Quatre façons de limiter le coût d’achat du capital à l’installation en lait
Pour faciliter l'installation en élevage laitier, l’Institut de l’élevage a répertorié quatre solutions de portage de capital dans le cadre d’une étude réalisée pour FranceAgriMer. Des solutions qui impliquent une vision différente du métier, ne sont pas forcément toutes opérationnelles en l’état, mais amènent à réfléchir.
Pour faciliter l'installation en élevage laitier, l’Institut de l’élevage a répertorié quatre solutions de portage de capital dans le cadre d’une étude réalisée pour FranceAgriMer. Des solutions qui impliquent une vision différente du métier, ne sont pas forcément toutes opérationnelles en l’état, mais amènent à réfléchir.
Les installations sont aujourd’hui très majoritairement financées par des prêts bancaires ou familiaux. Les refus bancaires sont peu nombreux, mais certaines situations sont plus compliquées à faire financer. Notamment les installations hors cadre familial, en particulier quand il s’agit d’installations en individuel, par manque de garanties ou d’apport personnel. Ou les situations avec de gros investissements de modernisation qui nécessitent des capitaux importants donc des besoins de garantie ou une sécurisation du financement par plusieurs acteurs. Peut-être faut-il, pour ces situations difficiles, imaginer des formules où une partie du capital est portée par d’autres. Dans cette optique, quatre solutions ont été identifiées par l’Institut de l’élevage et ses partenaires(1).
1 – Un portage temporaire de capital
C'est le principe des fonds d’investissement qui apportent sur une durée limitée des capitaux propres aux côtés de ceux de l’exploitant. Cette solution permet d’avoir un effet levier au niveau des banques. Elle nécessite la création d’une SCEA ; l’apport de capitaux se fait sous forme de prise de participation au capital de la SCEA. Les conditions sont encadrées par un protocole d’accord et un pacte d’associés. Ils détaillent les conditions de sortie, les modalités de suivi du projet et les objectifs de rentabilité des fonds.
La motivation des investisseurs peut être très différente. Trois profils ont été identifiés. Les fonds d’investissement privés recherchent avant tout de la rentabilité et de la défiscalisation ; c’est le cas du fonds Labelliance Agri, le coût est très élevé pour celui qui s’installe. Les fonds d’investissement portés par une filière ont un tout autre objectif : développer leur activité économique en accompagnant l’installation, comme Soleo développement, a priori beaucoup plus intéressant. Troisième type de porteurs de capitaux : les collectivités locales qui cherchent à préserver l’activité économique sur leur territoire. Dans ce cas, le portage se fait via une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) qui associe impérativement des salariés (l’éleveur), des clients bénéficiaires, et des collectivités locales. « Cette solution est assez rigide au niveau juridique. Elle est actuellement utilisée pour la reprise de PME de transformation, mais pas en production. Elle pourrait par exemple être utilisée pour un jeune qui s’installe sur une commune avec de la vente directe », explique Emmanuel Béguin, de l’Institut de l’élevage.
Pour ces trois profils d’investisseurs, le principe est le même : un partage des risques entre différents acteurs qui accompagnent le projet et interviennent dans la gouvernance. « Cet accompagnement peut être perçu comme un atout pour la réussite du projet. Ou comme un frein car il faut accepter le regard de personnes extérieures à l’exploitation sur son fonctionnement. »
2 – Une coopérative pour éviter le rachat du capital
Le principe de la forme coopérative (Scop, Scaec ou Scic) est de créer une réserve impartageable qui permet d’éviter aux nouveaux entrants le rachat du capital. Dans ce cas, les exploitants sont salariés de l’entreprise. Au fur et à mesure que celle-ci se développe, les capitaux vont dans la réserve impartageable. Ce dispositif est très favorable lors de la transmission car lorsqu’un associé sort, le capital reste dans l’entreprise coopérative. L’apport de parts sociales est donc très limité pour le nouvel associé. En revanche, celui-ci n’a pas accès aux aides à l’installation car il a le statut de salarié. Et l’accès aux aides du second pilier de la PAC est compliqué pour la même raison. Pour qu’elle se développe, il faudrait donc des évolutions réglementaires.
La forme Scop est très utilisée dans l’industrie ou dans l’artisanat par des salariés qui reprennent leur entreprise. Elle l’est très peu en agriculture à cause du problème de valorisation du capital de départ ; il existe quelques exemples en viticulture. La forme coopérative pourrait être intéressante dans le cas où il n’y a pas trop de capital au départ pour anticiper une future transmission : par exemple lors d’un regroupement d’exploitations qui investissent ensemble dans une nouvelle stabulation.
