« Maïs épi, méteil et herbe, notre trio gagnant pour nos hautes productrices »
À l’EARL du Moulin Guérin dans l’Orne, les vaches produisent 11 000 kg de lait avec seulement 1,7 kg de correcteur azoté par vache par jour. Un système bien calé où le méteil tient une place centrale dans les rotations et la ration.
À l’EARL du Moulin Guérin dans l’Orne, les vaches produisent 11 000 kg de lait avec seulement 1,7 kg de correcteur azoté par vache par jour. Un système bien calé où le méteil tient une place centrale dans les rotations et la ration.
Le visage d’Anton Sidler, installé dans l’Orne, ne vous est peut-être pas tout à fait inconnu... Cet éleveur, originaire de Suisse, fait figure de pionnier en matière d’élevage laitier sur sols vivants et de recherche d’autonomie protéique. Nous avions déjà été à sa rencontre il y a près de dix ans et il nous avait alors exposé les fondements de son approche « pour devenir autonome, productif et rentable ». Sa philosophie, basée en premier lieu sur la fertilité des sols, rompt fondamentalement avec les stratégies classiques. Depuis, son expérience, comme celle d’autres réseaux (Base, Apad), a essaimé sur d’autres exploitations aux quatre coins de l’Hexagone.
Sur la ferme, du chemin a été parcouru en dix ans, avec entre autres, l’agrandissement de la stabulation pour produire 300 000 litres de lait supplémentaires, l’installation de deux robots de traite, ainsi qu’une unité de méthanisation et un séchoir à fourrages. « Ces deux derniers investissements ont apporté de la souplesse dans l’utilisation des fourrages, relève Anton. Les moins bons peuvent désormais être valorisés par la méthanisation, tandis que le séchoir permet de ramasser plus tôt une herbe de meilleure qualité, tout en prenant moins de risques avec les aléas de la météo. » La ligne conductrice de l’éleveur – produire un maximum de lait avec un minimum d’achat – reste inchangée, et les résultats sont toujours probants même si la part de céréales autoconsommées a augmenté dans la ration. Les 115 vaches du troupeau produisent aujourd’hui 11 000 kg de lait en moyenne technique avec très peu de correcteur azoté : 1,7 kg.
Au cœur du raisonnement d’Anton se trouve la fertilité du sol. « La vie du sol est la clé de la réussite, c’est un gage d’autonomie, martèle-t-il. Et pour obtenir un sol riche et vivant, il faut le nourrir et adopter des pratiques culturales qui limitent la perturbation de la vie biologique. » C’est pourquoi Anton a opté pour le semis direct sous couvert végétal depuis plus de vingt ans. Le fait de respecter la structure du sol, d’améliorer sa porosité et la teneur en humus contribuent à obtenir des rendements élevés. »
Autre principe de base dans sa quête d’autonomie : l’arrêt du maïs ensilage plante entière. « Le maïs ensilage est trop encombrant quand on souhaite intégrer des fourrages verts riches en protéines dans la ration, tels que les méteils ou ensilages d'herbe, souligne Anton. Le recours au maïs épi ou grain, plus concentrés en énergie et en amidon que l'ensilage plante entière, permet de limiter cet encombrement et d'équilibrer la ration, tout en nourrissant le sol avec les résidus de cannes. De plus, la digestibilité de la fibre de méteil est bien meilleure que celle de la tige et des feuilles de maïs. »
Deux types de méteils sont semés en automne
Le méteil occupe une place centrale dans le régime et dans les rotations diversifiées en permettant d’alterner culture de printemps et culture d’automne, sans que le sol soit jamais nu. Deux types de méteils d’hiver sont semés à part égale en automne, soit en semis direct, soit avec un petit déchaumage de 2 cm pour éviter le recours au glyphosate. Au semis, 15 m3 de digestat par hectare sont incorporés dans les deux premiers centimètres de sol avec du soufre mélangé à la semence (30 kg/ha, soit l’équivalent de 80 unités de SO3).
