir des mesures assurant l’utilisation efficace et sûre des antibiotiques administrés par voie orale en présence de biocides. Il s’agira de recommandations générales, car seules deux spécialités par substance active ont été étudiées dans cette étude : les résultats obtenus ne peuvent donc pas être extrapolés à toutes les spécialités contenant la même substance active.