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« Le matin, nous aimons nous lever pour aller nous occuper de nos vaches, brebis et céréales »

Dans le Cantal, à 1 000 mètres d'altitude, le Gaec de la Chevade mêle production laitière, viande ovine et céréales. Conduite avec une grande rigueur, l'exploitation dégage de très bons résultats économiques. L’efficacité du travail est remarquable.

En septembre dernier, le Gaec de la Chevade, situé à Talizat dans le Cantal, a reçu des producteurs emmenés par le Comité interprofessionnel des fromages du Cantal (CIF, l’interprofession des AOP cantal et salers). « Le prix du lait nous a tous surpris », reconnaît Yann Bouchard, ingénieur réseau d’élevage à la chambre d’agriculture. En 2019, les deux associés, Xavier et Benoît Bonnet - ils sont cousins - ont vu leur lait payé 444 €/1 000 l. Certes, ils sont en AOP cantal et en lait cru. Mais leur lait est rémunéré 59 euros au-dessus du prix de base du lait AOP (385 €). Le Gaec livre son lait (425 000 l en 2019) au site de Sodiaal situé sur leur commune et dédié à la fabrication de cantal au lait cru. Il est produit avec un troupeau de 67 montbéliardes.

 

 
Les éleveurs prévoient de mécaniser la distribution du concentré, sans doute avec un Feed Car à auges individuelles plutôt qu’un DAC, vu que les vaches pâturent jour et nuit. © B. Griffoul
Les éleveurs prévoient de mécaniser la distribution du concentré, sans doute avec un Feed Car à auges individuelles plutôt qu’un DAC, vu que les vaches pâturent jour et nuit. © B. Griffoul

 

Mais les surprises ne s’arrêtent pas là. Le Gaec de la Chevade est aussi la plus grosse exploitation céréalière de la Planèze de Saint-Flour, avec ses 40 hectares de blé et d’orge cultivés à mille mètres d’altitude. Et, enfin, les deux cousins élèvent 380 brebis blanches du Massif central pour la production d’agneau label rouge Pays d’Oc. Un système atypique pour la région mais parfaitement cohérent, s’accordent à dire les deux associés et leur conseiller. Les brebis exploitent des coteaux séchants non mécanisables et repassent derrière les vaches et les repousses de céréales.

 

 
Le cheptel ovin est conduit en système intensif avec trois agnelages en deux ans. Une conduite très exigeante en main-d’œuvre. © B. Griffoul
Le cheptel ovin est conduit en système intensif avec trois agnelages en deux ans. Une conduite très exigeante en main-d’œuvre. © B. Griffoul

 

« À UGB équivalentes, aucune autre production ne pourrait sortir le même revenu sur ces surfaces », assure Xavier Bonnet. « La diversité de l’assolement permet de mieux passer les épisodes de sécheresse », complète Yann Bouchard. Quand la production fourragère est déficitaire, paille et céréales remplacent le foin dans l’alimentation des brebis. Ce qui permet de réserver le foin aux vaches et génisses.

« Ils ne se laissent pas le droit à l’erreur »

Ce système date pourtant de bien avant les sécheresses des dernières décennies. Le Gaec de la Chevade a été constitué en 1969 par trois frères - les parents des deux associés actuels et leur oncle - qui firent l’acquisition d’un grand domaine agricole tombé en décrépitude. La splendeur des anciennes maisons d’habitation et du bâtiment d’élevage, toujours occupé par les génisses, témoigne de ce qu’il fut. Domaine qu’ils agrandirent pour donner l’exploitation actuelle de 189 hectares.

