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L'objectif de -50 % de phytos est-il tenable ?

La pression sociétale pour réduire l'utilisation des phytos n'en finit pas de monter. Tout le monde s'empare du sujet : l'agriculture, l'alimentaire, les politiques... Comment atteindre cet objectif collectif fixé par le gouvernement ? 

 

La réduction des phytos est une attente des consommateurs et surtout une attente sociétale très forte, très large et qui monte. La pression médiatique joue beaucoup sur les peurs et la question n'a souvent pas un traitement scientifique, ou tout simplement honnête. Comme l'émission Envoyé spécial sur le glyphosate qui n'interroge pas d'expert scientifique. Le glyphosate n'est pas la molécule la plus préoccupante, mais elle est le symbole d'une lutte contre les phytos et contre Monsanto.

Mais le rejet des citoyens envers les produits phytosanitaires n'est pas que le fait d'une poignée de gens sans culture scientifique. Il y a aussi des scientifiques qui s'inquiètent et alertent sur des risques potentiels liés à certains produits. Ainsi, une coalition de 120 ONG européennes et internationales, d'institutions et de scientifiques a lancé le 31 octobre 2018 un manifeste à Bruxelles pour réclamer une réforme de la procédure d'autorisation des pesticides dans l'Union européenne, afin de garantir une protection effective et véritable de la santé publique et de l'environnement. Des rapports de députés européens appellent à fixer un objectif européen de réduction de l'utilisation des pesticides, à interdir l'utilisation de pesticides contenant des substances actives mutagènes, cancérigènes ou toxiques pour la reproduction ou perturbatrices du système endocrinien. Une intégration des objectifs de réduction de l'usage des pesticides dans la future PAC est probable.

L'agroalimentaire et la grande distribution se saisissent de la question. La grande distribution - de France, d'Allemagne... - interroge ses fournisseurs : " Que pouvez-vous me proposer en "sans glyphosate" ? " L'agroalimentaire cherche à y répondre, comme l'illustre le lancement récent de tomates bretonnes " cultivées sans pesticides " (marques Savéol, Prince de Bretagne, Solarenn). Le marché ira peut-être plus vite que le réglementaire sur la question, à condition de rémunérer ces nouvelles productions situées entre conventionnel et bio.

Un coup d'accélérateur sur la réduction

Enfin, vous qui êtes les premier concernés, de plus en plus vous cherchez à réduire votre exposition et celle de votre entourage. Dans ce dossier, notre objectif est de vous aider à trouver votre voie dans la forte rupture qui agitera l'agriculture, comme la nomme Christian Huyghe, directeur de recherche Agriculture à l'Inra. Car une réduction forte des phytos n'ira pas sans changement dans la façon de produire et de valoriser les productions agricoles.

Dans ce contexte, le gouvernement français accélère sur le réglementaire et le programme Ecophyto. Ecophyto 2+, qui intègre le plan de sortie du glyphosate au plan Ecophyto 2, confirme l'objectif de réduction de -25 % en 2020 et -50 % en 2025, collectivement, toutes cultures confondues. Ce n'est pas un objectif réglementaire, mais il dessine un cap.

Mais comment y parvenir ? Ecophyto 1 n'a pas eu d'impact important sur les quantités de produits phytosanitaires utilisées. " C'est parce qu'il n'y avait pas d'objectif contraignant en la matière, rappelle Christian Huyghe. Cela n'a pas créé un contexte favorable aux innovations pour réduire l'usage des phytos. " Mais Ecophyto 1 a tout de même mis en place plusieurs mesures : le certiphyto pour tous les agriculteurs utilisateurs, ce qui était un préalable indispensable ; le réseau des fermes Dephy qui s'est développé au fil des ans ; la mise en ligne dans chaque région de bulletins de santé du végétal pour aider les agriculteurs à raisonner leurs interventions ; et un programme de contrôle de tous les pulvérisateurs utilisés pour l'application des phytos.

Vers 30 000 fermes en groupes et réseaux

À présent, pour aller plus loin, " le principal défi est de déployer auprès du plus grand nombre d'agriculteurs les techniques et les systèmes plus économes et performants ", indique le ministère de l'Agriculture, en préambule de la présentation d'Ecophyto 2+. Et à vitesse grand V, pour être en mesure d'atteindre l'objectif de -50 % en 2025, et pour amener des solutions suite à l'interdiction des néonicotinoïdes et à celle à venir du glyphosate, prévue le 31 décembre 2020. D'ici là, un grand nombre de produits à base de glyphosate ne seront plus commercialisés. Sur les 58 produits qui demandent leur renouvellement d'AMM (autorisation de mise en marché), seuls ceux pour lesquels aucune alternative n'est identifiée pourront obtenir une AMM jusqu'au 31 décembre 2020.

