L’Irlande développe sa stratégie à l’export hors Union européenne
La menace qui pèse sur le marché irlandais est double, entre les effets de la pandémie du coronavirus et ceux du Brexit. L’Irlande, pays exportateur, fait face en diversifiant ses marchés.
La menace qui pèse sur le marché irlandais est double, entre les effets de la pandémie du coronavirus et ceux du Brexit. L’Irlande, pays exportateur, fait face en diversifiant ses marchés.
Le secteur de la viande bovine irlandaise a connu des conditions de commercialisation difficiles en 2019, en raison de la concurrence accrue sur les prix et de la faible demande sur les principaux marchés. Sa production a décliné de 1,5 % en 2019, pour s’afficher à 624 000 tonnes. « La crise sanitaire engendrée par le coronavirus n’a pas arrangé la situation du pays. La renationalisation des marchés a en effet plus durement touché l’Irlande, grande exportatrice (90 % de sa production est exportée). Les abattages ont été fortement réduits (- 32 % pour les jeunes bovins, - 6 % pour les vaches sur les 27 premières semaines de 2020). L’Irlande a dû faire face à une forte réduction de la demande en restauration y compris en restauration rapide, au début du Covid-19 », explique Baptiste Buczinski de l’Institut de l’élevage.
« Au fur et à mesure que les mesures restrictives prises pour lutter contre le coronavirus ont été retirées, la demande s’est améliorée progressivement. Celle en GMS s’est un peu stabilisée et s’est vue compensée par l’augmentation de la demande au niveau de la restauration rapide », note Finnian O’Luasa de Bord Bia (agence de promotion de l’agriculture et de l’horticulture irlandaise). « Les abattages de bovins en Irlande ne cessent de progresser. Le déconfinement quasi-total du Royaume-Uni, avec la réouverture des restaurants début juillet, pourrait participer à fluidifier le marché », précise Baptiste Buczinski.
Baisse de la demande anglaise sous fond de Brexit
Les prix stagnent à un niveau bas. L’association des éleveurs irlandais (IFA – Irish Farmers’Association) annonçait une perte de prix de l’ordre de 200 euros tête par rapport aux tarifs d’avant Brexit ou d’avant Covid-19.
Les exportations nettes de viande bovine irlandaise (à l’exception des abats) ont totalisé 560 000 tonnes pour l’année 2019, pour une valeur de 2,1 milliards d’euros, soit une chute de près de 10 % par rapport à l’année précédente. Le Brexit commence à avoir des effets sur les échanges avec le Royaume-Uni. Sa demande modérée (- 11 % en volumes) s’est traduite par une diminution de 15 % de la valeur des exportations de bœufs vers ce dernier. Le Royaume-Uni représente désormais 47 % des exportations de bœufs irlandais, contre 52 % en 2018.
« L’Irlande se prépare depuis quelques années maintenant pour le Brexit. Le marché britannique restera un marché important pour le pays même post-Brexit, pour les produits alimentaires, c’est pourquoi les opérateurs irlandais continuent de travailler au renforcement de leurs relations avec les acheteurs britanniques », expose Finnian O’Luasa.
Diversifier son pool de clients
En parallèle, les exportateurs ont réagi à la faiblesse de la demande britannique en canalisant les exportations vers d’autres marchés, notamment d’Europe continentale. Les marchés de l’UE absorbent 45 % des exportations totales de bœufs irlandais. Tout un programme de diversification des marchés est en cours. Bord Bia a d’ailleurs ouvert 15 bureaux, que ce soit dans l’Union européenne (Allemagne, Espagne, Italie, France, Pays-Bas, Suède, Pologne), au Royaume-Uni ou encore en Asie ou en Afrique (Émirats arabes unis, Nigeria, États-Unis, Chine, Russie, Singapour, Japon). Les marchés internationaux sont ainsi en croissance (8 % des expéditions). En 2019, le plus important en volumes pour la viande bovine irlandaise a été les Philippines. Le marché affichant la plus forte croissance a été la Chine. Dans le même temps, les exportations de bœufs vers Hong Kong ont plus que triplé en valeur. Et le marché américain a continué de se développer fortement.
« Les éleveurs de bovins viande irlandais se sont activement mobilisés au cours de l’année dernière sur la question des prix de leur bétail. Ils s’inquiètent naturellement des possibles impacts négatifs du Brexit et de la crise du Covid-19 sur la demande en animaux. Cela a conduit le gouvernement à approuver un programme de soutien de 50 millions d’euros pour les engraisseurs de bovins viande touchés par la pandémie. Cette aide est distribuée par tête abattue, afin de couvrir les pertes de prix résultant de l’effondrement du marché dû au coronavirus, entre autres (Brexit) », explique Jérome Mounsey, attaché agricole à l’ambassade d’Irlande.
Le marché britannique restera un marché important même post-Brexit
De nouvelles habitudes alimentaires
Dans le but de mieux appréhender les habitudes de consommation dans différents pays, Bord Bia a lancé une vaste étude consistant à suivre les changements de comportement des consommateurs, au cours des restrictions du Covid-19 et qui perdurent. Ce travail donne une appréciation des habitudes qui resteront post-Covid en Irlande, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis et en France. Cette étude montre par exemple qu’en France, 18 % des adultes ont acheté de meilleurs morceaux pendant le confinement. Et la moitié de ces consommateurs comptent adopter ces nouvelles tendances d’achats dans leur quotidien. « La compréhension de ces changements sera essentielle pour que les entreprises puissent élaborer une réponse stratégique solide à la crise. Nous avons saisi les premiers indicateurs de changements dans les marchés clés et suivi cette évolution au moyen d’enquêtes comportementales à grande échelle », souligne Finnian O’Luasa de Bord Bia.
Avis d’expert - Baptiste Buczinski, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage
« Les négociations commerciales entre Royaume-Uni et Union européenne bloquées »
« Le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne le 31 janvier 2020 à minuit suite à la ratification de l’accord de retrait. Depuis, une période de transition s’est mise en place où le Royaume-Uni, devenu État tiers, continue de respecter l’intégralité de 'l’acquis de l’Union', sans pouvoir participer aux institutions, ni être associé aux processus décisionnels mais en ayant accès au marché intérieur et à l’Union douanière. La relation future entre l’UE et le Royaume-Uni doit encore être négociée. Pour arriver à un accord à la fin de la période de transition, les entités doivent s’accorder d’ici octobre pour une ratification effective avant la fin de l’année. Sans cet accord, des droits de douane équivalent à 30 % de la valeur de la viande bovine pourraient s’appliquer à compter de janvier 2021 et ainsi impacter fortement à court terme la filière irlandaise.
Du retard dans les négociations
Avec la pandémie, un retard conséquent a été pris. Mi-mai, le gouvernement britannique publiait sa version du projet d’accord de libre-échange avec l’UE, très loin de ce que proposaient de leur côté les instances européennes en mars dernier. Le Royaume-Uni demande un accès au marché libéralisé, sur le modèle d’un accord commercial de type Ceta. Le principal problème repose sur le fait de maintenir les mêmes normes de production pour accéder au marché européen. En parallèle, les Britanniques viennent de publier leur propre régime tarifaire, applicable au 1er janvier 2021. Il sera mis en pratique en cas d’absence d’accord effectif à la fin de la période de transition.
Si, sur la première moitié de l’année 2019, l’Irlande a anticipé un Brexit dur en diminuant sa production de bœufs au profit de celle de jeunes bovins, ce n’était plus vrai sur la seconde moitié de 2019. La tendance s’est inversée. Les éleveurs restent inquiets face au Brexit. »