Une structure très favorable, groupée et peu accidentée. Ils créèrent d’emblée les trois ateliers : vaches laitières, ovins et céréales. « Chacun était spécialisé dans une production », se souviennent Xavier et Benoît Bonnet, installés respectivement en 1998 et 2004. Eux-mêmes ont poursuivi dans cette voie : Xavier sur les moutons, les céréales et le matériel, Benoît sur le cheptel laitier. Les visiteurs du CIF ont dû être impressionnés aussi par l’efficacité de l’organisation du travail des deux associés et la rigueur avec laquelle ils conduisent leur exploitation. « Une rigueur quasi militaire - au bon sens du terme - et un amour sans égal du travail bien fait. Ils ne se laissent pas le droit à l’erreur », confirme Clément Rodier, de Cantal conseil élevage. Le prix du lait ne doit rien au hasard.

 

 
Les génisses (vêlage à 34 mois) sont logées à l’attache dans l’ancienne étable spacieuse (60 m de longueur, 9 m de largeur et un énorme stockage au-dessus), qui date de 1886. © B. Griffoul
Les génisses (vêlage à 34 mois) sont logées à l’attache dans l’ancienne étable spacieuse (60 m de longueur, 9 m de largeur et un énorme stockage au-dessus), qui date de 1886. © B. Griffoul

 

Les campagnols ont beau jeu de se réinstaller

Mais cette résilience du système et des deux éleveurs est mise à rude épreuve. Par les sécheresses récurrentes. Et peut-être plus encore par LA plaie du Massif central (et d’autres massifs montagneux) : le campagnol terrestre (ou rat taupier). En ce début d’hiver, le département s’apprêtait à vivre de fortes pullulations. « C’est le point noir », soulignent les deux associés. Ils effectuent beaucoup de traitement pour tenter de limiter les infestations. La bromadiolone étant désormais interdite, ils utilisent le phosphure de zinc (Ratron GW), disponible depuis quelques mois. Un produit qu’ils estiment assez efficace à condition d’intervenir inlassablement et précocement. « L’hiver, je ne fais que ça, explique Xavier Bonnet. Le problème, c’est que nous sommes seuls à le faire. » Les campagnols ont beau jeu de se réinstaller. Le produit est déposé manuellement avec une canne spéciale. « L’idéal est de le faire en période sèche. On passe la herse ébouseuse puis on traite les zones où apparaissent de nouvelles taupinières. » Le FMSE (Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental) prend en charge 75 % du prix du produit et une partie de la main-d’œuvre, ce qui couvre la quasi-totalité de l’achat du raticide.

Les brebis font le tampon entre foin et paille

Le labour est aussi un moyen efficace de lutte car il détruit les galeries. Les prairies temporaires à base de ray-grass italien et trèfle violet, implantées pour deux ans, sont beaucoup moins infestées. Mais le Gaec voit aujourd’hui sa surface labourable limitée par les contraintes environnementales. Toute la Planèze de Saint-Flour est en zone Natura 2000 qui interdit tout labour de prairie permanente. Le Gaec de la Chevade dispose de 70 hectares de terres labourables, sur lesquelles se succèdent deux ans de prairie temporaire et trois ans de céréales.

Les rendements sont assez aléatoires mais peuvent être très bons (de 50 à 100 q/ha) sur ces terres volcaniques fertiles mais peu profondes. Les sécheresses précoces sont fatales ou, parfois, la grêle, qui a détruit une partie de la récolte de l’été dernier alors qu’elle s’annonçait très bonne. Le Gaec a souscrit une assurance grêle (1 650 €/an). « Nous peinons à trouver des variétés adaptées à la montagne, qui aient à la fois un bon rendement en paille et un bon potentiel en grain et qui soient résistantes aux maladies, précise Xavier Bonnet. Nous utilisons beaucoup Ephoros, même si elle est assez sensible à la rouille jaune. »

Les ventes de céréales et paille s’adaptent au contexte de l’année. « Nous remplissons le bâtiment de stockage de foin et de paille. Quand il est plein, nous vendons le restant de paille », expliquent les deux associés. Il va sans dire que celle-ci trouve facilement preneur dans le voisinage. « Nous la vendons toujours au même prix : 65 €/t prise au champ. Nous ne cherchons pas à spéculer quand il y a pénurie. » Quant aux céréales, les cellules de stockage sont saturées pour les besoins des animaux et le reste est vendu à la récolte (de 85 à 250 tonnes selon les années).

