Pâturage : stabiliser des sols avec de la chaux ou du ciment
Lorsqu’un empierrement s’avère trop difficile et coûteux, un sol peut être stabilisé avec un liant hydraulique. Une technique très pointue qui ne peut être mise en œuvre que par un professionnel.
Lorsqu’un empierrement s’avère trop difficile et coûteux, un sol peut être stabilisé avec un liant hydraulique. Une technique très pointue qui ne peut être mise en œuvre que par un professionnel.
L’empierrement est la solution la plus classique pour stabiliser un terrain. Mais, dans des sols argileux ou très humides, il peut s’avérer très compliqué et coûteux. Il existe une solution alternative : le traitement du sol à la chaux et/ou au ciment. Peu connue en agriculture, elle est très utilisée pour stabiliser le sous-sol des routes. Usitée depuis des millénaires, cette technique consiste à mélanger la terre avec un liant, qui en modifie les propriétés mécaniques. L’action de la chaux sur l’argile la fait passer d’un état plastique à un état pulvérulent, ce qui en facilite le compactage et donc la stabilisation. Une fois le sol compacté, des réactions chimiques se poursuivent pendant des années en libérant des particules qui jouent le rôle de liant et agglomèrent les composants du sol. Avec de la terre à faible teneur en argile, on utilise du ciment mais, si elle est humide, on peut employer un mélange de chaux et ciment. Pour les sols très difficiles, il existe des liants routiers qui combinent les fonctions de la chaux et du ciment. Dans les terrains très humides, on privilégie la chaux vive parce qu’elle assèche le sol. A contrario, pour un sol trop sec, on utilise un lait de chaux ou on humidifie le sol en enfouissant de l’eau. Par contre, on ne traite jamais de la terre végétale. Elle doit être enlevée quitte à ramener de la terre argileuse prise à proximité.
Analyser le sol et faire des essais au préalable
Préalablement au chantier, il est indispensable de faire analyser le sol pour en déterminer les caractéristiques (granulométrie, teneur en argile, humidité…), dans le but « d’adapter le dosage du liant et le mode opératoire à la situation particulière, recommande la chambre d’agriculture de la Haute-Marne. C’est la principale difficulté de mise en œuvre de cette technique. Des essais et des mesures doivent être réalisés en amont pour garantir la qualité du travail ».
La mise en œuvre doit respecter un protocole rigoureux et nécessite du matériel spécialisé. « Chaque chantier est différent, il faut s’adapter et on a très peu de temps pour le réaliser. Selon la température, on dispose de cinq à sept heures pour malaxer, compacter et niveler, explique Philippe Jeanson, entrepreneur dans l’Aube, qui a réalisé quelques stabilisations de plateformes de bâtiments agricoles et de chemins. C’est une technique qui marche très bien aussi pour des sols crayeux. » En Auvergne, des élevages laitiers ont stabilisé avec succès des aires paillées avec de la chaux (voir ci-contre).
Poser les canalisations et prévoir les regards
Le protocole se déroule en plusieurs étapes. Il faut d’abord décaper la terre végétale, niveler et scarifier le sol pour accroître la surface d’échange. Le liant est ensuite épandu avec un épandeur à amendement à la dose voulue (20 à 45 kg/m2 selon la chambre d’agriculture de Haute-Marne). Si le sol n’est pas suffisamment humide, de l’eau est enfouie avec une tonne à lisier. L’étape suivante consiste à mélanger le liant avec la terre à l’aide d’un malaxeur sur une profondeur de 20 à 40 cm selon les charges à supporter. L’épandage du liant et le malaxage sont souvent réalisés en deux passes. C’est l’homogénéité du mélange qui conditionne la portance du sol et sa tenue dans le temps. Un nivelage précis est réalisé avant ou pendant le compactage du sol parce que, une fois sec, il n’est plus question d’y toucher autrement qu’au marteau-piqueur. Les canalisations doivent être posées et les réservations pour les regards exécutées avant le traitement du sol. Le compactage est réalisé avec un compacteur à rouleau vibrant selon les préconisations du laboratoire. Une couche de protection (émulsion de bitume et gravillon fin) est enfin appliquée pour réaliser une étanchéité. « Trois semaines plus tard, quand on peut circuler, on rajoute deux à trois centimètres de 0-20 », détaille Philippe Jeanson.
« Cette technique s’est peu développée au niveau agricole », constate Stéphane Le Rousic, conseiller bâtiment à la chambre d’agriculture de la Haute-Marne. Elle présente aussi un intérêt environnemental (économie de matériau de carrière, suppression des nuisances occasionnées par le transport des cailloux sur les routes de campagne). Toute la difficulté est de trouver dans sa région une entreprise qui maîtrise cette technique et accepte de réaliser de petits chantiers agricoles. Philippe Jeanson n’intervient pas à moins de 5 000 m2.
