L'arrêté ZNT met de l'huile sur les phytos
L’arrêté ZNT a paru. Loin d’apaiser les tensions, il a ravivé la polémique. Pour sortir de cette mauvaise spirale, pas sûr que les chartes d’engagement suffisent. En attendant, ces ZNT posent des questions pratiques au champ.
L’arrêté ZNT a paru. Loin d’apaiser les tensions, il a ravivé la polémique. Pour sortir de cette mauvaise spirale, pas sûr que les chartes d’engagement suffisent. En attendant, ces ZNT posent des questions pratiques au champ.
L’utilisation des produits phytosanitaires n’en finit pas d’alimenter la controverse. Que ce soit avec les arrêtés municipaux d’interdiction de pesticides, le débat sur le glyphosate, l’arrêté imposant des Zones non traitées (ZNT) ou la publication du bilan du plan Écophyto, les agriculteurs sont chaque fois montrés du doigt. Et dans les communes, sur le terrain, les altercations entre ruraux et agriculteurs se multiplient. La création d’observatoires départementaux de l’agribashing suffira-t-elle à apaiser la situation ? Peu probable.
Une décision qui ne satisfait personne
Sur la mise en place des ZNT, le gouvernement a redoublé de prudence : il a lancé une consultation publique et s’en est tenu à l’avis de l’Anses (à l’exception des 20 m pour les substances les plus dangereuses classées CMR1). Peine perdue, la décision ne satisfait personne : ni les associations environnementalistes, ni les agriculteurs. Ainsi, l’association Générations futures dénonce un « manque total d’ambition de ces textes qui ne changeront rien sur le terrain et ne protégeront nullement les riverains des zones d’utilisation de pesticides ». La fondation Nicolas Hulot demande au gouvernement de « revoir à la hausse de manière très importante les ZNT pour toutes les substances, et pas seulement les plus préoccupantes ». Pire, ces associations déplorent l'absence de prise en compte de la consultation publique lancée sur le sujet. Rarement une telle démarche n’avait suscité autant d’avis — plus de 53 000 contributions —, preuve de l’intérêt sucité par le sujet chez nos concitoyens. Même la FNEDT(1), qui fédère les prestataires de services en pulvérisation, réclame un bilan de ces consultations.
Aucune compensation prévue pour les agriculteurs
Au sein du monde agricole, les organisations syndicales sont vent debout. « Nous sommes dans l’incompréhension. Nous soutiendrons toutes les actions pour ramener les ZNT à zéro », résume Éric Thirouin, président de l’AGPB(2). La Coordination rurale dénonce des ZNT « injustifiées et par conséquent inacceptables et inapplicables ». La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs expriment « un légitime mécontentement » face à l’absence d’indemnités versées aux agriculteurs. La mesure est effectivement sans compensation financière. Pour les départements de grandes cultures, la perte de SAU oscillerait entre 1 000 et 6 000 hectares, avec des conséquences parfois très fortes sur les exploitations. Voix dissonante, la Confédération paysanne réclame une « vraie politique publique de sortie des pesticides. […] La meilleure manière de protéger la santé des paysans.nes et de la population en général est de permettre au monde agricole de s’en affranchir ».
Comment sortir de la confrontation, dans laquelle les agriculteurs sortent chaque fois perdants, et qui nuit à la perception de leur métier par les Français ? Pour Guillaume Dhérissard, directeur du centre de réflexion Sol & Civilisation, le sujet des ZNT n’est qu’un symptôme de plus : « Nous sommes au cœur de la crise. La chimie pose problème pour la biodiversité et la santé des gens. » Surtout quand la consommation des produits phytosanitaires augmente de 25 % en dix ans. « Le sujet va aller en grandissant dans les dix ans à venir et de plus en plus d’études vont montrer des risques avérés », prévient l’expert. D’ailleurs, le gouvernement vient d’annoncer pour 2020 le lancement d’une vaste étude, mobilisant 14 millions d’euros, pour permettre à l’Anses et à Santé publique France d’étudier les liens entre exposition aux produits phytosanitaires et santé.
