« Le lait de pâturage est un plus pour le bien-être de nos animaux comme pour nous »
Au Gaec Hohrain, à Mietesheim dans le nord du Bas-Rhin, Gilles Urban, Jonathan et Gaëtan Karcher ont saisi au bond en 2017 la balle qui leur a permis de se lancer dans le lait de pâturage. Il améliore la marge de l’atelier lait, la santé du troupeau et leur image d’éleveurs.
Au Gaec Hohrain, à Mietesheim dans le nord du Bas-Rhin, Gilles Urban, Jonathan et Gaëtan Karcher ont saisi au bond en 2017 la balle qui leur a permis de se lancer dans le lait de pâturage. Il améliore la marge de l’atelier lait, la santé du troupeau et leur image d’éleveurs.
« Le lait a toujours été prédominant sur la ferme. Dans la famille, on a la fibre animale. Et avec la moitié de la surface en herbe, c’est une évidence. Mais si Jonathan, puis Gaëtan n’avaient pas manifesté leur désir de s’installer, rien n’aurait sans doute bougé. Avec Michel, mon père, proche de la retraite, soixante vaches me suffisaient », raconte Gilles Urban. L’arrivée successive de ses deux neveux, Jonathan en 2014 et Gaëtan en 2016, enclenche une dynamique de croissance. Chacun bénéficie d’une dotation de 150 000 litres. Le volume contractualisé dépasse les 700 000 litres. Les 15 % supplémentaires que la laiterie accorde presque chaque année augmentent encore la marge de manœuvre. Le Gaec Hohrain peut dès lors songer à produire sa référence.
Une prime lait de pâturage de 15 €/1 000 l
La première décision des associés est d’agrandir la stabulation, dès 2014. Ils rajoutent un troisième couloir raclé pour monter à 90 logettes béton abondamment paillées matin et soir. Ils décident d’augmenter les effectifs sans aucun achat extérieur. « Nous avons gardé 54 vaches en cinq ans. Ce qui a pénalisé la moyenne du troupeau. Pendant tout un temps, nous avons couru après chaque litre pour essayer d’atteindre les volumes que la laiterie nous octroyait. En 2019, 46 % des vêlages étaient encore des premiers vêlages. 2020 est la première année où nous avons assez de génisses. Cela va nous permettre de réformer les vaches les moins performantes », constate Jonathan. Un autre levier est mis en place depuis le début de l’année. Les associés ont recours au génotypage axé sur le lait et la morphologie. Le niveau d’étable progressera plus vite. « La stabulation actuelle ne peut loger davantage de laitières et on ne peut plus l’agrandir. La meilleure solution est d’augmenter la production par vache », analyse Gilles.
Le pâturage ne va pas hypothéquer cet objectif. L’élevage le pratiquait mais l’avait abandonné en 2002 au profit d’une ration à base d’ensilages de maïs et d’herbe ainsi que des pulpes de betteraves, censée être « plus rentable ». Il y serait sans doute resté s’il n’y avait eu en 2017 la demande d’Alsace Lait, la coopérative qui le collecte. « Sans la prime de 15 €/1 000 l, nous n’aurions pas donné suite », reconnaît Gilles. Il faut dire que les éleveurs détiennent un atout de taille : leur parcellaire. Onze hectares exposés plein sud sont attenants à la stabulation. En septembre 2017 donc, céréales et betteraves à sucre cèdent la place à un mélange de trèfle blanc, de fétuque, de dactyle et de ray-grass anglais. « Nous avions l’expérience de sursemis. Selon les conditions, nous utilisons un déchaumeur à disque ou à dents. Le semis à 25 kg/ha est combiné avec le passage de la herse rotative. Un rouleau tasse le tout », explique Jonathan. Les éleveurs ont adopté une rotation sur six ans. Ils resèment deux hectares en maïs chaque année. « Nous pouvons revenir à la culture. Nous ne voulions pas nous refermer cette porte. On ne sait jamais », commente Gilles, prudent.