Au fil des années, Anton s’est attaché à trouver le meilleur compromis en valeur et volume pour composer ses méteils. Dans le contexte de sa ferme dotée d’un climat océanique, il sème un méteil mi-tardif riche en légumineuses (20 kg de vesce commune, 15 kg de vesce velue, 80 kg de féverole, 15 kg de pois, 5 kg de trèfle squarosum, et 15 kg d’avoine) qu’il ensile mi-mai. « Nous travaillons avec de l’avoine car c’est la graminée la plus tardive à l’épiaison et elle chute moins rapidement en valeur après épiaison par rapport au seigle », précise l’éleveur. Elle présente aussi une plus grosse tige qui sert de tuteur aux légumineuses. Dans le mélange, la part de vesce a tendance à augmenter. Le mélange coûte 96 €/ha et fournit 5 à 7 tMS/ha d’un fourrage entre 15 à 18 % de MAT selon les années.
« Je récolte au stade début floraison de la vesce, c’est elle qui fait le volume », indique Anton en précisant que ce méteil riche en légumineuses offre plus de potentiel de rendement et se montre plus stable en valeurs que l’autre méteil hyper-précoce qu’il récolte environ trois semaines plus tôt (deuxième quinzaine d’avril). Ce mélange comporte 80 kg de triticale (précoce et feuillu), 40 kg de seigle, 5 kg de trèfle de Micheli, et 15 kg de vesce très précoce par hectare. « On trouve désormais des variétés très précoces de vesces velues, comme Villana, qui favorisent un bon rendement. » Ce méteil produit 5-6 tMS/ha entre 12 et 17 % de MAT. Les exploitants récupèrent de la semence fermière de céréales sur 2 ha de méteil grain, ce qui ramène le coût de semence de ce méteil à 52 €/ha, frais de triage et de traitement inclus. « Sans traitement insecticide, les levées sont nettement moins régulières. »
Le maïs épi est un concentré d’énergie
Derrière ce méteil, il choisit des indices 240-260 pour les maïs qu'il récolte en épi dans les parcelles semées le plus tôt. Il s’agit de maïs dentés qui murissent plus vite et dotés de tiges moins hautes. Le timing est serré après l’ensilage du méteil réalisé par la Cuma. L’entreprise épand le digestat (40 m3/ha) et les éleveurs se chargent de l'incorporer au sol par un déchaumage très peu profond (2-3 cm). Le semis du maïs se fait au strip-till en intégrant 40 UN d’azote liquide sous la ligne de semis à 15 cm, le surlendemain. « On sème 20 à 25 hectares par jour, poursuit Anton. Avant, je traitais systématiquement repousses d’avoine et paturin au glyphosate (0,5 l/ha) après passage du strip-till. J’ai arrêté mais cela coûte plus cher et prend plus de temps de passer le déchaumeur. » Un désherbage de prélevée est effectué, ainsi qu’un traitement de post-levée à 5-6 feuilles, plus un apport d’oligoéléments à 8-10 feuilles pour prévenir les maladies des feuilles et les attaques de ravageurs (pyrale).
L’EARL récolte 40 hectares de maïs épi chaque année, entre le 1er et le 15 octobre avec une ensileuse spécialement équipée d’un bec cueilleur et d’une grille adaptée pour un broyage total de l’épi. Stocké dans un silo de 6 m de large, le maïs épi affiche un rendement moyen de 9 à 10 tMS/ha, et les cannes sont restituées au sol. Avec les racines, cela représente 15 tMS/ha. Anton aime à dire qu’il a « un rôle triplement nourrisseur : envers le sol d’abord, les vaches ensuite et les hommes enfin ! ».
Après le maïs, si le terrain est sec et les conditions bonnes, les éleveurs sèment le méteil ou le blé avec un semoir à semis direct à disques (en copropriété à cinq). Et si jamais les conditions sont moins optimales ou qu’il y a trop de cannes, le semis s’effectue à la volée avec un semoir Horsch Sem'Exact doté d’une fraise rotative qui travaille légèrement le sol.
Les céréales sont traitées à l’urée pour augmenter la MAT
Et les vaches dans tout ça ? Elles reçoivent un régime diversifié et fibreux, comportant 20 % de cellulose brute, 15 % de MAT, 0,94 UFL et plus de 45 % de matière sèche. Dans la ration, la partie énergie est assurée par le maïs épi, qui atteint 1,08 UFL/kg MS.
