Les robots de traite au centre de la collecte de données
Les constructeurs de robots de traite ont conscience qu’ils ne peuvent plus vendre d’équipement sans proposer une valorisation des données collectées. Mais, chacun se cherche.
Les constructeurs de robots de traite ont conscience qu’ils ne peuvent plus vendre d’équipement sans proposer une valorisation des données collectées. Mais, chacun se cherche.
Aujourd’hui, le robot est beaucoup plus qu’un automate de traite. Avec toutes les données qui sont collectées, il devient un outil de pilotage de l’élevage laitier », explique Édouard Alix, responsable robotique et solutions connectées pour l’Europe chez Delaval. Depuis deux ans, nous sommes dans une dynamique de solutions de plus en plus connectées. Il y a une véritable attente des éleveurs sur les données que peut fournir le robot pour gérer plus finement leur élevage. Aujourd’hui, il n’est pas envisageable de vendre un robot de traite sans proposer des services associés. » Signe de cet intérêt stratégique pour le big data, Delaval a lancé d’« énormes investissements », notamment la création d’un data center en Allemagne et le rachat d’un spécialiste allemand des solutions informatiques agricoles, Uniform-Agri.
Le robot de traite centralise, via sa plateforme informatique, les données de traite et de consommation de concentré, mais aussi des informations issues de divers capteurs connectés, installés sur le robot ou dans la stabulation et dédiés à l’identification préventive des pathologies (identification électronique, compteurs infrarouges, compteurs à cellules, détecteurs d’activité, caméra infrarouge de mesure de l’état corporel, laboratoire d’analyses chimiques à la ferme, portes intelligentes…). « On peut récupérer plus de mille données par vache et par jour », assure François Dyèvre, responsable service élevage chez Lely France.
« Proposer des actions vache par vache »
Les fabricants ont développé de puissants algorithmes pour trier et croiser toutes ces données et les mettre à disposition des éleveurs sous forme d’indicateurs utiles et faciles à lire. Parmi les plus remarquables, des indices globaux de santé qui permettent de visualiser d’un coup d’œil les vaches à surveiller, quelle qu’en soit la cause. Mais, ces indices ne sont qu’un début du potentiel de services que recèle le big data. « Après la mise à disposition des données brutes, puis leur restitution sous forme d’indices, aujourd’hui, nous attaquons une troisième étape qui consiste à proposer des actions vache par vache », détaille Édouard Alix. Delaval a ainsi développé une application santé qui affiche directement l’action à réaliser sur telle ou telle vache (traitement, apport de propylène, appel du vétérinaire…) selon les données collectées par le robot. L’éleveur doit écrire au préalable ses protocoles de soins avec l’aide d’un prescripteur (vétérinaire…).
Le benchmarking pour se comparer
Pour sa part, Lely propose une application (DLM) qui adapte la quantité d’aliment distribuée au robot en fonction de la réaction de la vache à ces apports de concentré et des prix du lait et de l’aliment. Même si l’éleveur peut à tout moment reprendre la main, ces « prises de décision » par le robot supposent de faire confiance aux algorithmes de calcul. L’élevage à l’heure des mathématiques !
Chez les fabricants de robots, la tendance est également au benchmarking, c’est-à-dire à la comparaison de résultats entre exploitations par le biais d’une plateforme web. Des groupes d’éleveurs sont constitués (par région, niveau de production, race…) permettant des comparaisons entre pairs. Des applications mobiles permettent également aux éleveurs de partager des données de synthèse avec leurs prescripteurs (fabricant d’aliment, vétérinaire…).
« Associer la donnée à du conseil »
« Il pourrait être tentant de proposer un service totalement dématérialisé, moins onéreux, mais ce n’est pas ce que demandent les éleveurs, affirme Édouard Alix. Ils ont besoin de conseil, de contact, de lien de confiance… » Il observe d’ailleurs « un phénomène d’usure » sur le benchmarking. L’enjeu des constructeurs de robots est donc « d’associer la donnée à du conseil ». Jusqu’à présent, « pour aller vite » et en attente « d’une meilleure visibilité du marché », Delaval s’appuyait sur des partenaires (entreprises de conseils en élevage, vétérinaires…). « Sur les deux ou trois prochaines années, nous allons intégrer ces compétences chez les concessionnaires, mais sans obligation », indique Édouard Alix.
Chez Lely, les conseillers assurent un suivi après la mise en service des robots à partir de documents de synthèse. « Nous exploitons les données produites par les robots, précise François Dyèvre. Mais, nous n’avons pas l’intention de nous substituer aux fabricants d’aliments ou aux nutritionnistes. Notre rôle est de vérifier que ce qui est proposé par le nutritionniste soit bien donné aux vaches. » Il reconnaît néanmoins que le robot, qui occupe une place centrale dans l’élevage, va entraîner « une redéfinition globale du conseil que les éleveurs pourront avoir. À eux de trouver les personnes qui pourront leS conseiller à partir des données produites quotidiennement par le robot ».
Un « moratoire » sur la question du partage des données
Le responsable des solutions connectées de Delaval ne s’en cache pas : « l’entité qui a la donnée a un avantage comparatif sur les autres ». Les constructeurs de robot sont-ils prêts à les partager, moyennant conditions négociées, pour permettre à d’autres de faire du conseil ? « Il y a un vrai moratoire sur le sujet, confie Édouard Alix. Les enjeux sont très importants. C’est le métier des uns et des autres qui est remis en cause. » « Lely international travaille sur un système d’échange de données avec les partenaires. Nous attendons des instructions et des applications précises », dévoile François Dyèvre.
Mais, tous reconnaissent que les demandes sont fortes. « Les entreprises de conseil en élevage, les vétérinaires et autres prescripteurs ont une carte à jouer sur la valorisation des données, la création des protocoles de soins, l’approche économique… Nous sommes prêts à collaborer, affirme Édouard Alix. Mais, il ne faut pas oublier que les données appartiennent à l’éleveur. Il est libre de les partager ou pas. De plus, il y a encore des limites techniques et des inconnues légales sur la propriété de la donnée en Europe. Nos métiers se croisent. L’enjeu est de savoir qui va faire le conseil. Nous n’avons pas encore les réponses. »