« Notre élevage laitier peut sortir un deuxième revenu avec la même structure »
Après avoir longtemps exploité seul, Sébastien Bonnevialle, en Haute-Loire, projette de s’associer avec son salarié. Si les résultats économiques sont déjà bons, l’exploitation a encore du potentiel pour l’intégrer.
Après avoir longtemps exploité seul, Sébastien Bonnevialle, en Haute-Loire, projette de s’associer avec son salarié. Si les résultats économiques sont déjà bons, l’exploitation a encore du potentiel pour l’intégrer.
Sébastien Bonnevialle avait juré qu’on ne l’y reprendrait pas. Éleveur à Monistrol-sur-Loire, il avait tenté de s’associer avec un hors cadre familial il y a deux ans. Mais l’expérience avait « brutalement » tourné court alors que « tout était lancé ». Un autre essai quelques temps plus tôt n’avait pas abouti non plus. Il exploite seul 81 hectares de SAU et produit un peu moins de 400 000 litres de lait avec un cheptel de 45 prim’Holstein. Malgré tout, quand Jordan Lioger s’est présenté au printemps 2020, en recherche d’emploi, il l’a embauché à mi-temps, puis à 80 % suite au décès accidentel de son père. Ils se connaissaient un peu.
Le courant est si bien passé entre les deux hommes qu’ils projettent de s’associer d’ici la fin de l’année. Un soulagement pour Sébastien Bonnevialle car la charge de travail devenait trop lourde. « Quand je n’y arrivais pas, j’appelais l’entreprise : épandage de fumier, labour, semis…, raconte-t-il. J’étais parti sur cette solution mais, finalement, ça prend un autre chemin. Ce n’est pas facile de travailler à deux quand on a longtemps été seul. Il faut tout remettre à plat, réapprendre à communiquer, mais c’est beaucoup plus intéressant et sécurisant de partager les responsabilités et le travail. »
Le cheptel contraint par le bâtiment
L’exploitation a le potentiel pour accueillir un associé et dégager le revenu nécessaire. Avec 300 000 litres de lait par UMO, la productivité du travail est d’un bon niveau pour un système de montagne. En 2020, elle a rémunéré la main-d’œuvre à hauteur de 3 Smic. Cette installation devrait permettre de mener les évolutions techniques qui se dessinent en élevage laitier : recherche d’autonomie protéique, diminution de l’impact environnemental…
L’exploitation produit plus de fourrages que le cheptel ne peut en consommer. L’éleveur dispose en permanence de huit mois d’avance de stock. À la fin de l’hiver, les silos couloirs de maïs et d’herbe étaient encore à moitié pleins et un silo taupinière de maïs de 2019 n’avait toujours pas été entamé. Cette avance permet de passer les sécheresses sans encombre mais n’incite pas à optimiser la pâture. Cette situation est le résultat d’une forte amélioration de la productivité des surfaces alors que le cheptel, contraint par le bâtiment, ne pouvait augmenter en proportion. De plus, les besoins ont diminué suite à l’arrêt d’un atelier de taurillons trop peu rentable.
Remise en valeur des terres
L’exploitation, située aux portes de l'agglomération, a été louée par les parents de l’éleveur en 1992 suite à l’expropriation d’une partie de leurs terres encore plus proches de la ville : elles étaient prises en étau entre la construction d’un lycée et l’extension de la zone industrielle. Il ne restait que 17 hectares de la ferme d’origine de la Souchonne, dont le nom a été conservé pour l’entité juridique (Gaec puis EARL). La nouvelle exploitation comptait 48 hectares.
Mais il a fallu tout remettre en valeur (labour, chaulage…) et construire une stabulation, d’abord avec aire paillée puis réaménagée avec des logettes. Prévoir 48 places alors qu’il n’y avait que 35 vaches était une bonne anticipation des évolutions. Mais la remise en état des terres a si bien marché que silos et granges ne désemplissent plus. Pourtant, l’assolement laisse déjà une large place aux céréales (17 ha), permettant à l’exploitation d’être autonome et parfois d’en vendre.
Réduire les surfaces en maïs ensilage (11 ha) et en ensilage d’herbe (26 ha) ? L’éleveur s’y résout difficilement. « J’ai tellement vu mon père s’arracher les cheveux pour nourrir le troupeau… Il était juste en surface et il faisait pas mal de lait… Toutes les semaines, il mesurait l’avancement du silo et comptait les bottes de foin pour être sûr de tenir jusqu’à la fin de l’hiver, se souvient-il. C’est encore ancré en moi, je crains toujours de ne pas avoir assez de stock. »
Réduire le maïs de quelques hectares
« Sébastien n’hésite pas à essayer des choses nouvelles. C’est un atout pour évoluer », assure Claude Roche, conseiller réseau bovin lait, à la chambre d’agriculture. Il participe à des essais regroupés dans le programme Descinn (Développement et étude de systèmes de culture innovants) porté par des chambres d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes. Ils ont pour but d’améliorer l’autonomie fourragère et protéique.
