Croisement trois voies
« Nous faisons du croisement Procross depuis dix ans »
Dans le Nord, le Gaec de la Pouillerie utilise le croisement Holstein x Montbéliarde x Vicking Red depuis 2009. Les 115 vaches du troupeau allient gros potentiel laitier et fertilité.
Dans le Nord, le Gaec de la Pouillerie utilise le croisement Holstein x Montbéliarde x Vicking Red depuis 2009. Les 115 vaches du troupeau allient gros potentiel laitier et fertilité.
« Historiquement, à Houplin-Ancoisne, il y avait six exploitations laitières. Il n'en reste plus qu'une aujourd'hui », souligne Célestin Rose en réajustant son bonnet pour se protéger du vent glacial venu du Nord. Le Gaec a fait le choix audacieux de se lancer dans le croisement trois voies Procross il y a une dizaine d'années. Les 115 vaches du troupeau ont majoritairement la tête blanche. Côté couleur de robe et gabarit, c'est plus varié. « Nos vaches ont des gabarits différents mais vous n'en verrez aucune de maigres malgré leur niveau de production élevé. J'aime les vaches qui restent en état », expose Célestin Rose, coresponsable du troupeau laitier avec son oncle Damien. " Au départ, l'idée c'était de croiser nos Holstein avec de la Montbéliarde juste une année pour réduire les problèmes de consanguinité et pour améliorer la rusticité de nos vaches. Puis on nous a présenté le programme Procross. Et nous avons décidé d'essayer le croisement trois voies en intégrant la Vicking Red (Rouge scandinave) », explique le jeune éleveur. À l'époque, l'enseignant-chercheur américain Les Hansen commençait à promouvoir ce type de croisement laitier rotatif. Mais le département du Nord, ce n'est ni le Minnesota ni la Californie. « Nous savions que cela marchait plutôt bien aux Etats-Unis, Mais ce n'était pas évident de se lancer. Nous étions les premiers à le faire ici. Nous n'avions pas de recul. Quand on a vu au fur et à mesure notre troupeau se composer de vaches avec des gabarits très différents, on a commencé à se demander si on n'avait pas fait fausse route. »
Valoriser la complémentarité des trois races
Depuis, les performances du troupeau confortent leur choix. « Ce croisement valorise la complémentarité des trois races. Nos Holstein ont un gros potentiel laitier. Mais dès qu'elles produisent beaucoup, elles fondent comme neige au soleil. La Montbéliarde ramène du coffre, de l'état corporel et de la rusticité. La Vicking Red est une vache de petit format très intéressante pour la facilité de vêlage et la qualité des sabots. Elle fait très bien son boulot en production. Ce croisement permet de bénéficier de l'effet d'hétérosis au niveau de la production, de la fertilité, de la santé des animaux et de l'efficacité alimentaire. Lors de la dernière campagne laitière, nous avons produit (lait livré, donné aux veaux et mis de côté) plus de 1,4 million de litres de lait avec en moyenne 115 vaches traites. »
Le Gaec a utilisé plusieurs leviers complémentaires à la génétique pour atteindre un tel niveau de production par vache sans compromettre leur rusticité. « Nous avons investi dans deux robots de traite Lely A4 il y a trois ans. Le robot nous permet d'avoir un suivi sur nos vaches au niveau des cellules, de la rumination, de la température et des taux. » La fréquentation du robot tourne autour de 2,5- 2,6.
Les associés misent également sur une ration constante toute l'année pour éviter les à-coups en production. En 2018, la ration de base se composait de 35 kg d'ensilage de maïs à 32 % de matière sèche, de 12 kg de pulpes surpressées, 2 kg de luzerne brins longs, 1,2 kg de tourteau de colza, 200 g de bicarbonate de sodium, 40 g de sel et de 200 g de minéral 5/25/5. La complémentation au robot (correcteur et concentré de production) n'inclut pas de propylène glycol. « Notre coût alimentaire varie entre 3,50 et 3,75 euros par vache et par jour. C'est élevé. Mais compte tenu du contexte de notre exploitation, du prix des terres dans notre région et de notre volonté de sécuriser la ration des vaches pour éviter les transitions alimentaires susceptibles de pénaliser leur production laitière, nous achetons beaucoup d'aliments (tourteau de soja, luzerne brins long à 230-240 €/t...). Il n'y a pas d'herbe dans la ration », souligne Damien Rose. « Nos vaches valorisent très bien la ration que nous leur distribuons. Dans ces conditions, même si la ration coûte cher, cela reste rentable », complète Célestin.
Choix des meilleurs taureaux dans les trois races
Côté sélection, la qualité des mamelles, en particulier celle des trayons, est prioritaire. « Plus que l'orientation, c'est la longueur et la grosseur des trayons qui est importante. Il ne faut pas que les trayons soient trop courts ni trop fins, sinon une primipare un peu nerveuse peut se débrancher facilement. » Le potentiel laitier et la vitesse de traite sont les deux autres critères prépondérants. « Je ne regarde pas trop les taux », reconnaît Célestin.