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Stabiliser des aires paillées avec de la chaux
En Auvergne, des éleveurs ont traité des aires paillées avec de la chaux pour un résultat qui les satisfait.
Un entrepreneur du Puy-de-Dôme (AMG Épandage), qui intervient en Auvergne voire au-delà, réalise des stabilisations d’aires paillées et d’abords de ferme avec de la chaux. Par rapport aux gros chantiers de Philippe Jeanson dans l’Aube, il accepte de se déplacer pour des surfaces plus petites (minimum 1 000 m2). À l’heure actuelle, il a réalisé sept opérations à partir desquelles la chambre d’agriculture et l’EDE du Puy-de-Dôme ont établi des recommandations et des coûts de traitement (1). Les deux organismes préconisent « l’épandage de 6 à 30 kg/m2 de chaux vive routière selon la teneur en argile et en eau, définies par le test du laboratoire, pour 40 cm de hauteur de traitement ». « On est souvent autour de 25 kg/m2 », précise Eliane Teyssandier, conseillère bâtiment à l’EDE. Quant à la couche de protection, « s’il s’agit d’une aire paillée, c’est la litière qui ferme ; s’il s’agit des abords, la fermeture se fait avec 10 cm de concassé de carrière de type 0 - 31,5 ou avec du bicouche (0 - 15 + goudron) ». Pour une aire paillée, Aimé Gardon, fondateur de l’entreprise AMG Épandage, recommande de traiter le sol sur une hauteur de 30 cm, même si les charges ne sont pas énormes : « Au fil des années, ça pourrait se désagréger un peu en surface avec les jus. Plus on a d’épaisseur au départ, plus on est tranquille ».
Des coûts variables selon la surface
Si les opérations de stabilisation peuvent être réalisées avant la construction du bâtiment, le coût de revient du traitement seul (fourniture de la chaux, épandage, malaxage) est estimé à 3 €/m2. Pour stabiliser une aire paillée existante, il faut compter 5 - 6 €/m2. Le coût de traitement de sols sableux avec du ciment est évalué à 6 - 7 €/m2. Lorsqu’on ne peut pas rentrer dans le bâtiment avec le matériel, il est possible de traiter la terre à la chaux à l’extérieur, puis de la ramener dans le bâtiment avec un chargeur, la niveler et la compacter. À ces tarifs, il faut rajouter le coût du compactage et du nivelage, qui peuvent être réalisés par l’agriculteur (location d’un cylindre V4 ou V5…) et le coût de la couche de finition. Si la totalité des travaux est réalisée par l’entreprise, il faut compter 15 €/m2 pour une surface de 1 000 m2 et 8 - 10 €/m2 pour traiter 5 000 m2, indique Aimé Gardon. La différence est liée au coût du déplacement et au temps de réalisation du traitement : dans des stabulations exiguës, il peut s’avérer chronophage.
« Traiter si possible avant la construction du bâtiment »
« La stabulation comprend une aire paillée de 550 m2 et un couloir de raclage de cinq mètres. À l’origine, on avait fait un peu d’empierrement et on avait mis du déchet de carrière. Mais, le curage faisait apparaître des trous et, tous les deux trois ans, il fallait recharger. Nous avons raclé une épaisseur de 10 cm et nous avons ramené 20-25 cm de terre argileuse récupérée chez un voisin. Puis nous avons épandu la chaux et malaxé l’ensemble. Le chantier a été plus long que prévu à cause de l’encombrement du matériel. Le bâtiment ne fait que trois mètres de hauteur sous poteau. Dans les endroits où on ne pouvait pas passer, j’ai fait le malaxage au rotavator, mais que sur une profondeur de 10 cm ; le résultat n’est pas si bon. L’idéal est de le faire avant la construction du bâtiment. C’est d’ailleurs ce que j’ai prévu de faire quand j’agrandirai l’aire paillée. Après le malaxage, j’ai compacté la terre avec un petit cylindre de sept tonnes que j’ai loué. On ne pouvait pas rentrer avec un rouleau de chantier. Les vaches ont passé deux hivers sur l’aire paillée traitée à la chaux. Ça n’a pas bougé. Il faut juste éviter les écoulements d’abreuvoir car ça reste de la terre battue. Lors du curage, le godet ne creuse pas le sol. C’est comme si on était sur un béton. Mais, le sol respire bien. Et, comme le curage est facile à faire et prend moins de temps, je le fais toutes les trois quatre semaines. Il faudra voir si le sol traité tient dans le temps, mais, pour l’instant, ça n’a pas bougé. »
Le coût
Le traitement du sol à la chaux ou au ciment est adapté à des situations où « la réalisation d’un fond compacté avec de la pierre représente un coût supérieur à 15 €/m2 », estime la chambre d’agriculture de Haute-Marne. Philippe Jeanson évalue le coût de revient de cette technique de stabilisation à 17 €/m2. « On n’est compétitif que sur des chantiers où il faudrait mettre 50 centimètres de caillou. »