Éviter les rapports de force et gérer à plusieurs un territoire
Pour Guillaume Dhérissard, « il faut faire le deuil de solutions simples qui ne marchent pas et repenser la gouvernance du vivant en construisant de nouveaux biens communs dans les territoires ». Les chartes d’engagement des utilisateurs, définies dans le décret du 27 décembre dernier, peuvent-elles être la solution ? « Elles permettent de mettre autour de la table les différents acteurs du monde rural et de se comprendre, explique Rick Vandererven, directeur adjoint de la DDTM(3) de l'Eure. Pour nous, l’enjeu est de réamorcer le dialogue et de voir chacun faire un pas. » Selon Guillaume Dhérissard, la démarche va dans le bon sens « en sortant d'une logique purement conflictuelle que l’on résout par une réglementation ». Mais il prévient : « Si les chartes se bornent à une liste de courses, elles ne déboucheront sur rien. Seule une démarche collaborative, menée par un animateur et comportant un tiers neutre, peut permettre de résoudre une problématique complexe. Le fond de la question n’est pas les ZNT mais plutôt la manière dont on gère un territoire à plusieurs, pour qu’il se développe. »
Réduire les distances entre l'agriculteur et son voisin
Le débat sur les ZNT peut aussi agir comme un révélateur. « Les seules relations qui subsistent entre l’agriculteur et son voisin, c’est du bashing », résume Jean-Pierre Beaudoin, conseiller stratégique chez Burson Cohn & Wolfe, agence internationale de communication et de relations publiques. Le monde rural n’est plus agricole. Les agriculteurs sont devenus une minorité que la société ne connaît plus. « L’erreur consiste à réduire le voisinage à la géographie et d’oublier tout le reste : la proximité culturelle et sociétale. Dans ces conditions, on n’est pas près d’y arriver. »
En attendant, le dossier ZNT soulève des questions pratiques et techniques. Si les choses restent en l'état, comment maîtriser le salissement des bordures ? Sera-t-il préférable d'implanter des couverts non productifs potentiellement déclarés en SIE et nécessitant peu d'entretien ? L'aménagement avec des dispositifs tels que des haies est aussi l'une des pistes pour réduire ou supprimer les ZNT. « Elles ont une certaine efficacité mais nous disposons de peu de références techniques. L'effet écran est très variable selon la nature, la hauteur et la saison, souligne Jean-Paul Bordes, directeur de l’Acta(4). C’est un sujet qu’il faut explorer davantage et 2020 sera une année d’acquisitions de références sur ces systèmes. » La FNSEA demande notamment « qu’en matière d’urbanisme, les aménageurs privés ou publics incluent d’ores et déjà de telles zones de transition dans l’emprise de leurs futurs projets ».
"Le fond de la question n’est pas les ZNT mais plutôt la manière dont on gère un territoire à plusieurs, pour qu’il se développe »
Guillaume Dhérissard, directeur du centre de réflexion Sol & Civilisation
Buses antidérive : une efficacité encore méconnue
Dérive à 5 mètres : les buses à injection d'air sont les plus précises
Les dispositifs de réduction de dérive concernent surtout des buses à injection d’air, dont la liste est régulièrement actualisée par la DGAL. On estime que seulement 40 à 50 % des pulvérisateurs sont équipés de ce type de buses, qui permet pourtant de réduire la dérive d’au moins 66 %. « Il faut souligner que ces buses antidérive n’affectent pas l’efficacité de la pulvérisation », précise Benjamin Perriot, ingénieur spécialisé dans les techniques de pulvérisation chez Arvalis.
Les cultures d’automne, déjà implantées, ne sont pas concernées cette année
Pour les grandes cultures, c’est le plus souvent la distance de 5 mètres qui s’applique, pouvant être réduite à 3 mètres sous condition. Dans l’immédiat, seules les cultures de printemps sont concernées.
