« Notre élevage laitier dégage 80 000 € de revenu pour 40 heures de travail hebdomadaires »
Dans les Côtes-d’Armor, Franck Le Breton et Maud Cloarec ont opéré un virage à 180 degrés. Ils produisent désormais, en système tout herbe, 190 000 litres de lait bio avec des vêlages groupés de printemps, en monotraite et sans aucun achat d’aliment.
Dans les Côtes-d’Armor, Franck Le Breton et Maud Cloarec ont opéré un virage à 180 degrés. Ils produisent désormais, en système tout herbe, 190 000 litres de lait bio avec des vêlages groupés de printemps, en monotraite et sans aucun achat d’aliment.
Quand Franck Le Breton a repris en 2012, à 23 ans, la ferme de ses parents, un diplôme d’ingénieur en poche, son projet d’installation était très classique : 350 000 litres de lait conventionnel, 69 hectares de maïs/céréales/herbe, des vaches à 7 500 litres. Le projet prévoyait la construction d’une stabulation à logettes de 50 places avec racleurs, salle de traite et nurserie. Un investissement de 350 000 euros qui a fait grimper le coût de l’installation à 600 000 euros.
« Mes parents trayaient en étable entravée, les veaux et les taurillons étaient à l’attache. Ils pensaient ne pas avoir de successeur et avaient réduit le troupeau à 18 vaches », raconte le jeune éleveur. Pendant deux ans et demi, le temps que la stabulation soit mise en route en juillet 2014, Franck a continué à travailler dans ces conditions.
« Le troupeau est monté rapidement à 35 vaches. Je travaillais 70 heures par semaine et mon père retraité 30 heures ! Le bâtiment nous a fait gagner une trentaine d’heures », souligne-t-il. Le système était bien maîtrisé avec des achats d’intrants optimisés. Il dégageait un bon EBE, mais pas de trésorerie avec des annuités de 55 000 euros à rembourser. « Nous vivions avec mon salaire d’animatrice au Cedapa(1). On capitalisait, c’était notre choix », ajoute sa compagne Maud Cloarec.
Arrêter de produire en hiver avec des stocks et de l’aliment
Aujourd’hui, leur situation a radicalement changé. Maud s’est installée en 2017. Ils fournissent, en moyenne sur l’année, et à eux deux, quarante heures de travail par semaine. En 2022, l’exploitation a dégagé 80 000 euros de trésorerie pour un produit de 156 000 euros. Le système a été complètement repensé. Le pâturage a la priorité absolue. Les 69 hectares sont tout en herbe. Les 47 vaches vêlent toutes au printemps, du 1er mars à mi-avril. Elles produisent 4 200 litres de lait bio en monotraite intégrale. La salle de traite est fermée pendant deux mois. Aucun aliment n’est acheté en dehors du sel et des minéraux.
« Tout est parti en 2013 du témoignage d’un éleveur lors d’une journée organisée par le Cedapa, expliquent Franck et Maud. Avec seulement 35 hectares d’herbe et 30 vaches en vêlages groupés de printemps, cet élevage permettait de bien vivre à deux en dégageant 70 000 euros d’EBE. Cela nous a fait réfléchir. » Ils ont alors participé à d’autres journées, vu d’autres exploitations dans le Finistère et en Irlande.
« Nous avons compris pourquoi ces élevages étaient extrêmement rentables : ils produisent le lait au moment où il coûte le moins cher à produire. Cela paraît tout simple mais c’était une révolution pour nous. » Cette rentabilité allait de pair avec une organisation du travail extrêmement rigoureuse. « Elle permettait d’avoir beaucoup de pauses dans l’année. C’est ce qui m’a convaincue », ajoute Maud, qui n’est pas d’origine agricole.
Quatre ans pour grouper les vêlages et fermer la salle de traite
Le changement de système a nécessité une remise en question rapide. Entre 2013 et 2016, toutes les surfaces sont passées en prairies. « Le parcellaire est bien groupé avec 58 hectares autour du bâtiment et 10 hectares à trois kilomètres. Ils ont été semées avec des ray-grass anglais diploïdes très tardifs et des trèfles blancs intermédiaires et nains, avec l’idée de ne plus les retourner, précise Franck. Parallèlement, nous avons commencé à faire du croisement avec diverses races. »
La décision de faire vêler toutes les vaches en même temps au printemps a été prise dès 2014, avec l’objectif de fermer la salle de traite du 20 décembre au 20 février. La première fermeture a eu lieu en décembre 2016. « Cela s’est fait sur trois ans. Nous avions des vêlages toute l’année. Il a fallu décaler progressivement des vaches et en réformer. En 2015, il restait 15 vaches à vêler en octobre-novembre, elles ont fait une lactation de 18 mois. »
Pendant cette phase de transition qui s’accompagnait d’un croît de cheptel, toutes les génisses ont été gardées et inséminées sur une période de deux mois. La moyenne d’étable était descendue à 5 500 litres. « En allant vers un système de plus en plus herbager, nous produisions le même volume de lait avec dix vaches de plus mais la marge s’améliorait », constatent-ils.
« Se faire confiance et oser »
Maud a quitté son poste d’animatrice en juillet 2016 pour s’installer en Gaec avec Franck pour un coût de 45 000 euros. « Ce qui a créé le deuxième revenu, c’est la suppression totale des charges de tourteau, phytos, engrais et semences, affirme-t-elle. Nous avions fait le calcul à partir de la comptabilité de 2012-2013 : en additionnant ces quatre postes, on arrivait à un total de 70 000 euros ! » La vente des matériels devenus inutiles (tracteur de tête, herse, semoir, chisel, charrue) a permis d’apporter 50 000 euros de trésorerie. La décision de passer en bio, prise aussi en 2016, est « venue un peu comme la cerise sur le gâteau. Il ne restait pas grand-chose à faire ».
