« Monotraite : nous y sommes passés cinq ans après l’installation »
À la Ferme de la Meuh, dans le Morbihan, les vaches sont traites toute l’année une seule fois par jour. Depuis un an et demi, les éleveurs trouvent leur compte dans la monotraite aussi bien financièrement qu’en termes de qualité de vie.
À la Ferme de la Meuh, dans le Morbihan, les vaches sont traites toute l’année une seule fois par jour. Depuis un an et demi, les éleveurs trouvent leur compte dans la monotraite aussi bien financièrement qu’en termes de qualité de vie.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux-là n’affichent pas un profil d’éleveur classique. Avant de s’installer hors cadre familial sur une exploitation laitière en 2015, elle, travaillait comme commerciale et autoentrepreneuse, et lui, comme data manager. Aujourd’hui, à respectivement 54 et 53 ans, Sylvia Marty et Jean-François Cornic estiment être des « autodidactes de l’agriculture ». Tous deux issus de la région parisienne, ils ont décidé de changer de vie en s’installant en élevage « pour devenir leur propre patron, avoir une vie moins stressante et produire quelque chose de concret ».
C’est en Bretagne, leur région de cœur, qu’ils se sont lancés dans l’aventure, en reprenant une ferme bio de 50 Prim’Holstein, avec 56 hectares groupés et une référence de 342 000 litres. « Cela n’a pas été simple au début, concède le couple. Nous avons essuyé pas mal de plâtres. Mais aujourd’hui, nous ne regrettons pas notre choix. Nous sommes satisfaits de notre mode de vie, notre système tourne bien et l’exploitation nous permet de dégager une rentabilité suffisante pour deux personnes. »
Non seulement, Sylvia et Jean-François ont franchi le pas de l’installation, mais surtout ils n’ont pas hésité à faire évoluer le système de production en place. Premièrement, en passant au tout herbe. Ils ont arrêté le maïs (7 ha), les betteraves fourragères (2 ha) et le méteil (10 ha) et implanté des prairies adaptées au contexte climatique séchant, à base de dactyle, fétuque élevée, plantain, chicorée, trèfle blanc et trèfle violet, dans l’optique de développer le pâturage. Deuxièmement, en changeant de race. Dix Jersiaises ont été achetées dès 2015. « Pour jouer à fond la carte du pâturage, cela nous a semblé plus judicieux de miser sur des bêtes plus légères et plus rustiques, capables de pâturer sur des sols pas spécialement portants. Et aussi pour produire un lait riche en matières utiles, plus rémunérateur au litre. » La majorité du troupeau se compose désormais de Jersiaises et de vaches croisées (kiwi et croisées trois voies jersiaises et rouge scandinave). Enfin, le passage à la monotraite totale, en août 2020, marque le troisième changement de poids.
Des premières expériences en monotraite plutôt incitatives
« La monotraite, nous y sommes venus petit à petit, racontent les éleveurs. Nous l’avons d’abord expérimentée ponctuellement. Notamment sur deux à trois jours en été au moment des fortes chaleurs, ou quelque fois encore lorsque l’on rentrait tard de réunions et que les vaches se trouvaient bien au pâturage. » Il faut dire que le niveau de production, autour de 4 000 litres par vache, permettait facilement de passer en monotraite, sans engendrer de difficulté particulière.
Ces premières expériences positives ont incité le couple à creuser le sujet et à s’inscrire à une formation organisée par la chambre d’agriculture du Finistère. « Les échanges et les essais menés en fermes expérimentales ont nourri notre réflexion, relate Jean-François. La technique nous a semblé très séduisante à la fois en termes de travail et d’augmentation des taux. Mais économiquement, il nous importait de pallier une partie de la perte de production laitière en augmentant un peu nos effectifs. »
C’est pourquoi, depuis 2019, le Gaec élève davantage de génisses. Elles sont aujourd’hui une cinquantaine sur l’exploitation et vêlent entre 27 et 28 mois. « Nous pouvons monter jusqu’à 55 vaches maximum dans la stabulation », considère Sylvia. L’aire de couchage fait 300 m2, ce qui représente un peu moins que les 6 m2 recommandés par vache. « Mais la période où le troupeau se trouve cantonné au bâtiment se limite seulement à deux ou trois mois de l’année, tempère Jean-François. Et on n’hésite pas à sortir les bêtes certains jours courant janvier si c’est possible. Les vaches se portent tout aussi bien en vivant dehors. » « Les bâtiments, en fait, c’est surtout pour le confort de l’éleveur », lâche-t-il, volontairement provocateur. Par précaution, ils ajoutent 25 à 30 kg d’argile en poudre chaque semaine sur la litière paillée et autant de lithothamne.
25 % de lait en moins, 3 points de TB et 2 points de TP en plus
Dans la pratique, les vaches se sont très vite adaptées à la monotraite. « Au démarrage, il y a eu un pic de cellules à 400 000 par millilitre. Mais la situation s’est vite rétablie, précise Sylvia. Les vaches sont descendues sous le seuil de 250 000 cellules au contrôle suivant. Et aujourd’hui, on tourne à 180 000 cellules en moyenne sur l’année. » À noter qu’avant le passage en monotraite, le taux cellulaire de l’élevage n’était pas spécialement bas (entre 250 et 300 000 cellules/ml) contrairement à la préconisation d’avoir un troupeau sain à moins de 200 000 cellules.
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La production a chuté conformément à ce que les éleveurs attendaient, autour de 25 %, et en parallèle, le TB a pris 3 points et le TP 2 points. « Depuis 2016, entre le changement de race et le passage en monotraite, nos taux ont nettement progressé, avec un impact fort sur le prix du lait payé (lire en encadré). Cela se montre d’autant plus payant que notre laiterie les valorise bien (+5 €/1 000 l par point de TB supplémentaire et + 7 €/1 000 l pour le TP au-delà de 38-32). » Par rapport à d’autres laiteries, cette grille renforce l’intérêt de passer en monotraite pour le Gaec.
Autre conséquence à l’arrêt de la traite biquotidenne : les veaux ont basculé à un repas par jour. Ils sont nourris au lait entier distribué au milkbar. Sylvia n’a pas observé d’écart sur les performances de croissance.
Pour les éleveurs, l’impact majeur concerne avant tout le travail. « C’est vraiment le jour et la nuit ! Nous ne travaillons plus que 28 heures par semaine chacun, apprécie le couple. On a énormément gagné en souplesse de travail, on a l’impression d’avoir une vraie vie. » En termes économique, Sylvia et Jean-François s’estiment mieux rémunérés pour le travail fourni, même s’ils produisent moins de lait. « Nous ne reviendrons jamais en arrière, insiste Jean-François. On préfère augmenter les effectifs de cinq à dix vaches mais rester en monotraite. Et si le prix du lait baisse, on a encore la possibilité de passer le troupeau en 100 % Jersiaises pour gagner encore un peu sur les taux. »
Un chiffre d’affaires vente de lait équivalent en 2016 et en 2021
Entre 2016 et 2021, suite au changement de race progressif et au passage en monotraite mi-2020 :
– le TB a augmenté de 8 points, le TP de 5,5 points
– les livraisons ont diminué de 52 000 litres
– le chiffre d’affaires a peu évolué : +1 600 euros
– les primes qualité sont passées de 7 à 100 €/ 1 000 l