« Nous ne croyons pas au maïs »

« Le système fourrager est relativement intensif mais sans maïs, poursuit Yann Bouchard. Les premières coupes, ici, sont centrales. Et les éleveurs les réussissent bien. » Les 25 à 30 hectares de ray-grass italien (diploïde) et trèfle violet sont ensilés. Le rendement est de l’ordre de 6 tonnes de matière sèche par hectare. « Le ray-grass pousse correctement dans nos climats froids et réagit bien à la fertilisation si on l’apporte au bon moment », apprécient les deux associés. Toutes les prairies fauchées reçoivent alternativement 30 m3/ha de lisier ou 12 t/ha de fumier. La surface ensilée est fertilisée avec du 3 x 15 soufré (200 kg/ha) et de l’azote (90-100 U/ha). Les apports sont réalisés en tenant compte des températures cumulées. Si le maïs ensilage se développe beaucoup dans leur zone, même à 1 000 mètres d’altitude, Xavier et Benoît Bonnet ne souhaitent pas l’introduire dans leur assolement. « Nous ne croyons pas au maïs. Nous faisons le même rendement avec le ray-grass. » De plus, le maïs aggraverait le déséquilibre énergie/protéine et serait moins facile à distribuer que l’ensilage d’herbe.

Lire aussi : Le Gaec de la Chevage stocke l'ensilage d'herbe en silo tour

Les deux éleveurs comptent beaucoup aussi sur les repousses après ensilage pour tenir l’obligation de 120 jours de pâturage qu’impose le cahier des charges de l’AOP cantal. Les vaches démarrent la saison d’herbe sur 25 hectares de prairies naturelles et passent dès la fin mai ou début juin sur des repousses de ray-grass. L’ensilage, stocké en silo tour, est réalisé en plusieurs fois, ce qui permet d’échelonner les repousses. Sauf accident climatique, ils n’ont pas de difficulté à assurer les 120 jours de pâturage au sens du cahier des charges (au minimum 70 % d’herbe pâturée dans la ration quotidienne). Du 1er mai à la mi-juillet, puis en septembre et octobre, les vaches sont uniquement à l’herbe.

« Que ce soit en ensilage ou au pâturage, les vaches ont toujours de la belle herbe à disposition, indique Clément Rodier. Comme ils sont très bien couverts en énergie grâce aux céréales autoconsommées et qu’ils ne cherchent pas la production à outrance mais un prix du lait élevé, ils expriment très bien les taux, d’autant plus qu’ils ont beaucoup sélectionné sur ces critères. » Taux et caractères fonctionnels guident toujours l’orientation génétique du troupeau. La moitié du cheptel est croisée avec des taureaux charolais et blanc bleu belge.

« Nous cherchons à avoir une cohérence économique »

 

La salle de traite épi 60° avec traite par l’arrière est équipée en deux fois six postes. © B. Griffoul
La salle de traite épi 60° avec traite par l’arrière est équipée en deux fois six postes. © B. Griffoul

« Nous ne cherchons pas forcément à produire notre référence [478 000 litres] mais à faire de la qualité et à avoir une cohérence économique par rapport à ce que nous produisons et aux quantités d’aliment permises par le cahier des charges [1 800 kg/VL/an] », résument les éleveurs. En 2019, année de sécheresse mais d’excellents fourrages, ils étaient à 1 724 kilos de concentrés et minéraux, soit 269 g/l dont 45 grammes compensaient le déficit fourrager lié à la sécheresse. Cet hiver, la ration comprenait 11 kg MS d’ensilage d’herbe, 5 kg de foin, 2,5 kg de blé, 2,5 kg de tourteau (70 % soja, 30 % colza) et 1 kg d’aliment VL aux plus fortes productrices. Le système fourrager est calé sur un chargement de 1 UGB/ha, cohérent avec le potentiel des surfaces. « Nous avons observé sur notre zone volcanique labourée, entre 2014 et 2018, qu’un chargement de 1 UGB/ha a permis d’être autonome et de tenir le coup même en année difficile », explique Yann Bouchard.