Le traitement du blé avec un additif à base d’urée, d’oligoéléments et d’extraits végétaux (dont des tanins), permet d’augmenter sa teneur en MAT, la faisant passer de 11 à 16 %, pour 1,1 UFL. « La part de blé est importante, mais l’apport est sécurisé au niveau acidogène par le traitement qui augmente le pH et stabilise la conservation. »
La ration mélangée est distribuée une fois par jour et repoussée trois fois. Au robot, la complémentation s’élève en moyenne à 1,7 kg de correcteur 70/30 et 1,5 kg de blé traité (jusqu’à 3,5 kg de blé maximum pour les vaches à plus de 45 kg).
Le coût alimentaire a augmenté avec le passage au robot et approche aujourd’hui 2,84 euros par vache par jour. « Nous avons mis quatorze ans à être autonomes sur notre ferme », conclut Anton, qui estime qu’aujourd’hui, un agriculteur peut y arriver en quatre ans ! « Le bémol dans notre système, c’est que l’autonomie nécessite forcément de passer plus de temps pour cultiver et récolter des fourrages diversifiés. Mais cette stratégie a fait ses preuves et se montre bénéfique à la fois pour l’environnement et la santé des vaches. »
Les prairies sont cultivées
Pâturées ou fauchées, les prairies se composent de mélanges suisses productifs.
Même avec des hautes productrices au robot, les vaches sortent un peu au pâturage. Il s’avère plus limité qu’avant mais les éleveurs ont tenu à le maintenir pour ses bienfaits sur la santé des vaches (vitamine C, soleil) et des onglons « même si cela implique une transition alimentaire – voire deux en cas de sécheresse –, moins de régularité dans la production et une dépense énergétique supplémentaire ». Les vaches sortent du 15 mai à fin octobre, la première coupe étant systématiquement ensilée. Elles tournent sur 10 hectares découpés en paddocks de 80 ares. « Nous travaillons en fil avant fil arrière, en proposant 20 ares par jour, soit l’équivalent de 3 kg MS/VL/j qui se substituent à autant de méteil et d’ensilage d’herbe. » Les prairies pâturées sont des mélanges suisses (25 % de trèfle blanc, 5 % de trèfle violet, 25 % de RGA, 25 % de paturin des prés, 10 % de fétuque rouge, 10 % de fléole).
Les prairies temporaires destinées à la fauche se composent de trèfle violet, RGI, RGH, RGA, pâturin et trèfle blanc (en proportion équivalente en poids). Une partie comporte aussi de la luzerne associée à des graminées (25 ha). En fauche précoce, l’ensilage d’herbe produit 4 à 5 tMS/ha en première coupe, à 18 % de MAT. Les deuxième et troisième coupes (2-3 tMS/ha) sont récoltées en foin, puis séchées dans un petit séchoir sur sol ventilé, alimenté par la chaleur des méthaniseurs. Les big balls sont directement séchés par lot de 66, soit l'équivalent de 5 hectares. « Pour la récolte de la quatrième coupe, s'il y a peu de volume à l’automne, on utilise notre petite autochargeuse. »
Les prairies reçoivent 15 m3 de digestat par hectare à l’automne, plus 30 unités de soufre (15 €/ha). « Sans soufre, la légumineuse capte plus difficilement l’azote atmosphérique, avance Anton. En amenant une unité d’azote et une unité de soufre, on obtient l’effet de deux unités d’azote ! » Au printemps, après chaque coupe, un nouvel apport de 25 m3 est effectué, avec un engrais foliaire d'oligoéléments (12 €/ha) qui renforce le système immunitaire de la plante et l’aide à mieux résister aux maladies, selon l’éleveur.
Des vaches avec une bonne ingestion
« Je veux des vaches capables de bien valoriser la ration de base avec une bonne capacité d’ingestion, dépeint Anton Sidler. Ce sont plutôt des vaches avec du gabarit, des épaules larges et une cage thoracique bien développée pour favoriser la capacité respiratoire et un bon métabolisme général. » Pour y parvenir, il faut une génétique appropriée mais aussi une préparation des génisses dès leur plus jeune âge pour les habituer à consommer des fourragers grossiers riches en MAT. Une fois sevrées, elles reçoivent une ration sèche jusqu’à 6 mois avec du foin, de la paille et du concentré fermier à base de maïs grain et blé traité Aliplus. Puis, jusqu’à la préparation au vêlage (24 mois), elles reçoivent 3 kg de paille, 3 kg de foin, 2 kg d’ensilage d’herbe (dernière coupe), 1,5 kg de maïs grain traité à l'urée.