Reconnaissance de l’interprofession : pas de chèque en blanc de Bruxelles
Plus rien ne sera comme avant… ou presque.
Le rôle phare tenu par l’interprofession laitière depuis
sa création est reconnu par le « minipaquet lait », mais
sous certaines conditions, notamment une mise
sous surveillance de la Commission.
aussi pour le volet qualité du lait puisque celle-ci entre dans le calcul du prix du lait.
Les mauvaises langues parleront de mise sous tutelle par Bruxelles de l’interprofession laitière dans la réalisation de ses actions. Les optimistes verront dans cette reconnaissance européenne par le biais du « minipaquet lait » la justification des missions de l’interprofession. La vérité est entre les deux. Pas de chèque en blanc de Bruxelles, surtout en matière d’orientation économique.
Mais il est incontestable que la Commission européenne a fait un pas important, longtemps dubitative sur ce «machin » typiquement français.
C’est une crise laitière sans précédent, avec en apogée une grève du lait en 1972, qui avait conduit à la création en 1973 d’une association (Cniel : centre national interprofessionnel de l’économie laitière) de droit privé entre la FNPL, la FNCL et la Fnil. Une association interprofessionnelle où tous les sujets d’intérêts communs aux producteurs et aux transformateurs ont vocation à être étudiés.
Les pouvoirs publics ont reconnu son utilité en inscrivant ses règles de fonctionnement et ses prérogatives dans une loi spécifique datée du 12 juillet 1974, relative à l’organisation interprofessionnelle laitière. Grâce à cette loi, les règles fixées unanimement par les trois fédérations, les plus représentatives de la production, de la coopération et de l’industrie, peuvent être homologuées et donc rendues obligatoires par décision ministérielle.
Globalement, cette interprofession laitière, au fil du temps, a toujours bénéficié de l’appui du législateur français qui l’a renforcée. Elle a même servi d’exemple aux autres secteurs de l’agriculture. Ainsi, la loi du 10 juillet 1975 a étendu à tous les secteurs agricoles, le dispositif interprofessionnel créé pour le lait. Aujourd’hui, le monde agricole compte une soixantaine d’interprofessions dans différents secteurs.
Des règles de gouvernance de la filière laitière
L’adoption du règlement communautaire appelé « minipaquet lait » fin mars 2012, donne des précisions importantes sur ce qu’on peut appeler la gouvernance de la filière laitière.
L’interprofession laitière, cette spécificité française, est aujourd’hui reconnu officiellement par Bruxelles. Mieux, le texte communautaire reprend la quasi-totalité des critères qui existent dans notre droit interne(1). Il précise « qui peut faire quoi dans la filière laitière » notamment au regard de l’application du droit de la concurrence au secteur agricole.
Cette question est particulièrement sensible en France vu le rôle phare qu’a eu l’interprofession dans les discussions sur le prix du lait. À partir de 1997, l’Interprofession a diffusé des recommandations de prix à la production. Cette « tradition » a fait l’objet, en 2008, d’un rappel à l’ordre de l’autorité de la concurrence française concernant les accords sur le prix du lait, dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat des ménages.
Si elle y a mis un terme, l’interprofession a continué à publier des données statistiques sur des éléments de tendances des prix et des marchés. En effet, l’amendement « Barnier » (L 632-14) a permis de sécuriser le rôle de l’interprofession en lui permettant de définir des indicateurs de référence entrant dans le prix du lait.
Le règlement du minipaquet lait énumère les missions ou objectifs des interprofessions qui sont considérés comme des dérogations au droit de la concurrence (2). L’interprofession laitière a comme mission l’amélioration de la connaissance et la transparence de la production et du marché, y compris par la publication de données statistiques sur les prix et les volumes et par des analyses sur les évolutions de marchés au niveau international, national et régional.
Une application stricte des dérogations au droit de la concurrence
Dans cette logique, le minipaquet lait reconnaît donc la mission qui consiste à réaliser des études de marchés afin d’optimiser la mise en marché du lait et des produits laitiers, à explorer des marchés exports potentiels, à maintenir et développer le potentiel de production du secteur laitier par la promotion et l’innovation, à mettre en valeur la qualité des produits et inciter à l’amélioration des modes de production…
Evidemment, la promotion de la consommation et de l’information sur le lait rentre dans les prérogatives de l’interprofession. Tout comme l’établissement de contrat type compatibles avec les règles de l’UE.