Les éleveurs choisissent trois ou quatre taureaux par race chaque année. « Nous prenons les meilleurs taureaux dans les catalogues. Nous achetons les doses de semences à Gènes Diffusion. Nous inséminons nous-mêmes depuis cinq ans. » Le prix des doses des taureaux montbéliards et vicking red se situe autour de 23 à 25 euros. « En Holstein, il nous arrive d'acheter des doses à 34 euros. Mais généralement, le prix se situe autour de 26 à 28 euros. » Le Gaec n'achète pas de doses de semences sexées pour deux raisons. Le nombre de génisses est trop élevé depuis trois ans et le surplus de génisses n'est pas évident à vendre (lire encadré). En revanche, tous les ans, les associés commandent des doses de taureaux blanc bleu belge à 7 ou 8 euros pour inséminer une quinzaine de vaches parmi les plus âgées.
L'intérêt du croisement laitier Procross sur les performances de reproduction se confirme dans cet élevage. Il s'exprime d'autant mieux que les éleveurs sont stricts sur la qualité de la ration et la détection des chaleurs. « Entre 2011 et 2018, l'intervalle vêlage-vêlage est passé progressivement de 403 jours à 364 jours », souligne Célestin Rose. « Le logiciel du robot de traite nous aide à bien détecter les chaleurs. J'essaie d'inséminer tôt. Les vaches à moins de 55 kilos de lait sont inséminées à partir de 55 jours si elles sont bien cyclées. Pour celles qui sont à plus de 60 kilos, on préfère attendre 70 jours avant de les inséminer », précise-t-il.
Un coefficient d'utilisation de paillettes de 1,50
Le bilan de Repro édité par Gènes Diffusion montre que lors des deux dernières campagnes, le taux de réussite en insémination première a été de 53 % et 65 % pour les multipares, et de 65 % et 67 % pour les primipares. Tous rangs de vêlage confondus, ce taux est de 58 % et 66 %. Il est comparable pour les génisses (59 % et 63 %). Le coefficient d'utilisation des paillettes (nombre d'IA/IA fécondante) varie de 1,40 à 1,50 selon l'âge des vaches et la campagne d'insémination. « Nous sommes très satisfaits et fiers de ces résultats. Mais il faut rester prudent et modeste. Cela peut changer du jour au lendemain », souligne Célestin Rose.
La rusticité est également au rendez-vous. Les vaches sont logées dans une stabulation à logettes (120 places) avec couloir sur caillebotis. « Nous utilisons du compost de lisier issu de notre séparateur de phase en guise de litière. C'est confortable. Nous n'avons pas de problèmes particuliers de mammites. Les comptages cellulaires se situent entre 180 000 et 200 000 cellules par millilitre. » Pas de césariennes ni de retournements de caillettes depuis dix ans, peu de boiteries (pas de Mortellaro...)... Au final, les frais vétérinaires sont essentiellement liés à l'achat de produits de traitement (tarissement...).
Le croisement trois voies couplé à la traite robotisée donne entière satisfaction aux associés. « Ce n'est pas la solution pour tout le monde. Mais, en ce qui nous concerne, on ne reviendrait pas en arrière », affirme Célestin Rose.
Franck Mechekour
Pas facile de vendre des génisses pleines
« Nous avons du mal à vendre des génisses ou des vaches pleines surtout quand le marché est saturé. Les acheteurs ne sont pas habitués. Les croisées, ça leur fait un peu peur », reconnaît Célestin Rose. « Nous en vendons généralement une dizaine par an. Côté prix, tout dépend des opportunités. Une génisse gestante âgée de 22 mois se vend autour de 1 100 euros. En novembre dernier, un éleveur bio qui cherchait un lot de génisses de 15 jours nous en a acheté dix à 150 euros la génisse. » L'excès de génisses depuis trois ans conduit à réformer plus de vaches que nécessaire. « Le taux de réforme est supérieur à 40 %. heureusement que nous arrivons à vendre quelques génisses. Nous préférons réformer une génisses qui n'a produit que 25 à 27 kilos de lait lors de sa première lactation parce qu'elle ne fera pas plus de 40 kilos en deuxième lactation, plutôt qu'une vache en deuxième, troisième ou quatrième lactation. »
Faute de place, les vaches de réforme ne sont pas finies. « Elles partent en moyenne à 2,60 euros par kilo de carcasse et jusqu'à 3,00 euros par kilo pour les meilleures. Le poids de carcasse tourne autour de 330 kilos. » Cet hiver, les veaux mâles croisés âgés de 15 jours partent autour de 80 euros. « Ils se vendent 15 à 20 euros plus chers que les Holstein purs », précise Célestin Rose.
Un premier vêlage à 24-25 mois
L'année dernière, les génisses ont vêlé pour la première fois à 24,2 mois contre 25,4 et 25,7 mois les deux années précédentes. « C'est bien, mais nous ne sommes pas certains d'y arriver tous les ans. En revanche, nous ne voulons pas baisser plus, parce que plus les génisses vêlent jeunes plus elles bougent au robot. C'est gênant surtout avec des robots de traites saturés », constate Célestin Rose. Les chaleurs sont détectées visuellement par deux personnes, trois à quatre fois par jour. « Les génisses doivent peser au minimum 400 kilos pour être inséminées. Pour atteindre ce poids à 15 mois, nous leur distribuons une ration sèche à base de paille, de pulpe sèche de betterave, de mélasse, de tourteau de soja et de corn gluten. Cette ration nous coûte assez cher, mais elle est efficace. » Les génisses sont pesées tous les deux à trois mois.