L’arrêté du ministère de l’agriculture, publié le 27 décembre 2019 au Journal officiel, définit des Zones non traitées (ZNT) de 5, 10, 20 mètres selon les situations. Il comble ainsi le vide juridique laissé par l’arrêt du Conseil d’État en juin dernier. Ces distances s’appliquent du bord de la culture à la limite de propriété dans laquelle est implantée l’habitation. Ces ZNT ne s’imposent que pour les lieux d’habitation. Les zones industrielles ne sont par exemple pas concernées par ce texte. Autour des écoles et des maisons de retraite, la ZNT est déjà de 5 mètres incompressibles.
Pour les phytos à risque mutagène, dits CMR1, la distance de ZNT est portée à 20 mètres incompressibles. Près de 70 spécialités classées CMR 1 rentrent dans cette définition (3 % des substances autorisées), essentiellement des fongicides comme Opéra, Menara, Protéus, Opus New, Rubric, etc. La plupart de ces produits sont à base d’époxiconazole et perdront leur AMM(1) au 30 juillet prochain.
5 mètres réduits à 3 mètres à deux conditions
Pour la plupart des produits phytosanitaires utilisés en grandes cultures, c’est la distance de 5 mètres qui s’applique. Ces 5 mètres pourront être réduits à 3 lorsque deux conditions sont réunies : si l’agriculteur utilise un dispositif de réduction de la dérive homologué et si une charte d’engagement des utilisateurs est signée par le préfet.
Comment mettre en place ces ZNT ? Couper les rampes à la distance réglementaire est suffisant, car une ZNT n’est pas une zone de non-culture. Cette pratique favorisera le salissement des parcelles alors que les méthodes de lutte sont déjà réduites. Le plus simple semble de ne pas semer de culture sur cette ZNT et d’y semer une graminée, à l’instar des jachères. Comme celles-ci, les ZNT devront être entretenues a minima pour rester éligible aux aides PAC. En revanche, pas besoin de retourner les cultures en place : le décret entré en vigueur au 1er janvier 2020 ne s'appliquera qu'à partir des cultures de printemps. Les cultures d’automne, déjà implantées, ne sont pas concernées cette année. Mais les ZNT devront être mises en œuvre sur ces parcelles dès les prochains semis. « Nous sommes sur une mise en œuvre progressive d’un dispositif qui s’inscrit dans un panel de mesures visant à diminuer l’utilisation de produits phyto », rappelle Rick Vandererven, de la préfecture de l'Eure. Le gouvernement n’a pas créé de nouvelles sanctions propres aux ZNT. En cas de contrôle, c’est donc la règle de la conditionnalité qui s’applique : une retenue de 3 % sur les aides PAC.
Les chartes : comment, pourquoi ?
Distances minimales entre les zones de traitement d'habitation
Application au 1er janvier 2020 ou au 1er juillet pour les parcelles déjà semées
Les « chartes d’engagement des utilisateurs » sont désormais encadrées par un décret paru le 27 décembre 2019. Leur processus d’élaboration ne peut être inférieur à trois mois. Ce texte accorde aux chambres d’agriculture départementales ou aux organisations syndicales majoritaires du département l’exclusivité de leur rédaction. Les projets doivent être soumis à une concertation publique d’un mois minimum afin de recueillir toutes les observations des riverains. Les maires des communes concernées, ainsi que l’association des maires du département doivent être consultés. Le préfet dispose ensuite de deux mois pour valider cette charte. C’est seulement à l’issue de ce processus — et si des buses antidérive sont utilisées — que la distance de ZNT de 5 mètres pourra être ramenée à 3 mètres. Vu l’inertie de ce type de démarche, celles-ci devraient porter ses fruits pour les semis de l’automne prochain. Les semis du printemps 2020 devront donc intégrer une ZNT de 5 mètres. À noter que les chartes de riverains déjà signées doivent être revues pour se conformer au décret ministériel, puis resignées par le préfet.