Les conditions pour réussir la modulation de dose
La modulation intraparcellaire consiste à apporter la bonne dose au bon endroit et au bon moment. Son recours ne doit pas revêtir un caractère systématique, car il dépend de plusieurs facteurs, dont la faisabilité technique et économique.
La modulation intraparcellaire consiste à apporter la bonne dose au bon endroit et au bon moment. Son recours ne doit pas revêtir un caractère systématique, car il dépend de plusieurs facteurs, dont la faisabilité technique et économique.
Moins de 10 % des exploitants français utilisent la modulation automatique, d’après l’observatoire des usages de l’agriculture numérique. Dans une enquête menée par cette structure auprès de neuf coopératives, 20 % des surfaces de leurs adhérents font l’objet d’un service de cartographie et seulement 4 % sont modulés. La fertilisation azotée sur céréales représente le premier usage. Pour cette application, les sources de données s’appuient essentiellement sur la couverture végétale à partir d’images aériennes ou de capteurs de biomasse embarqués. La modulation intraparcellaire demeure en revanche peu utilisée pour la fumure de fond et la dose de semis. Cette pratique présente pourtant le grand intérêt de remettre en scène les fondamentaux de l’agronomie. Elle incite en effet les exploitants à bien considérer l’ensemble sol, climat et plante. Elle renforce aussi l’approche technico-économique.
Le zonage intraparcellaire décisif
Deux grandes pratiques se rencontrent. Soit les intrants sont répartis de façon non uniforme dans la parcelle, mais la quantité totale est strictement la même qu’avec un apport en plein. Soit la modulation s’adapte en fonction de certains critères, tels que la fertilité du sol, le comportement génétique de la plante, le rendement… Dans ce cas, des économies d’intrants sont envisageables. Le recours à la modulation ne peut pas être systématique. Il dépend de la variabilité intraparcellaire, c’est-à-dire de la taille, de la forme et de l’organisation des différentes parties identifiées dans la parcelle. Si les zones sont petites et disséminées, la modulation n’est pas techniquement envisageable. En revanche, la présence de grandes parties bien définies s’avère favorable, car elle laisse le temps aux outils de réagir. Un épandeur d’engrais parcourt, par exemple, 20 mètres avant de passer de la dose 1 à la dose 2 et un pulvérisateur met quelques secondes pour changer de dosage. Notons par ailleurs que le remembrement des terres permet de fusionner les parcelles, mais ne participe en aucun cas à homogénéiser le sol. Son effet est plutôt inverse et met alors en exergue l’intérêt de moduler.
Des bénéfices importants à l’épandage d’engrais
« Le travail de modulation réalisé par un distributeur d’engrais à disques n’est jamais parfait, mais les bénéfices sont importants », précise Emmanuel Piron, responsable du plateau de recherche épandage à l’Irstea (1) de Montoldre dans l’Allier. Avec les appareils centrifuges, l’engrais s’applique en effet comme la peinture et son apport nécessite des recroisements transversaux et longitudinaux. Ces recouvrements dépendent de la qualité des réglages et des perturbations extérieures, telles que le vent, le relief et la forme des parcelles. La qualité balistique du fertilisant impacte aussi le résultat et n’est pas toujours prise en compte par les agriculteurs. « Le système de gestion automatique des sections équipant les distributeurs d’engrais n’est pas comparable au dispositif de coupure franche de tronçons des pulvérisateurs », indique Emmanuel Piron. Pour moduler, le choix d’un épandeur pourvu d’un dispositif de coupure de sections à gestion indépendante gauche et droite est à privilégier. Les tests réalisés par l’Irstea montrent que l’écart entre la dose réellement appliquée et la valeur cible est, sur l’ensemble des zones de la parcelle, plus faible qu’avec un système agissant sur les deux disques simultanément. L’effet positif est encore accentué dans les parcelles en pointe. Avec les épandeurs à fumier, le constat est bien différent. Emmanuel Piron reconnaît, certes, que la modulation est techniquement facile. Il remarque en revanche que la maîtrise de la dose d’éléments fertilisants est actuellement illusoire. Le fumier reste un produit très hétérogène, qui ne permet pas d’obtenir une parfaite répétabilité de la nappe d’épandage. La modulation peut davantage s’envisager avec le lisier, grâce aux capteurs embarqués analysant la valeur fertilisante et à l’utilisation d’outils d’épandage, tels que les rampes à pendillards ou les injecteurs. Elle se développe au semis avec l’apparition chez de plus en plus de constructeurs d’appareils à entraînement électrique des distributions.
(1) Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.