Une belle vitrine pour l’élevage
La mise en place du pâturage nécessite d’investir 4 000 euros. Ils servent à réaliser 500 mètres de chemins, dont la moitié stabilisée avec du concassé, et à acheter piquets et fils électrifiés pour délimiter vingt-et-un paddocks. « Cette dépense a été vite amortie. Le bilan annuel montre une économie de 3 600 euros sur le coût alimentaire, prime de 15 euros non prise en compte », calcule Jonathan. Les éleveurs ont sollicité l’appui du BTPL pour calculer la taille des paddocks, comment les découper et les gérer. « J’étais sceptique sur l’intérêt de tracer un chemin au milieu du champ. Mais c’est ce qu’il fallait faire. Nous faisons pâturer une parcelle par jour. Le troupeau s’est habitué. Il suffit de tendre le fil devant la meneuse pour faire bifurquer tout le monde », indique Jonathan. Le cahier des charges impose une surface de 10 ares par vache et fait obligation au troupeau de passer sur toutes les parcelles. Toutes les vaches traites et au moins 90 % de l’effectif doivent sortir quotidiennement au moins 6 heures par jour pendant 120 jours au minimum. « Je tiens un cahier de pâturage qui précise la parcelle pâturée, les horaires de sortie et de rentrée ainsi que le nombre d’animaux concernés. Je note leur nom, même si je n’y suis pas obligé, annonce Jonathan. Nous sommes contrôlés par le technicien de la laiterie. Mais un auditeur externe s’est déjà déplacé. »
« Le lait de pâturage est un plus pour les animaux comme pour nous, résume Gilles. La pâture diminue un peu la charge de travail à l’étable. Elle participe au bon état général de nos vaches et leurs pattes sont en meilleure santé. J’ai moins besoin de les parer. Notre système reste malgré tout relativement intensif. Le village compte 670 habitants qui préfèrent, voire veulent voir brouter les vaches. Comme la parcelle est légèrement en pente en direction d’une route régulièrement empruntée, c’est une belle vitrine pour l’élevage. Je suis adjoint au maire. Et j’ai eu beaucoup de remarques positives. Il n’y en a pas quand nous sortons le fumier. »
En 2020, chaleur et sécheresse ont limité la saison de début mars à début juillet. Les vaches pâturaient de 9 à 17 h ou de 19 h 30 à 7 h quand le thermomètre s’affolait. « Il faut encore avancer la mise à l’herbe en saison », estime Jonathan qui se donne l’herbe « à hauteur de cheville » pour repère. Les éleveurs envisagent aussi de poser un abreuvoir alimenté avec de l’eau du réseau pour les parcelles les plus proches du bâtiment. Les plus éloignées continueront à être approvisionnées par tonne.
« Tout doit coller pour produire plus »
Le lait de pâturage gagne un autre intérêt cette année. Alsace Lait ne limite plus la production des élevages engagés dans cette charte. « Si la coopérative doit un jour remettre un frein, le dernier litrage livré deviendrait notre référence. Une telle décision nous convient. On n’a pas connu cela depuis la mise en place des quotas ! Cela tombe bien. Notre outil est prêt. Les derniers réglages sont en cours. En octobre, le contrôleur laitier est venu poser une caméra qui a filmé la stabulation pendant vingt-quatre heures. Nous voulons être certains que les animaux circulent bien, que leurs temps d’attente et de couchage sont corrects, que l’accès aux abreuvoirs est facile. Tout doit coller pour produire plus. C’est notre objectif », lancent Gilles et Jonathan.
Le seul bémol pourrait venir d’un rapport surface/cheptel qui rend l’autonomie fourragère « un peu juste ». En année classique, les prairies naturelles donnent deux, voire trois coupes. Mais ces trois dernières saisons, la sécheresse limite la productivité de ces terres séchantes à la seule coupe de foin. Pour compenser, les éleveurs ensilent donc avec un rendement de 12 à 14 tMS/ha tous leurs maïs dont 15 hectares irrigués par un prélèvement en rivière. Les premières génisses génotypées vêleront en 2021. Les jeunes vaches qui vont prendre la relève d’une trentaine de laitières en fin de carrière devraient mieux valoriser une ration calée à 33 kg bruts de maïs ensilage, 6 kg de méteil ensilé comme céréales immatures au printemps, de 4 à 6 kg (en fonction du stade de lactation) d’un mélange de coproduits, de 3,8 kg de correcteur et de 1 kg de foin. Les éleveurs se gardent la possibilité de distribuer un peu de concentrés supplémentaires aux trois DAC placés au centre de la stabulation.