En 2021, l’assolement fourrager comprend 11 hectares de maïs et 53 hectares de surfaces en herbe, dont 7 hectares de prairies naturelles. Les sols sableux sont très sensibles à la sécheresse. Les surfaces ensilées sont à base de ray-grass hybride et trèfle violet. L’éleveur a introduit depuis quelques années des prairies de luzerne-dactyle (4 ha). La première coupe est ensilée.
En 2020, le rendement du maïs était correct (11 tMS/ha alors qu’il s’établissait en moyenne à 8 tMS/ha dans le département). « Pour assurer le rendement, je sème fin avril - début mai et je ne fais pas de ray-grass en précédent. » Il implante généralement des couverts hivernaux (seigle, radis). L’éleveur envisage néanmoins de réduire la surface de maïs de quelques hectares au profit de l’herbe car le coût est élevé pour un rendement somme toute moyen et irrégulier.
Triticale, blé et seigle semés en mélange
Dans le cadre de Descinn, il a implanté à l’automne dernier 2 hectares de méteil (30 kg/ha de pois et vesce, 120 kg/ha de triticale) dont une moitié sera ensilé et une moitié moissonnée afin d’évaluer les résultats dans les deux modes de récolte. Le but : réduire quelque peu les achats de protéine. Cette année, il innove également en matière de céréales. Sur les 17 hectares habituels, il n’y a que 2,5 hectares de blé pur. Tout le reste est un mélange de blé, seigle et triticale. Plusieurs objectifs à cette façon de faire : « En mélangeant plusieurs espèces, la production de paille devrait être meilleure. Cela permet aussi de réduire le sallissement de la culture. »
Le blé et le seigle ont été semés à 40 kg/ha et le triticale à 80 kg/ha. Les proportions sont un peu différentes sur une partie de la sole car elle sera récoltée et triée pour produire la semence de l’automne prochain directement mélangée. Le seigle et le blé ont été réduits (25 kg/ha chacun) au profit du triticale (125 kg/ha) pour « voir ce que ça donne. J’avais peur qu’il y ait trop de seigle, explique l’éleveur. Mais, l’an prochain, je réduirai peut-être le triticale et je mettrai autant de blé et moins de seigle ». Faire trier et produire la semence est une habitude ancienne de l’exploitation.
Baisser l’azote minéral
La fertilisation est assurée par le fumier (sur les maïs) et le lisier (sur les prairies) auxquels s’ajoute une fertilisation minérale azotée assez généreuse (93 unités par hectare en moyenne). L’exploitation achète 10 tonnes d’ammonitrate et 10 tonnes d’urée par an ainsi qu’un peu de 18/46 pour le maïs. Sébastien Bonnevialle en convient : « On pourrait certainement baisser l’azote. » Cela fera partie des réflexions qu’il mènera avec son futur associé et ses conseillers. « Il faudrait éviter de faire du systématique. En mettant par exemple davantage de légumineuses, on peut réduire les besoins en azote, suggère Claude Roche. Mais ses pratiques en matière d’azote sont dans la moyenne de ce que nous observons dans les exploitations du réseau. »
« Améliorer les mamelles et la vitesse de traite »
Avec un bâtiment limité à 48 places, Sébastien Bonnevialle n’a eu d’autre choix que d’optimiser la production par vache. Il vise 9 000 à 9 500 litres. Sa référence de livraison à Sodiaal est de 392 000 litres, mais le quota B dépasse les 16 %. Il ne cherche pas forcément à le produire. « Avec 3 500 litres de A en plus tous les ans, ça ne va pas vite », regrette-t-il. L’installation de son salarié devrait donner de l’oxygène à la production et faire baisser le quota B. Des taux très élevés (TB 45,8 et TP 35) lui permettent néanmoins d’obtenir un très bon prix du lait (373 € en 2020 pour 364 000 l de lait livrés).