Maîtriser la reproduction, un point essentiel
Pour réussir en vêlages groupés de printemps, deux piliers doivent être maîtrisés : la reproduction et l’herbe. Le Gaec Vert de lait porte une grande attention aux inséminations. « Nous commençons à noter les chaleurs début avril, soit deux cycles avant le début des inséminations au 25 mai », soulignent Franck et Maud. Dans la laiterie, un tableau où les vaches sont classées par semaine de vêlage facilite le suivi. « Nous gardons vingt veaux : les douze premières génisses laitières à naître, deux mâles, ainsi que six veaux croisés viande (Blanc bleu ou charolais) car nous avons une surface à valoriser », détaille Maud. Les autres sont vendus à 15 jours. Les veaux reçoivent 6 litres de lait en deux repas en biberon collectif jusqu’à 2 mois, puis un seul repas jusqu’au sevrage à 4 mois. Ils sont élevés sur une parcelle proche et rentrés la nuit jusque fin avril. Les génisses sevrées sont dehors toute l’année et conduites en pâturage tournant simplifié, avec six paddocks par classe d’âge. « Un avantage des vêlages groupés est d’avoir des lots très homogènes. »
La reproduction est la principale cause de réforme. Le taux de réussite des vaches en première IA avoisine 70 %. Les génisses (mises au taureau) vêlent à 24 mois. Vaches et génisses sont échographiées en septembre. « Notre but est de faire vieillir nos vaches. Le taux de réforme est de 18 %. Il peut encore être amélioré, cela nous permettrait d’élever plus de génisses viande. »
Observer et mesurer la pousse de l’herbe
Les vaches sont elles aussi en pâturage tournant simplifié sur 18 parcelles. Le passage de 25 ares à 100 ares par vache s’est fait progressivement. « Nous nous sommes formés et avons créé petit à petit nos repères comme "arrêter de donner du stock à 20 jours d’herbe d’avance", "35 jours de temps de retour au printemps"… » Les éleveurs font le tour des parcelles une fois par semaine pour mesurer la hauteur d’herbe sur pied. « S’il y a trop d’herbe, nous débrayons une parcelle. Débrayer ne veut pas dire forcément faucher. Nous faisons aussi des stocks d’herbe sur pied dès juin en 45-60 jours pour l’été. » Le logiciel Herb’avenir les aide à piloter le pâturage finement : « il convertit les hauteurs d’herbe mesurées à l’herbomètre en jours d’avance et permet de faire des prévisions en simulant différents scénarios ».
L’élevage fonctionne avec très peu de stocks : 250 roundballers de 400 kg fauchés et pressés par entreprise. La période d’alimentation avec des stocks de foin est réduite. « Les vaches sont taries pendant les deux mois où elles sont en bâtiment. Leurs besoins sont réduits à 11 kg MS/j et leur effectif est réduit à 35 avec le départ des réformes. Le foin est distribué pour dix jours : en une heure et demie à deux, le tour est joué ! »
Le Gaec récolte fin mai sur 10 hectares « une petite coupe de super qualité donnée aux vaches pendant la lactation », et en juin 15 hectares de foin « le plus dur possible pour les taries ». Il est complètement autonome en fourrages grâce au bas niveau de chargement de 1,2 UGB/ha SFP. Le risque climatique est bien maîtrisé. Le Gaec dispose de stocks de sécurité (70 roundballers en 2023). Il vend habituellement l’équivalent de 12 hectares en foin qui servent de tampon. « En 2021, nous n’avions plus de stocks de sécurité : nous les avons reconstitués avec une première coupe sur ces hectares », explique Franck.
Une dernière étape a été franchie en 2020, en embauchant une salariée à mi-temps. « Dans l’absolu, nous n’avons pas besoin d’un mi-temps supplémentaire. Mais nous voulons pouvoir partir en vacances au moins six semaines par an, argumentent-ils. Nous sommes aussi très impliqués, l’un au niveau du Cedapa-réseau Civam, l’autre au niveau de Biolait et voulons passer du temps avec nos trois enfants. »
Franck et Maud sont vraiment allés jusqu’au bout de leur système très extensif. Un système, ils en sont bien conscients, « qui ne correspond pas à tout le monde mais qui nous convient bien : nous n’aimons pas faire du tracteur et ne voulons plus utiliser de produits phyto… »
Fiche élevage
Gaec Vert de lait
De la monotraite intégrale depuis 2022
Le passage à la monotraite a été progressif. En 2020, la traite du soir a été supprimée à partir du 1er août après les pics de lactation. En 2021, à partir du 1er mai et en 2022 dès le vêlage. « Avec de la monotraite toute l’année, notre volume de lait a diminué en 2022 de 23 % par rapport à 2019, mais nous n’avons perdu que 10 % de notre chiffre d’affaires. Les taux ont augmenté de 1,5 en TP et 2,5 en TB » , constatent Franck et Maud. Viennent s’ajouter les économies d’eau, d’électricité, d’usure des manchons et de temps de travail. La monotraite a eu aussi un impact sur la reproduction : toutes les multipares sont pleines en 2022. Les réformes ont gagné deux tiers de classe. « Nous ne prenons pas de risque financier avec la monotraite : il est toujours possible de faire marche arrière. »
Avis d'expert : François Leray, animateur au Cedapa
« Tout est cohérent »