Parmi les mesures listées par le ministère de l'Agriculture, notons l'accompagnement des agriculteurs via des aides à l'investissements, des MAEC... et un déploiement du réseau des fermes Dephy avec un objectif de 30 000 fermes organisées en groupes et en réseaux. Les agriculteurs concernés par la démarche sont organisés en collectifs : Civam, Ceta, Geda, GIEE, Cuma, coopérative, signe de qualité... Les expérimentations sont dans les fermes, et les meilleurs ambassadeurs sont les agriculteurs eux-mêmes.

 

Quatre mesures réglementaires

1 - La hausse de la redevance pour financer l'évolution

De nouveaux taux de redevance pour pollution diffuse (RPD) s'appliquent sur les ventes réalisées depuis le 1er janvier 2019. Le taux augmente pour les substances actives les plus préoccupantes. " La RPD pour les phytos est faible mais elle donne un léger signal économique pour inciter à chercher d'autres solutions ", commente Christian Huyghe, directeur de recherche Agriculture à l'Inra. La redevance collectée permet de financer des actions du plan Ecophyto pour environ 70 millions d'euros. Autre signal économique : l'interdiction des rabais, remises et ristournes sur les produits phytosanitaires, et un tarif unique pour un même produit depuis le 1er janvier 2019.

2 - Un conseil indépendant de la vente

Les coopératives et les négoces devront choisir entre devenir un organisme de conseil indépendant ou faire de la vente de produits phyto. Un délai est prévu pour une pleine application de la mesure à compter de l'été 2022. Les agriculteurs achetant des produits phyto devront suivre un conseil stratégique obligatoire. Le conseil spécifique, ou conseil de saison, devra être réalisé par un organisme indépendant. L'information liée au produit phyto restera de la responsabilité des vendeurs. " C'est un bouleversement pour les coopératives et négoces, mais cela donne plus d'indépendance aux agriculteurs. L'enjeu est de former les conseillers aux techniques alternatives ", estime Christian Huyghe.

3 - Favoriser les solutions alternatives avec les CEPP

Les Certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) concernent dans un premier temps les vendeurs de produits phytosanitaires, à l'exception des traitements de semences et des produits de biocontrôle. Ils doivent réaliser des actions pour réduire l'utilisation de produits. Cinquante fiches action donnent dorénavant droit à des certificats : produits de biocontrôle, outils d'aide à la décision, insectes auxiliaires, variétés résistantes, plantes compagnes... En 2021, les distributeurs devront avoir cumulé des certificats à hauteur de 20 % de leurs ventes de phytos. " C'est un outil vertueux car il donne une valeur économique aux solutions alternatives. Les vendeurs seront incités à proposer des solutions alternatives. Les CEPP devraient donc encourager l'innovation ", espère Christian Huyghe.

4 - De possibles autres interdictions de molécules

" Accélérer le retrait des substances les plus préoccupantes " est un des objectifs d'Ecophyto. D'autres interdictions viendront donc. " C'est un levier dangereux car il génère des impasses pour les petites cultures dont on a besoin pour diversifier les assolements et allonger les rotations. Cela crée souvent un report vers d'autres solutions chimiques, avec un risque de sélection de flores et de microorganismes spécialisés qui développent des résistances. Il faut vraiment des innovations massives et originales. Sinon, tant qu'il est plus évident pour un agriculteur d'opter pour une alternative chimique que pour une évolution de son système de culture, la réduction des IFT sera limitée ", analyse Christian Huyghe.

Dico

Système de culture : Ensemble de techniques mises en œuvre sur un ensemble cohérent de parcelles. Chaque système de culture se définit par la nature des cultures, leur ordre de succession (rotation) et les itinéraires techniques appliqués à ces différentes cultures.

IFT : L'indice de fréquence de traitement est l'indicateur de suivi de l'utilisation des produits phytosanitaires (hors traitement de semence et biocontrôle). Il correspond au nombre de doses appliquées par hectare ramenées à la dose homologuée, par hectare et par an. Il peut être calculé au niveau d'une culture, d'un système de culture, d'un territoire. Exemple : si un agriculteur fait trois traitements à demi-dose sur un quart de son système de culture, cela donne 3x0,5x0,25 égale 0,375 IFT.

IFT de référence : Les références sont données par région et par culture. Elles tiennent compte des pratiques culturales représentatives d'une région. Exemple : pour le maïs, l'IFT herbicide de référence va de 1,5 en Haute-Normandie à 1,98 en Poitou-Charentes.  

Systèmes de culture économes et performants : Ce sont des systèmes dont l'IFT est inférieur à 50 % de l'IFT de référence et avec un indicateur économique au-dessus de la référence (marge semi-nette). En 2019, le réseau Dephy caractérisera aussi les systèmes sur leur impact travail, et sur tous les aspects environnementaux, pour identifier et promouvoir des systèmes de culture multiperformants.

Chiffres clés

Le réseau Dephy ferme comptait en 2018 plus de 3 000 exploitations, contre 1 200 en 2011. Sur les 3 000 fermes, 1 632 sont en grandes cultures et polyculture-élevage, dont 16 % sont en bio. Les fermes sont structurées en 254 groupes de 12 agriculteurs. Le réseau Dephy, c'est aussi 43 projets expérimentaux en 2019.

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