Le coronavirus replace l’agriculture en première ligne
L’irruption du coronavirus est venue rappeler l’importance de la dimension productive de l’agriculture, et de l’enjeu de la souveraineté alimentaire. Mais avec quelles conséquences pour le jour d’après ?
L’irruption du coronavirus est venue rappeler l’importance de la dimension productive de l’agriculture, et de l’enjeu de la souveraineté alimentaire. Mais avec quelles conséquences pour le jour d’après ?
À peine une semaine. Il aura fallu une poignée de jours à un virus pour subitement éclairer sous un nouvel angle la question agricole. Disparues (ou presque) les remises en cause de la chimie, de l’agriculture « intensive » et de l’élevage. À la place, ce sont des articles illustrés par des rayonnages vides de pâtes et de farine qui ont fait irruption dans les titres de la presse généraliste. « Y a-t-il un risque de pénurie alimentaire ? », se sont interrogés de nombreux journaux tout autour de la planète.
L’inquiétude a gagné la France, rapidement tempérée par des réponses rassurantes : non, le risque de manquer de produits de première nécessité n’est pas un scénario probable dans l’Hexagone. Les ruptures de stock dans les magasins ? Simple conséquence temporaire d’un vent de panique irrationnel chez certains consommateurs.
L’acte de production revalorisé
Ces craintes, pour infondées qu’elles soient en ce qui concerne la France, ont brutalement rappelé une simple réalité : l’abondance de l’offre alimentaire que connaît le pays depuis des décennies nécessite le bon fonctionnement d’une chaîne de production qui commence au champ pour finir sur les étals. Et que se nourrir était avant tout une nécessité vitale. « Nous sommes une génération qui n’a pas connu la faim et qui accepte difficilement la frustration, expliquait, début avril, l’expert Stéphane Linou(1) dans le quotidien Les Marchés. Nous sommes persuadés que l’alimentation est un acquis, et se nourrir est devenu un impensé. »
Mais l’électrochoc du coronavirus a focalisé l’attention sur l’acte de production, à commencer par le travail des agriculteurs. « Pour la première fois, cela m’a rassurée de voir un tracteur dans un champ », confiait ainsi une femme sur Twitter. L’anecdote n’est pas si anodine. Faire le lien entre l’activité dans les élevages ou dans les parcelles et des supermarchés bien achalandés n’allait plus de soi.
L’épidémie du Covid-19 a aussi remis en avant l’enjeu de la souveraineté alimentaire. Si les Français sont à l’abri d’une pénurie de farine et de pâtes, c’est en grande partie parce que la production tricolore de blé dépasse de loin la demande domestique, et que près de la moitié des pâtes consommées en France sont fabriquées sur le territoire national (et la quasi-totalité en ce qui concerne la farine).
Le poids croissant des importations
Certains tirent pourtant la sonnette d’alarme depuis plusieurs années sur la question de l’autonomie alimentaire de la France. En mai 2019, le sénateur Laurent Duplomb remettait un rapport alertant sur « le risque de disparition » de l’excédent commercial agricole français, « divisé par deux entre 2011 et 2017 en euros courants ». « Force est de constater que la France agricole perd de sa superbe, mettait en garde le sénateur le 5 mars lors d’un colloque au Sénat. Plus d’un jour et demi par semaine, les Français consomment exclusivement des produits importés, dont plus d’un quart ne correspond pas aux normes imposées à ce que nous produisons dans notre pays. »
L’avertissement résonne avec une intensité particulière à mesure que des tensions se font sentir dans la chaîne d’approvisionnement. Le grippage des flux internationaux soulève des inquiétudes pour le fonctionnement de certaines filières, qu’il s’agisse de l’importation de produits alimentaires, d’intrants ou de pièces détachées indispensables au bon fonctionnement des chaînes agroalimentaires.
« Déléguer notre alimentation est une folie »
La nervosité a gagné le sommet de l’État. « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie à d’autres est une folie », a déclaré le président Macron au cours de son allocution du 12 mars. Rapports et tribunes se sont accumulés au fil des ans pour souligner la dimension stratégique et géopolitique de l’agriculture, pointant souvent du doigt le délaissement dont ce secteur faisait l’objet. PAC détricotée, agriculture pénalisée dans les accords de libre-échange… Ces Cassandre ne semblaient jusqu’ici guère écoutées.
Des appels à "planifier" l'agriculture
Quelques jours de confinement ont suffi à radicalement modifier les postures. L’agriculture et l’alimentaire ont été immédiatement classés parmi les secteurs prioritaires non concernés par les restrictions. Et de nombreuses voix se sont élevées pour évoquer le caractère « stratégique » de l’agriculture. Même dans les familles politiques les plus libérales, celle-ci a subitement rejoint les activités à sanctuariser. « L’alimentation, la santé, la sécurité, la défense, qu’on a réduites à l’état de squelettes, ne peuvent pas être soumises au marché, ni à une doctrine budgétaire, lâchait ainsi Aurélien Pradié, secrétaire général des Républicains, dans un entretien au quotidien Libération le 30 mars. Dans ces domaines, on ne joue pas aux contrôleurs de gestion : ils sont 'hors limites' et doivent faire l’objet d’une stratégie nationale. » Et d’appeler à la « planification » dans ces domaines !
Seulement des mots ? À ce titre, les discussions autour de la nouvelle PAC, annoncée pour 2021, constitueront un test intéressant. Seule certitude, l’agriculture continuera de susciter des discussions passionnées. Mais quels seront désormais les termes du débat ?