Produire lors des fortes chaleurs
Avec les beaux jours, les fortes chaleurs sont de retour. L’occasion de partager trois réflexions pour changer de regard sur le stress thermique en élevage.
Le coût du stress thermique
Dès qu’ils souffrent de la chaleur, les ovins réduisent leur ingestion et leur métabolisme pour limiter la production de chaleur interne. Par conséquent, on observe une baisse de la production laitière, du taux butyreux du lait ainsi que du GMQ. Mais ce n’est que la partie émergée du stress thermique…
Des études montrent que les ruminants deviennent plus sensibles aux maladies infectieuses, notamment mammaires, ainsi qu’aux parasites. Lorsqu’ils maigrissent, leur foie se stéatose (par dépôt de graisses). La reproduction est altérée à plusieurs niveaux : les spermatozoïdes et les ovules baissent en qualité, la mortalité embryonnaire augmente et la croissance fœtale ralentit. En conséquence, les agneaux nés de mères stressées thermiquement sont plus légers et plus fragiles. Enfin, le stress thermique peut entraîner la mort, par exemple lorsque la température corporelle s’emballe lors des efforts de l’agnelage. Le coût sanitaire, zootechnique et financier du stress thermique est donc à envisager sans sa globalité à court et moyen terme.
Un stress thermique détecté trop tardivement
La température corporelle d’un ovin est supérieure à celle des humains de 2 °C. Par conséquent, lorsque nous sommes « juste bien », les moutons ont déjà chaud et sous-produisent…
Il est possible de détecter le stress thermique au bon moment grâce à trois niveaux d’alerte. D’abord, l’alerte météorologique est déclenchée lorsque : la température dépasse les 24-26 °C, quand les écarts de température sont brutaux, quand l’air est humide, sans un souffle, quand les rayons du soleil tapent directement sur les animaux ou, pour être pragmatique, quand il devient nécessaire d’enlever son pull-over pour travailler. On soupçonne alors un stress thermique que l’on confirme en observant si les animaux halètent. Un ovin adulte respire au même rythme que l’humain. Dès que sa fréquence respiratoire dépasse 60 mouvements par minute (plus d’une fois par seconde), son bien-être diminue et il sous-performe. Enfin, la température rectale permet de détecter un stress thermique avancé. Au-delà de 40 °C au repos, l’organisme est en train de perdre le contrôle de la régulation thermique. La mort risque de survenir entre 42 et 45 °C de température rectale, sauf si l’éleveur intervient en apportant de l’ombre, de l’air ou une douche.
Des systèmes d’élevage qui amplifient le stress thermique
Imaginez un animal dans son habitat naturel, ayant évolué pour se reproduire et mettre bas pendant les saisons tempérées et herbeuses, produisant un agneau ainsi que le lait nécessaire pour le nourrir, s’abritant sous les arbres et se couchant sur un sol frais dès qu’il a chaud, buvant rarement mais abondamment dans des ruisseaux, broutant la nuit lors de canicule. À présent, comparons à nos systèmes d’élevage… On constate que nous avons augmenté la productivité des ovins tout en limitant leur capacité de lutte contre le stress thermique. Pour envisager une production estivale, les élevages doivent adapter la composition et le rythme de distribution des rations, équiper les bâtiments d’élevage et les pâtures contre la chaleur et sélectionner des animaux résilients thermiquement.
Dans les années à venir, l’instabilité climatique et les canicules vont s’intensifier. Pour tirer leur épingle du jeu, les éleveurs auront besoin de prendre progressivement conscience des impacts réels du stress thermique, d’apprendre à le détecter précocement et d’élaborer un plan d’action pour limiter ses effets.
Réduire les effets du stress thermique par l’alimentation
Pour aider les animaux lorsque le thermomètre s’affole, voici quatre actions à effet immédiat pour améliorer la nutrition et la productivité des ovins.
1 Adapter les rythmes de distribution
Lorsqu’un mouton mange et digère, il produit de l’extra-chaleur, ce qui devient problématique quand la température ambiante est déjà trop élevée. Pour compenser ce problème, il utilise deux mécanismes comportementaux qui peuvent être reproduits dans l’élevage. Premièrement, fractionner la ration en plusieurs repas permet de diminuer l’ampleur des pics d’extra-chaleur. Il faut compter au minimum deux repas pour les animaux en production et en fin de gestation.
Deuxièmement, en modifiant les horaires de service des repas, on évite les heures chaudes de la journée. Les meilleurs moments sont lorsque le soleil disparaît à l’horizon (les ovins aiment manger en soirée et la nuit durant l’été) puis le matin, trois heures avant que les rayons du soleil n’atteignent la bergerie. Les bâtiments d’élevage équipés pour limiter la chaleur ressentie par les ovins pourront nourrir également en milieu de journée.
2 Densifier les rations sans basculer dans l’acidose
Les ovins réduisent leur ingestion et compensent en cherchant des aliments plus riches lorsqu’ils ont chaud. Mais attention, contrairement à ce qu’on peut entendre, ce n’est pas une invitation à sur-concentrer n’importe quelle ration ! On distingue trois cas de figure. Pour les rations basses ou sur les parcours naturels dont la qualité baisse avec la chaleur, on ajoute un complément équilibré en énergie et protéines. Pour la préparation à l’agnelage, on démarre progressivement la ration deux mois avant terme, car la chaleur limite l’efficacité alimentaire durant cette période critique. Sur des rations de lactation ou d’engraissement déjà poussées, on évite d’ajouter des céréales. On favorise la coque de soja, la pulpe de betterave, les matières grasses et le monopropylène glycol.
3 Jouer sur les compléments alimentaires
On ajoute un produit contenant du sodium (sel et bicarbonate), du potassium et du magnésium sous des formes alcalinisantes pour augmenter l’ingestion, la production laitière et le taux butyreux des brebis en lactation (ne pas distribuer avant agnelage). Ces éléments luttent contre les écarts acidobasiques du sang et du rumen et stimulent l’abreuvement. D’autres compléments sont également bénéfiques : des antioxydants pour limiter le stress cellulaire (un cocktail de vitamines A, E, C, zinc et sélénium), un hépatoprotecteur si les brebis maigrissent, et des levures vivantes Saccharomyces cerevisiae qui luttent contre l’acidose ruminale lactique.
4 Augmenter les capacités d’abreuvement
L’eau est l’ingrédient n° 1 des rations. Pourtant, l’abreuvement est encore un facteur limitant dans beaucoup d’élevages. On porte une attention particulière aux animaux productifs : leurs besoins hydriques s’élèvent dès le milieu de gestation, en lactation, en engraissement et, de manière générale, lorsqu’ils consomment des rations riches. En bâtiment l’été, on leur ajoute de grands bacs d’eau à niveau constant au centre des espaces de vie, avec des pierres de sel blanc à proximité.