« Nous avons beaucoup travaillé la génétique, le gabarit, la production, les taux… Aujourd’hui, nous axons davantage nos choix génétiques sur les mamelles, les membres et la largeur corporelle, sans dégrader les taux, le gabarit et les caractères fonctionnels. Nous faisons attention aussi à la vitesse de traite », détaille l’éleveur. Jordan se prend déjà au jeu de la génétique. C’est lui qui a fait le dernier plan d’accouplement, avec Vincent Brunel de Haute-Loire Conseil élevage. « Je n’aime pas utiliser beaucoup de taureaux et je préfère travailler avec des taureaux confirmés, précise le conseiller. Pour les taureaux génomiques, nous tenons compte des familles de vaches. »
Des doses sexées et davantage de croisement
Jusqu’à présent, n’ayant pas de difficulté à les alimenter, l’éleveur élevait toutes les génisses et les faisait vêler à 27-28 mois, faute de pouvoir les vendre. Cette année, il en a 21 à vêler. Mais il va, là aussi, changer son fusil d’épaule. « Je vais mettre dix à quinze doses sexées sur les meilleures vaches et croiser toutes les autres avec du Bleu Blanc Belge pour faire du veau gras. » Il en fait déjà deux ou trois par an pour un boucher, qui lui en prendrait bien plus. C’est une des pistes pour conforter l’installation de son futur associé : produire un veau gras par mois. Ils sont valorisés environ 800 euros pour un poids carcasse de 130 kg. Ils sont élevés au lait entier.
L’idée est aussi de saturer le bâtiment avec des vaches à la traite, d’en avoir 48 en permanence, ce qui nécessiterait d’en tenir une petite dizaine de plus. En se tenant à 15 ou 16 génisses, le bâtiment pourrait loger toutes les vaches. « Pour sortir deux revenus, il faut se donner un objectif de production de 220 000 litres par UMO. Mais il faut viser 500 000 litres pour faire 450 000 litres », anticipe Claude Roche. « Avec le bâtiment actuel, c’est faisable », estime Sébastien Bonnevialle. « Mais n’abandonnez pas complètement l’idée de l’agrandissement du bâtiment », ajoute le conseiller. Une étude économique va être réalisée prochainement avec Cerfrance. De grandes décisions seront prises dans les prochains mois, qui promettent de donner un nouvel élan à la Souchonne, qui sera redevenue un Gaec.
Chiffres clés
En 2020
Du potentiel pour augmenter encore le lait
L’éleveur gagnerait à réduire un peu les stocks et à miser un peu plus sur le pâturage, facile à mettre en œuvre, suggèrent les conseillers.
Les vaches pâturent du 15 avril jusqu’au début de l’été, mais seulement en journée. Pendant toute la saison d’herbe, elles ont une demi-ration hivernale. Elles retournent en stabulation dès la fin août. La ration distribuée au bol cet hiver comprenait 8,75 kg MS/VL/j de maïs, 7,3 kg d’herbe, 1,7 kg de céréale, 2,2 kg de tourteau de soja 48, 200 g de CMV et 140 g d’un cocktail de substances tampons. Une complémentation est apportée à l’auge (en moyenne 1,3 kg de céréale et 1,1 kg de tourteau de colza). Les tourteaux sont achetés par l’intermédiaire d’un courtier. Le prix du soja est bloqué sur un an (340 €/t jusqu’en septembre prochain). Quatre fermes se partagent un camion de 44 tonnes à chaque livraison. Le tourteau de colza est négocié à chaque achat. Lors du dernier, il a été remplacé par des drèches de blé, plus intéressantes (305 €/t).
« Il y aurait possibilité de faire pâturer davantage les vaches en les faisant sortir la nuit, d’autant plus que le parcellaire est groupé autour de la stabulation », observe Vincent Brunel, de Haute-Loire Conseil élevage. L’excédent de stock à la sortie de l’hiver n’incite pas à optimiser le pâturage. « Vu le stock, il pourrait ensiler un peu plus tôt, ce qui permettrait de faire le même lait avec un peu moins de concentré ou ensiler en deux fois en récoltant plus tôt des prairies précoces pour jouer davantage la qualité et un peu plus tard des prairies plus tardives en visant plus de cellulose pour sécuriser la ration. L’éleveur a une bonne maîtrise technique au niveau des cultures et le niveau génétique du troupeau est élevé. Il y a du potentiel. Bien qu’il soit déjà à plus de 9 000 litres par vache, en optimisant quelques petites choses dans la conduite du troupeau, il y a moyen de faire un peu plus de lait. » Le conseiller voit notamment des marges de progrès sur la préparation au vêlage, l’alimentation des génisses et l’âge au premier vêlage. « Il vaudrait mieux les mettre un peu moins tôt à l’ensilage d’herbe et travailler avec une VL jusqu’à 5-6 mois plutôt qu’avec un mélange fermier pas assez sécurisé sur le plan métabolique. »
Avis d'expert : Claude Roche, chambre d’agriculture de Haute-Loire
« L’exploitation est à un moment charnière »