« Cette solution modifie complètement la vision du métier : on est dans une vision entrepreneuriale. Ce qui compte, c’est le salaire que l’entreprise peut verser. Elle oblige à chercher le maximum de rentabilité et non pas à viser la capitalisation, souligne Emmanuel Béguin. Le changement est plus radical que pour les fonds d’investissement où le portage est temporaire. Le travail est dissocié du portage du capital. »
3 – Le share milking des pays anglo-saxons
Ce système néo-zélandais est présent aussi en Australie, Grande-Bretagne et Irlande. Il s’agit d’un contrat entre le cédant (propriétaire) et le repreneur (share milker), avec un partage du résultat selon une clé de répartition. Le propriétaire apporte une partie importante des moyens de production (le foncier, la salle de traite, une partie des intrants). Le repreneur possède en général le troupeau et les autres équipements ; il gère le troupeau et les salariés. Les décisions stratégiques sont prises par le propriétaire seul ou avec le share milker. Le système permet au jeune de se concentrer sur les investissements à retour rapide.
« Une des difficultés est l’absence de rémunération du share milker lorsqu’il n’y a pas de résultat, précise Emmanuel Béguin. Avec un prix du lait plus volatil, le share milking a tendance à régresser en Nouvelle-Zélande car faute de capital foncier, le share milker a des difficultés pour contracter des prêts de trésorerie » Par contre, le statut de contract milker se développe. Le principe est le même mais avec une rémunération fixe pour le contract milker. « Le système semble difficile à reproduire à l’identique, mais il interpelle. Ce qui est intéressant, c’est l’implication du cédant qui garde une partie du capital. »c
4 – Une société de fait avec statut de copropriété
Ce dispositif est utilisé dans le secteur de la pêche pour faciliter l’achat du bateau, un investissement très lourd pour un jeune (700 000 € pour un bateau de 15 mètres). Une société de fait est constituée entre le jeune pêcheur et la coopérative impliquée dans l’activité de pêche. Ils sont copropriétaires du bateau (20 % minimum pour le jeune). Au bout de dix ans, le jeune doit acheter l’intégralité de l’outil. Pendant les années de copropriété, le résultat est réparti chaque année en fonction du capital apporté. Le jeune bénéficie d’un appui technique et doit rendre des comptes. « Le principe rejoint celui de Soleo (le fonds d’investissement porté par la filière), note Emmanuel Béguin. Là aussi, la motivation est de conserver l’activité de pêche sur le port. »
(1) l’Afsa Nord Pas-de-Calais, la chambre d’agriculture de l’Aveyron, Cerfrance Poitou-Charentes et Blézat Consulting.
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Soléo développement, un fonds d’investissement porté par la filière
Soléo a été créée en 2014 en Poitou-Charentes par quatre coopératives pour accompagner leurs adhérents ; depuis, elles ont été rejointes par sept coopératives ou banques. « Contrairement aux fonds d’investissement privés, l’objectif n’est pas la rentabilité mais le développement de l’activité économique de la filière : le taux d’intérêt est très bas. Le dispositif paraît plus intéressant. Il permet de lever des situations à risque », souligne Emmanuel Béguin, de l’Institut de l’élevage. Il prévoit une étude économique pour connaître la rentabilité et la viabilité du projet ainsi que les compétences de l’exploitant. L’entrée au capital induit un copilotage. Des tableaux de bord remplis par le jeune sont transmis régulièrement à Soléo. Le suivi du projet est coordonné par la laiterie et associe le centre de gestion, le contrôle laitier, la banque... La sortie de Soleo est prévue au bout de cinq ans, voire plus si nécessaire.
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Peu de projets financés par Labelliance Agri
Le système privé de portage temporaire est trop coûteux pour celui qui s’installe.
Les fonds d’investissement privés recherchent avant tout de la rentabilité et de la défiscalisation. C’est le cas du fonds Labelliance Agri, qui a été créé il y a quelques années par la filière ovine pour accompagner les exploitants. Il est constitué d’investisseurs désireux de réaliser des économies fiscales à travers le dispositif « pacte Dutreil ». Le principe repose sur l’apport de fonds propres sous forme de participation au capital social de l’entreprise agricole. Les fonds sont bloqués entre 8 et 10 ans et l’objectif de rentabilité est fixé entre 135 et 155 % (sans garantie sur le capital investi). L’exploitant est majoritaire et assure la gestion opérationnelle. Un suivi technico-économique du projet par un GUFA (groupement d’utilisation de financements agricoles) lui est imposé. Au terme des huit ans, il doit racheter les parts de la société réévaluées (entre 135 et 155 % de la valeur de départ). « Il y a eu très peu de projets financés par ce fonds car le système est trop coûteux pour celui qui s’installe : le coût global (incluant les frais de gestion du dispositif) est compris entre 6,375 % et 8,875 %. Mais aussi parce que l’exploitant n’est plus totalement maître des décisions », constate Emmanuel Béguin de l’institut de l’élevage.
À savoir
L'étude « Les solutions de financement pour aider l’installation des jeunes agriculteurs dans le secteur laitier » est disponible sur le site de FranceAgriMer. Elle présente une trentaine de solutions, financières ou non, dont le portage de capital, détaillées sur une vingtaine de fiches.