« Les expéditeurs ont aussi un rôle de régulateur : le prix le plus juste pour tout le monde » Philippe Dupont, expéditeur exportateur d'endives dans les Hauts-de-France
FLD poursuit ses portraits d’expéditeur exportateur de fruits et légumes afin de faire découvrir ce métier souvent mal connu. Aujourd’hui, rencontre avec Philippe Dupont, spécialiste des endives mais aussi depuis quelque temps de la pomme de terre. Celui qui prône un dialogue permanent entre les différents maillons de la filière nous parle aussi de transmission, de ses plus grandes fiertés mais aussi de ses craintes pour l’avenir.
FLD poursuit ses portraits d’expéditeur exportateur de fruits et légumes afin de faire découvrir ce métier souvent mal connu. Aujourd’hui, rencontre avec Philippe Dupont, spécialiste des endives mais aussi depuis quelque temps de la pomme de terre. Celui qui prône un dialogue permanent entre les différents maillons de la filière nous parle aussi de transmission, de ses plus grandes fiertés mais aussi de ses craintes pour l’avenir.

Philippe Dupont est directeur général d’Endelis, entreprise d’expédition et d’exportation spécialisée dans l’endive, dans les Hauts-de-France. Lors d’une interview à FLD le 18 février, il a expliqué son métier, ses fiertés mais aussi ses plus craintes pour l’avenir du métier.
Alors que l’Aneefel, l’Association nationale des expéditeurs exportateurs de fruits et légumes, tiendra son assemblée générale les 20 et 21 mars prochains, FLD a pu échanger avec 6 expéditeurs exportateurs de fruits et légumes sur l’évolution de leur métier, les contraintes et les enjeux. Quel sera le métier d’expéditeur exportateur demain ? Chacun-e, avec son histoire, son profil et sa vision bien à lui/elle, s’est prêté au jeu des questions-réponses. Plongée dans ce métier encore mal connu avec ces 6 interviews dont la parution s’étalera sur les prochaines semaines sur le site Internet de FLD.
FLD : Qui est Philippe Dupont ? Qui est l’entreprise Endelis ?
Philippe Dupont : Endelis, basée à Épinoy dans le Pas-de-Calais près de Cambrai, est une entreprise d’expédition et d’exportation spécialisée dans l’endive et désormais la pomme de terre. J’ai créé Endelis il y a une vingtaine d’années sur la base d’une production familiale.
En effet, je suis né dans les endives. Et pour le commerce, j’ai appris le métier auprès d’un expéditeur des Hauts-de-France chez qui j’ai été acheteur-vendeur pendant deux-trois ans après mes études d’un cursus commercial.
Lorsque j’ai dû revenir à la production, j’ai voulu créer un bureau de vente dans le but de commercialiser ma production familiale. C’est à cette époque qu’il y a eu l’arrêt des cadrans. Les producteurs cherchaient comment vendre leurs endives, ils se sont tournés vers moi. De 2 000 tonnes d’endives de ma production, je me suis retrouvé à commercialiser 10-15 000 tonnes d’une dizaine de producteurs régionaux.
Nous faisons de la pure expédition, avec des contrats ou -plus fréquents à l’époque- des engagements oraux. Nos clients sont la GMS française et l’export, particulièrement vers l’Italie pour nos endives.
« Je suis né dans les endives et j’ai créé Endelis il y a 20 ans sur la base d’une production familiale. C’est à cette époque que se sont arrêtés les cadrans »
FLD : Quelles ont été les évolutions d’Endelis depuis sa création ?
Philippe Dupont : L’évolution du marché et de ma structure ont fait que j’ai eu besoin d’une marque. Je me suis donc fiancé à Perle du Nord il y a 10 ans tout pile et suis devenu un commissionnaire de la marque Perle du Nord.
De l’achat-revente, mon travail a évolué sur de la contractualisation avec la coopérative. Il s’agit d’un travail plus structuré avec les producteurs, avec un contrat de partenariat sur les volumes qui permet un apport régulier.
L’endive a cette spécificité d’être un produit très fragile et non stockable ; le prix est donc renégocié chaque semaine voire chaque jour. C’est un enjeu, ce qui rend indispensable notre métier.
FLD : Comment expliqueriez-vous le métier d’expéditeur à quelqu’un qui ne connaît rien à ce milieu ?
Philippe Dupont : Je suis le bras droit de l’amont et dans le même temps l’oreille attentive de la dernière mise en marché et des consommateurs. Je dois fédérer et faciliter le dialogue entre les différents maillons de la filière, des producteurs aux distributeurs, grossistes et détaillants, pour vendre mais aussi pour leur faire comprendre les contraintes des uns aux autres et vice versa.
Nous avons un rôle de régulateur, nous sommes notamment le juge de paix en ce qui concernent les prix. Aujourd’hui, l’objectif est d’obtenir le prix le plus juste pour tout le monde, un prix qui permette aux producteurs de vivre et de pérenniser leur production mais aussi un prix qui ne rebute pas le consommateur à l’achat. On parle souvent d’un rapport de force déséquilibré entre la production et la GMS avec un prix bas à tout prix. Mais l’enjeu n’est plus là.
Par exemple il y a deux ans, le marché manquait d’endives alors que la GMS voulait absolument du produit français, quitte à vendre trop cher les chicons qu’elle avait. Alors qu’on aurait pu vendre beaucoup plus cher, notre rôle a été de limiter les prix et de maintenir une pression promotionnelle forte toutes les 2-3 semaines en magasin afin de ne pas perdre les consommateurs. Un consommateur qui n’achète plus est difficile à récupérer. On a une vision beaucoup plus lointaine que le marché du moment.
