Un écornage sans douleur
Quel que soit l’âge auquel
il est réalisé, l’écornage est
une intervention douloureuse.
Mais il est tout à fait possible
d’adopter des pratiques pour
atténuer cette douleur.
DE LA CORNE, un geste pas bien
compliqué.
Les vocalises, les contorsions et la méfiance avec laquelle les veaux fréquentent le cornadis dans lequel ils ont été écornés quelques jours plus tôt sont la preuve qu’il s’agit d’une intervention douloureuse.
Mais la douleur a aussi ses marqueurs biologiques qu’il est possible de mesurer. Les chercheurs ont pu ainsi comparer différents protocoles d’analgésie au cours de l’écornage des veaux et tout le monde est aujourd’hui d’accord, quelle que soit sa culture, pour s’efforcer de réduire la douleur au cours de cette intervention (1).
Il reste à faire admettre qu’elle ne cesse pas lorsque le brûle-corne est rangé au placard et qu’il est donc nécessaire de continuer à la contrôler dans les heures qui suivent. Ce principe étant affiché, il faut traduire ces bonnes intentions dans les faits.
Jean-Marie Nicol, vétérinaire praticien
(1) Il semble que le bovin, comme d’autres espèces y compris l’homme, réagisse plus fortement à l’âge adulte à des stimuli douloureux lorsqu’il a eu mal dans les toutes premières semaines de vie.
Des éleveurs peu motivés et des textes pas appliqués…
En France, l’écornage est perçu par les éleveurs qui le pratiquent comme un « mauvais moment à passer » pour les veaux, d’autant moins traumatisant que le veau est jeune et qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer longtemps le fer sur le cornillon pour le faire disparaître.
L’application locale de caustique, plus risquée en raison des coulures possibles, est perçue à tort comme moins douloureuse par les éleveurs qui ont l’expérience des deux méthodes. Mais la douleur, aussi vive qu’avec le brûle-corne, n’est que légèrement différée.
La réglementation française laisse à l’éleveur qualifié le choix de la méthode dès lors que le veau a moins de 4 semaines, et impose l’écornage thermique et le recours à une analgésie pour les écornages effectués au-delà des 4 semaines, qui est un seuil souvent dépassé pour toutes sortes de raisons techniques.
Dans la pratique, cette réglementation sur l’analgésie reste en France lettre morte, y compris pour la quasi-totalité des jeunes bovins et des animaux adultes soumis à un écornage, alors que nous disposons des moyens efficaces d’atténuer la douleur.
Réduire la douleur… Par quels moyens?
Le vétérinaire a recours à un arsenal réduit mais suffisant. Il peut utiliser une sédation à l’aide de molécules alpha2-agonistes, type xylazine, qui tranquillisent complètement l’animal qu’on aura eu soin de garder à jeun. L’usage de ces molécules n’est pas sans danger pour le jeune veau (sédation excessive, hypotension sévère) et n’abolit la douleur qu’avec des doses élevées, donc relativement risquées. Ces molécules ne sont pas sans danger non plus pour le manipulateur qui peut accidentellement s’auto-injecter le médicament.
Le vétérinaire peut également utiliser une anesthésie locale pour bloquer l’influx nerveux douloureux. Cette anesthésie pratiquement sans danger est assez facile à mettre en oeuvre chez le veau comme chez les animaux plus âgés ; elle est d’ailleurs vivement recommandée par les scientifiques, en association ou non avec une dose modérée d’alpha2-agoniste.
Cependant, les effets analgésiques de ces deux médicaments disparaissent en quelques dizaines de minutes de sorte que passé ce délai la douleur due à la brûlure réapparaît. Pour compléter l’arsenal et dans le but d’atténuer cette douleur dans les 36 heures qui suivent, on peut évidemment recourir à un anti-inflammatoire classique qu’il faudra administrer avant l’intervention pour bénéficier de son plein effet au moment où l’anesthésie locale sera devenue inopérante.
Des difficultés subsistent pour l’utilisation de ces médicaments par l’éleveur
Dans une exploitation à jour de son bilan sanitaire, le vétérinaire peut parfaitement rédiger un protocole de soins sur l’écornage des veaux, prescrire un sédatif malgré les dangers qu’il présente et prescrire l’anti-inflammatoire pour atténuer la douleur des jours suivants.
La prescription d’anesthésique local, bien que ne disposant pas d’AMM pour l’espèce bovine, et la cession de ce médicament à un éleveur qui le mettra en oeuvre pour ses propres animaux est également possible dès lors que le vétérinaire prescripteur en assume la responsabilité et applique les délais d’attente forfaitaires.
Alors où est le problème pour pratiquer des anesthésies des nerfs de la corne ? La réglementation qui reconnaît désormais à l’éleveur disposant d’un minimum d’expérience professionnelle la possibilité de pratiquer lui-même des injections sous-cutanées, intramusculaires et même intraveineuses (même sans la moindre formation pratique - paradoxe bien français !) ne semble pas lui reconnaître la capacité juridique de faire une injection sous-cutanée profonde sous prétexte qu’elle doit être pratiquée à proximité immédiate d’un rameau nerveux.
Il va de soi que pour réaliser avec aisance une telle injection, il ne suffit pas d’un décret ou d’un règlement ; il suffirait par contre d’envisager un minimum de formation pratique et d’accompagnement vétérinaire, par exemple à l’occasion du bilan sanitaire. D’autres pays, plus pragmatiques, l’ont fait avant nous pour le plus grand profit des veaux, y compris ceux âgés de moins de 4 semaines qui désormais en bénéficient car « essayer l’anesthésie locale et l’injection d’anti-inflammatoire, c’est l’adopter ».
Ce que l’éleveur peut ou ne peut pas faire
L’analgésie interrompt, atténue le signal douloureux. Les dérivés de la morphine sont de très bons analgésiques qui agissent sur le cerveau. Les anti-inflammatoires en sont aussi, mais moins efficaces. L’éleveur peut disposer d’anti-inflammatoires mais pas d’analgésiques morphiniques.
Les sédatifs ou tranquillisants procurent un apaisement. À forte dose, ils abolissent la conscience et abaissent la perception du signal douloureux ; ils deviennent alors analgésiques. L’anesthésie générale abolit la conscience et réalise également une analgésie pour le temps qu’elle dure. L’éleveur peut disposer de certains de ces médicaments (alpha2-agonistes).
L’anesthésie locale inhibe la propagation de l’influx nerveux. Appliquée sur le trajet d’un nerf sensitif, elle abolit temporairement la sensation douloureuse sans avoir aucun effet sur l’état de conscience. L’éleveur peut disposer de tels médicaments mais c’est sa mise en oeuvre par l’éleveur qui pose actuellement problème.