En résumé, une interprofession qui ne se cantonne pas à ces différentes missions énumérées dans le minipaquet lait peut se voir sanctionner par l’autorité de la concurrence. La reconnaissance de l’interprofession par Bruxelles est alors remise en cause dérogations ou pas. Celles-ci sont d’applications extrêmement strictes et laissent peu de marge de manoeuvre à l’interprétation.
Aucun accord appliqué sans l’aval de Bruxelles
Mais l’application du minipaquet lait ne s’arrête pas à ce qui est « reconnaissable » par Bruxelles, même si le législateur européen a vu large en rendant possible la mise en place d’interprofession intégrant jusqu’au commerce ou la distribution. Cela serait trop facile ! L’interprofession laitière est sous surveillance communautaire, dès aujourd’hui.
En clair, les organisations interprofessionnelles ont l’obligation de notifier dans les plus brefs délais à la Commission européenne tous « les accords, décisions et pratiques concertées » qu’elles mettent en oeuvre. La Commission a deux mois pour se prononcer sur la validité des accords. Avant la validation de Bruxelles, aucun des accords ne peut être appliqués. En plus, la Commission, en conformité avec la réglementation de l’Union européenne, exclut de toute validation des accords, des décisions ou des pratiques qui incluent une fixation de prix, un cloisonnement des marchés, des distorsions de concurrence « non indispensables pour atteindre les objectifs de la PAC »…
En résumé, les accords interprofessionnels ne peuvent nuire au bon fonctionnement des marchés, éliminer la concurrence entre les acteurs d’une filière, ou faire de la discrimination positive pour l’un d’entre eux.
La qualité du lait, une autre mission sensible
Force est de constater qu’en matière d’orientations économiques, l’interprofession laitière est sous surveillance. La Commission se donne les moyens juridiques de vérifier que les pratiques de l’interprofession laitière ne conduisent pas à limiter la concurrence sur les marchés intérieurs des États membres. C’est son leitmotiv.
Les autres missions de l’interprofession notamment sur la qualité du lait, un sujet sensible puisque entrant dans le calcul du prix du lait, seront aussi regardés de très près par Bruxelles. Notamment l’organisation et la mission des laboratoires interprofessionnels dont l’enjeu est d’assurer la fiabilité et l’équité des analyses pour les éleveurs laitiers sur tout le territoire.
En toute logique, les actions de communications du Cniel et de recherche devraient moins être exposées au regard « noir » de la Commission. Reste que le rôle de l’interprofession laitière, enfin reconnu par le « minipaquet lait », ne vivra pas sans une épée de Damocles au-dessus de sa tête les premiers mois de l’application du règlement européen dans l’attente des retours de notifications. Après, il est fort probable que ces deux « organisations » sauront s’apprivoiser. D’autant que la Commission européenne invite les États membres à encourager les acteurs concernés à participer à des interprofessions.
(1) article L 632-21 modifié par la loi de modernisation de l’Agriculture en juillet 2010.
(2) le droit appliqué au secteur agricole prévoit que les règles de concurrence s’y appliquent sauf dérogation figurant par exemple dans les OCM (organisation commune de marché).
Les missions de l’interprofession laitière se déclinent en régions
Les dix Criel ou centres régionaux interprofessionnels de l’économie laitière répartis en région n’échapperont pas à la surveillance exercée par la Commission européenne sur leurs missions qu’ils aient ou pas un lien de subordination avec l’interprofession laitière nationale.
Le Cilouest, par exemple, établit jusqu’ici le prix de référence mensuel du lait. Chaque mois il élabore et diffuse les valeurs qui entrent dans le prix de cession du lait pour son territoire. Au regard des conditions mises par le législateur européen dans la reconnaissance de l’interprofession laitière, cette diffusion du prix de référence du lait pour une région laitière n’est pas neutre.
Tous les ans, dans le cadre du paiement du lait, les dix Criel mettent à jour les grilles de qualité et de saisonnalité du lait : les référentiels « paiement du lait » en fonction de sa composition et de sa qualité hygiénique et sanitaire. Une pratique qu’il faudra faire valider par Bruxelles ! Ce qui est en cause n’est pas la pertinence de ces accords ou référentiels mais leur conséquence.