« Je suis le bras droit de l’amont et dans le même temps l’oreille attentive de la dernière mise en marché et des consommateurs »
FLD : Quels autres rôles devez-vous aussi remplir dans ce métier d’expéditeur ? Quelles compétences faut-il ?
Philippe Dupont : Je suis aussi le promoteur des produits de terroir -la notion de terroir est très importante- envers mes clients, avec de la communication, du marketing et de la segmentation pour adapter l’offre au marché et donc toucher les consommateurs et dynamiser le rayon. J’ai des chefs de secteur (des salariés de Perle du Nord que je paye pour ce service) chargés des animations magasin et des remontées d’informations. Il s’agit de créer de la valeur dans le rayon.
Il faut donc maîtriser la production afin de répondre aux besoins des clients et des consommateurs. Pour le côté exportateur, c’est la même chose mais avec un besoin de compétences linguistique et de connaissances des marchés en plus.
« Il s’agit de créer de la valeur dans le rayon »
FLD : Quels sont les défis que vous devez affronter ?
Philippe Dupont : Être expéditeur c’est aussi accompagner et adapter la production face aux défis climatiques, commerciaux, sociaux… C’est ce qui définit mon métier : l’adaptation. C’est donc difficile de dire ce que sera demain et l’avenir du métier. Il faut être en veille permanente pour ne rien louper, en quête sur tous les fronts.
Pour cela je participe aux travaux et réunions interprofessionnels et/ou régionaux (Aneefel, Comité régional interprofessionnel des Hauts-de-France…) en relation avec tous les acteurs de la filière, afin de comprendre le marché demain.
Cela est essentiel. Petit exemple très pratico-pratique : le concurrent de l’endive au printemps sont les nouveaux produits de saison, qui viennent du Sud. Ce sont donc des informations de production et de marché que je n’ai pas. Or moi dans mon organisation, je dois demander aux producteurs de mettre en production ce que je pense vendre dans 4 ou 5 semaines [il faut 21 jours pour faire une endive]. Toutes les informations que les acteurs de la filière échangent dans le cadre d’Interfel sont donc d’une importance primordiale.
Oui, ce travail de veille, ça me prend pas mal de temps. Heureusement que chez Endelis je travaille avec des gens compétents ! Nous sommes 9 personnes, dédiées uniquement au commerce [la préparation de commande et le conditionnement se font chez les producteurs, une spécificité dans l’endive et la pomme de terre ; Perle du Nord est en charge du transport amont ; le transport d’expédition se fait en prestation de service].
« C’est difficile de dire ce que sera le métier demain. Il faut être en veille permanente pour ne rien louper »
FLD : Quelle est votre plus grande fierté dans ce métier ?
Philippe Dupont : L’évolution très positive de l’entreprise, puisque nous sommes passés d’un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros il y a 10-15 ans à sûrement 45 millions d’euros cette année.
Mais surtout, ma plus grande fierté : la transmission ! L’entreprise a de belles perspectives d’avenir : une de mes filles est entrée dans l’entreprise suite à une place à pourvoir sur un poste administratif. Finalement elle a évolué de manière très positive dans l’entreprise ce qui laisse à penser qu’elle prendra ma suite.
La transmission de l’entreprise semble assurée
FLD : Et votre plus grande crainte ?
Philippe Dupont : En revanche, la transmission en production est ma plus grande crainte. Les endiviers subissent énormément de contraintes sociales, économiques, réglementaires [phytosanitaires en particulier] et une évolution sociétale qui trahit un désaveu pour la production d’endives. Celle-ci est en baisse dans la région.
A l’inverse, on observe l’essor de la culture de pomme de terre, tirée par l’industrie mais qui profite aussi au frais. On ne peut pas ne pas faire de la pomme de terre un produit d’avenir. Depuis 7-8 ans, Endelis travaille donc la pomme de terre. Et je pense qu’à l’avenir, la pomme de terre sera un produit en croissance chez nous, alors que l’endive restera stable. Malgré une migration du sud vers le nord des productions sous l’effet du changement climatique, notre terroir et notre territoire restent particulièrement adaptés à l’endive et à la pomme de terre.
Nous avons aussi ajouté à notre catalogue les légumes régionaux (poireaux, choux, etc.) et depuis 6 ans l’iceberg l’été afin de répondre à un besoin de commercialiser cette production régionale estivale.
« La transmission en production est ma plus grande crainte »
FLD : Qu’est-ce qui change avec la pomme de terre ?
Philippe Dupont : C’est une culture totalement différente de l’endive, en termes de prix, d’investissements… Là où un atelier d’endives demande une vingtaine de salariés, la pomme de terre n’en demandera qu’un, car tout y est automatisé.
Le social est en train de devenir un vrai métier à part entière : les contraintes de management sont telles qu’il faut des gens formés et spécialisés pour manager. Les producteurs ne sont pas formés donc ils partent de l’endive vers d’autres productions plus automatisées comme la pomme de terre.
FLD : De quoi sera fait demain ?
Philippe Dupont : Demain ? Comme je vous le disais, c’est impossible à dire. Tout change tellement vite et dans des directions différentes que l’on n’attendait pas forcément. C’est pour cela que je prône un dialogue intra filière permanant.
« Tout change tellement vite… Je prône un dialogue intra filière permanent »