Les espaces pastoraux, un bien commun à préserver
Face aux pressions immobilières, à la déprise agricole, au changement climatique, les acteurs qui régissent les espaces pastoraux agissent ensemble pour en faire valoir les atouts, les préserver, voire les développer.
Face aux pressions immobilières, à la déprise agricole, au changement climatique, les acteurs qui régissent les espaces pastoraux agissent ensemble pour en faire valoir les atouts, les préserver, voire les développer.
Le pastoralisme se pratique dans une vaste diversité de milieux. Les massifs montagneux, bien sûr, mais également des landes, des zones humides ou des marais salés de la côte ouest. Au total, ce sont 5,4 millions d’hectares de surfaces pastorales, dont 1,5 million d’estives, d’alpages et de parcours, qui sont valorisées chaque année par quelque 60 000 exploitations qui regroupent 22 % des élevages herbivores de France en 2020, selon l’Association française de pastoralisme. Les « rencontres pastorales » du Sommet de l’élevage ont abordé cette thématique sous différents angles.
Caractérisés par le pâturage extensif des espaces naturels, souvent en collectif, les atouts du pastoralisme sont bien connus. Le maintien des paysages ouverts façonne nos régions, attire les touristes, protège des incendies, entretient des zones à haut intérêt environnemental… Le pâturage des zones humides offre aux éleveurs un tampon aux sécheresses, tout en préservant la biodiversité particulière de ces milieux. Tout aussi connus sont les défis à relever, dont la déprise agricole, la disponibilité incertaine du foncier, la prédation et le changement climatique ne sont pas des moindres.
Redynamiser un territoire
C’est un enjeu paysager qui a amené vingt-six communes de la Vallée de la Bruche, dans le Bas-Rhin, à s’emparer il y a trente ans de la question du pastoralisme. Cette vallée, abandonnée des industries textiles dans les années 1950, avait été reboisée en monoculture d’épicéa après le départ des ouvriers paysans, au détriment de la biodiversité des zones humides cernant la rivière en fond de vallée. Fédérées en intercommunalité, elles ont placé l’élevage au cœur de leur projet d’aménagement du territoire. « Les objectifs du plan de paysage étaient, dès sa création en 1990, non seulement d’améliorer le cadre de vie des habitants en apportant de la lumière jusqu’au cœur des villages, mais également d’offrir de l’herbe et des espaces de pâturage aux troupeaux pour permettre l’installation d’éleveurs », retrace Charlotte Kourkgy, chargée de mission Natura 2000 sur la collectivité.
Trente ans après ses débuts, le plan d’aménagement porte ses fruits : les paysages sont transformés, les prairies reverdies et le nombre d’agriculteurs a doublé. « Les agriculteurs qui s’installent sont des jeunes » qui apportent de la diversité dans la mosaïque agricole du territoire, apprécie Hubert Herry, vice-président de la communauté de communes. « 80 % d’entre eux sont des éleveurs bovins, surtout en circuit court », complète Jean-Sébastien Laumond, chargé de mission référent sur les questions agropastorales. « La démarche de la collectivité a conforté leur installation en facilitant l’accès au foncier : en moyenne, chaque exploitation bénéficie d’environ 20 hectares de terre provenant d’une AFP et/ou de communaux. »
À l’image de la Vallée de la Bruche, les collectivités sont de plus en plus nombreuses à s’impliquer dans la gestion des espaces pastoraux, notamment via l’acquisition de terrains. Les antennes de la Safer et les structures locales peuvent les épauler pour saisir l’ensemble des enjeux agropastoraux, partager leur veille sur le foncier et accompagner les projets. La multiplicité des solutions trouvées n’a d’égale que celles des situations rencontrées.
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Des signaux politiques encourageants
Plus largement, le cadre européen de la PAC joue lui aussi un rôle dans la préservation du pastoralisme, via la répartition des aides. Les exploitations pastorales bénéficient, par exemple, du paiement redistributif sur les 52 premiers hectares, favorisant les actifs agricoles plutôt que la taille des exploitations. La prise en compte des surfaces d’estive dans l’écorégime est également un autre point du premier pilier favorable aux pratiques pastorales.
Dans le second pilier, l’ICHN vient naturellement soutenir les éleveurs installés en zone défavorables, ces mêmes zones qui se prêtent au pastoralisme, « mais elle mériterait d’être renforcée en reflétant l’augmentation des charges, afin de réellement compenser les écarts entre les zones », soutient Christine Valentin, éleveuse en Lozère et présidente du Sidam. Autre source d’écarts, la France a donné la main aux régions pour accompagner les investissements du second pilier, dans l’objectif est de permettre une meilleure adaptation des mesures telles que les Maec aux spécificités régionales. Néanmoins, « cette décentralisation a entraîné des disparités assez fortes selon les régions et leur dynamisme », regrette Christophe Léger, éleveur laitier haut-savoyard et président du Suaci Montagn’Alpes.
L’herbe pourrait être un point d’argumentation fort
Alors que s’entament les discussions autour de la prochaine PAC, les signaux politiques paraissent encourageants. « Après plusieurs années de sentiment anti-élevage à Bruxelles, le discours se rééquilibre au sein de la DG Agri et du nouveau Parlement européen, nous devons saisir cette opportunité », affirme Dominique Fayel, éleveur allaitant en Aveyron et président du groupe de travail Viande bovine des organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca). L’enjeu ne se limite cependant pas aux décisions de Bruxelles. « Les décisions prises au niveau communautaire restent génériques. La plupart des points de difficultés concernant le pastoralisme relèvent davantage du plan stratégique national (PSN) qui définit l’application de la PAC sur le territoire français », poursuit-il. Faire des surfaces pastorales un enjeu stratégique imposerait de rebattre les cartes de la répartition des aides, puisque l’enveloppe budgétaire nationale, elle, est fixée au niveau européen. L’herbe pourrait être un point d’argumentation fort en faveur de l’agriculture de montagne et du pastoralisme. « C’est l’alimentation de base de nos troupeaux, rappelle Christine Valentin. Nous devons faire reconnaître que les mesures qui viennent en soutien de l’élevage et des activités pastorales favorisent également l’herbe et la biodiversité, ainsi que les services écosystémiques associés. »
Définition
Le pastoralisme regroupe l’ensemble des activités d’élevage valorisant par un pâturage extensif les ressources fourragères spontanées des espaces naturels, pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux.
Le saviez-vous ?
Après une première reconnaissance de la transhumance, pratiquée par les bergers et les éleveurs, au patrimoine culturel immatériel de la France en juin 2020, l’Unesco a reconnu la transhumance comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en décembre 2023.