Le lait cru ajoute des contraintes supplémentaires qui ne sont pas « surpayées », estiment les éleveurs. Notamment en matière d’hygiène de traite. Au moindre incident, la prime de 20 €/1 000 l est supprimée pour un mois. Ainsi, suite à un récent épisode de staphylocoque, ils ont décidé préventivement de traire avec des gants et de désinfecter les faisceaux trayeurs après les vaches les plus à risque (lésion à un trayon, un peu élevées en cellules…). Ce qui concerne environ un tiers d’entre elles et rallonge d’autant la traite (1h30 pour 55 vaches).

La totalité du matériel en propriété

Conduite rigoureuse de l’exploitation, très bonne efficacité du travail… Pas étonnant que les résultats économiques soient exceptionnels. Cette efficacité passe aussi par du matériel performant (pesée sur épandeurs, autoguidage, GPS…) et toujours disponible pour pouvoir réaliser les travaux au moment optimum. Ce qui est peu compatible avec de la délégation ou du matériel en commun. La totalité du matériel est en propriété. Les importantes surfaces de cultures permettent de mieux l’amortir. Les négociations serrées et parfois l’achat direct à l’usine permettent de tirer les prix. L’entretien au plus près assure des prix de revente intéressants. Mais la charge de mécanisation reste élevée. Utiliser du matériel performant contribue aussi au plaisir du métier. « Le matin, j’aime bien me lever pour aller au travail », assure Benoît Bonnet, sur la même longueur d’onde que son cousin.

Chiffres clés

SAU 189 ha dont 32,5 ha de blé, 10 ha d’orge d’hiver, 28 ha de prairies temporaires et 118,5 ha de prairies permanentes
Cheptel 67 vaches montbéliardes et 385 brebis blanches du Massif central
Référence 478 000 litres
Chargement 1 UGB/ha
Main-d’œuvre 2,16 UMO dont 1,5 UMO pour l’atelier laitier et 0,16 UMO salariéImposante structure de 25 m de haut et de 6,10 m de diamètre, le silo tour date de 1978. © B. Griffoul

 

Avis d’expert : Yann Bouchard, ingénieur réseau d’élevage, chambre d’agriculture du Cantal

« Un revenu disponible exceptionnel »

 

Avis d’expert : Yann Bouchard, ingénieur réseau d’élevage, chambre d’agriculture du Cantal. © B. Griffoul
Avis d’expert : Yann Bouchard, ingénieur réseau d’élevage, chambre d’agriculture du Cantal. © B. Griffoul

 

« Le premier point fort de l’élevage se situe dans sa démarche de différenciation - l’AOP, le lait cru - et la grande rigueur avec laquelle elle est mise en œuvre. Dans le calcul du coût de production, la colonne des produits dépasse la colonne des charges, ce qui n’est pas toujours le cas, grâce au prix du lait et à la maîtrise du coût. Le travail constitue le deuxième point fort. Les deux associés se démarquent à la fois sur la quantité de travail, avec une productivité de la main-d’œuvre élevée en termes de litres de lait produits par UMO, et sur son efficacité, qui permet d’avoir une rémunération élevée. Troisième point fort : une très bonne maîtrise des charges. La charge de mécanisation est très élevée. Mais elle est le pendant de la productivité du travail. Le choix de produire des céréales permet de faire des économies sur le concentré mais génère aussi des charges de mécanisation. Nos simulations de marge brute montrent que les céréales sont intéressantes lorsqu’elles permettent d’économiser de l’aliment et de la paille, à condition de chiffrer leur intérêt sur la base de leur prix réel d’achat et non de leur prix de cession. Dans cette exploitation, on a la quantité, le prix et, en plus, on maîtrise tout le reste. On arrive ainsi à un revenu disponible exceptionnel. »

 

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