L’agriculture de précision sans investir
Pour se lancer dans l’agriculture de précision sans investir dans du matériel spécifique et coûteux, l’offre de services du groupement Cléo apparaît comme une des solutions. Cette structure, créée par des entrepreneurs de travaux agricoles du quart nord-ouest de la France, a démarré par la fertilisation modulée avec capteur de biomasse embarqué, telle que le Yara N-Sensor. Elle propose désormais de gérer la modulation à partir des cartes de préconisation fournies par les exploitants. Le catalogue de prestations s’avère assez complet avec, par exemple, la modulation pour le semis, l’épandage de lisier, les apports d’engrais de fond, les traitements fongicides et à la fertilisation azotée. Il comprend aussi l’élaboration de cartographies intraparcellaires pour le rendement et la qualité, grâce aux capteurs embarqués sur les automoteurs de récolte.
Des freins restent à lever
« La modulation intraparcellaire est accessible technologiquement, mais elle rencontre des difficultés à se développer. Le premier frein est celui de l’investissement. L’achat du matériel et le coût des prestations rattachées à l’agriculture de précision représentent des sommes conséquentes. La question de la rentabilité est souvent posée, mais nous estimons que cette pratique présente des intérêts financiers. Un autre frein est la maîtrise de l’outil informatique, très variable d’un exploitant à l’autre. La difficulté démarre pour certains dès le transfert de la carte de préconisation depuis la messagerie électronique vers la clé USB. Aussi, la navigation dans certaines consoles n’est pas toujours intuitive. Il faut alors consacrer du temps et se former pour être à l’aise. Restent les dysfonctionnements et les problèmes de compatibilité entre les machines. Ils sont fréquents et l’isobus ne résout pas tout. Les réponses des plateformes d’assistance en ligne manquent quelquefois de clarté, et les manipulations à réaliser sortent parfois du champ de compétences des exploitants. Comme les soucis peuvent provenir de la carte, du terminal, de la machine ou bien d’un défaut de câblage, les difficultés s’accentuent lorsque les fournisseurs se renvoient la responsabilité. Heureusement, les concessionnaires s’organisent en formant des référents. Ils ont d’ailleurs un grand rôle à jouer dans la réussite de la modulation, tout comme les chambres d’agriculture. »
De réels intérêts à moduler les engrais de fond
Exploitant à Mesnil-Martinsart dans la Somme, Frédéric Decaluwe module ses apports d’engrais depuis dix ans. « J’ai démarré cette pratique pour le troisième apport d’azote en embarquant en cabine la carte de préconisation Farmstar imprimée sur papier. Je me repérais visuellement dans la parcelle et modifiais la dose en agissant manuellement sur la console de l’épandeur », se souvient-il. L’agriculteur a ensuite investi dans un équipement GPS et dans un épandeur d’engrais intégrant la coupure de sections pour des applications plus précises. Il reconnaît avoir un peu galéré au début avec les défauts de compatibilité pour transférer les cartes sur la console en cabine. Ces soucis sont, selon lui, aujourd’hui résolus, car il suffit de préciser le type de matériel utilisé pour obtenir le bon format. « Il est difficile d’estimer les économies d’unités d’azote, mais j’apporte la bonne dose au bon endroit en fonction du potentiel du sol. » Frédéric Decaluwe s’est aussi engagé dans la modulation des engrais de fond, qu’il réalise depuis six ans, grâce à la prestation Be Api de la coopérative Unéal. La démarche consiste à améliorer la fertilité des sols en apportant du phosphore (P) et du potassium (K) dans des zones en déficit et de faire l’impasse dans d’autres. « Les gains sont réels en termes de volume de fertilisants acheté. De surcroît, le rendement progresse, comme je le constate via le capteur embarqué sur la moissonneuse-batteuse. Ainsi, au fil des récoltes, les différences de production s’amenuisent entre les zones des parcelles. »
La dose modifiée manuellement au semis
Pour caractériser l’hétérogénéité intraparcellaire, l’agriculteur a dû réaliser des analyses de terre, à raison d’une par hectare en moyenne. Les points de prélèvement ont été définis à partir de photos aériennes datant de l’après-guerre, sur lesquelles figure un parcellaire très morcelé. Le principe est de tenir compte de l’historique de chaque ancien champ. « La modulation d’engrais de fond s’avère la plus intéressante économiquement dans les parcelles très hétérogènes, généralement issues d’un aménagement foncier. » Les apports de P et K doivent être distincts et obligent alors à réaliser deux passages avec le distributeur d’engrais. « J’ai revu les dates d’intervention en décalant la fumure de fond en sortie hiver, afin de réaliser l’épandage au plus près des besoins de la culture et d’éviter les pertes. » Par ailleurs, Frédéric Decaluwe réalise la modulation intraparcellaire manuelle pour les semis de céréales en tenant compte du type de sol, afin de limiter le phénomène de verse, notamment en limon.
D. L.