Les veaux mâles engraissés sur caillebotis
Les trois associés travaillent en permanence de concert, wek-end compris. « C’est un choix. Comme ça, chacun est libre de 9 h 15 à 17 h le dimanche. Chacun peut aussi prendre de une à deux semaines de vacances », explique Jonathan. Au Gaec Hohrain, le collectif est une force. « Bien sûr qu’il faut apprendre à travailler ensemble. Mais on peut confronter les idées. Et seul sur l’exploitation, c’est dur », glisse Gilles. À trois, il y a du temps de disponible pour « tout faire bien » et même se consacrer à une culture spéciale comme le raifort. Qui plus est, « tout le monde sait tout faire ».
L’atelier lait mobilise surtout Gilles, 46 ans, et Jonathan, 27 ans. Ils sont ensemble à la traite. Le premier s’occupe plus du suivi sanitaire et des inséminations, du parage systématique annuel effectué au tarissement, le second davantage des génisses, des veaux, de la gestion du pâturage et de la charge administrative. Gaëtan, 24 ans, est en charge de l’affourragement. Sa tâche s’est allégée depuis qu’il conduit une mélangeuse automotrice. « Notre bol a cassé fin 2019. Nous avons eu recours pendant trois mois à des solutions de fortune, dont des locations, avant de trouver l’opportunité d’acheter pour 110 000 euros, en copropriété à 50/50 avec un autre éleveur du village, une automotrice d’occasion à couteaux d’une capacité de 20 m3. Elle est précise à 20 kg près. Je charge ce qui est prévu. L’attaque du silo est plus franche qu’avec le chargeur. Le triticale se mélange mieux. La ration est plus homogène, les bêtes trient moins et je vais plus vite. Je récupère la machine vers 8 h 15. Je termine en quarante-cinq minutes ou en une heure selon le programme », détaille Gaëtan. Le jeune homme prépare chaque jour deux rations et trois tous les deux jours. En effet, les génisses logées l’hiver dans un bâtiment au toit en pente construit en 1964 ne sont affourragées que tous les deux jours par souci de gagner un peu de temps.
Le Gaec Hohrain garde tous ses veaux. « Au prix où on peut espérer les vendre aujourd’hui, c’est le meilleur choix », calculent Gilles et Jonathan. Les mâles sont engraissés sur caillebotis. Ils ne nécessitent pas beaucoup de travail et « ils ne coûtent que ce qu’ils mangent ». Les éleveurs vendent une trentaine d’animaux par an. En 2019, l’atelier leur a laissé une marge brute de 10 000 euros. Ils entendent améliorer ce niveau avec des animaux mieux conformés. Ils utiliseront là aussi le génotypage pour croiser les mères avec des taureaux de race montbéliarde ou vosgienne.
« Plus de confort au vêlage et moins de temps de traite »
Les investissements dans un bâtiment vêlage et dans une salle de traite 2x14 simple équipement ont eu des effets très positifs.
° Les éleveurs ont construit en 2018 un bâtiment vêlage de 16 x 24 m en bardage bois dans le prolongement de la stabulation et de sa fumière. Les éleveurs ont aménagé deux box sur la moitié de sa surface(1). Ils sont paillés depuis une passerelle implantée au-dessus des cornadis. Un ballot de paille y est monté par chargeur avant d’être réparti à la fourche et à la main vers l’arrière du bâtiment. Jusque-là, les vaches vêlaient un peu à l’étroit dans une case paillée du bâtiment principal. Ce déménagement leur offre de meilleures conditions, qui n’ont pas tardé à montrer des effets positifs. « Depuis la mise en service du bâtiment, nous n’intervenons pratiquement plus. Les vaches sont isolées trois semaines avant la date prévue du vêlage. Elles sont plus calmes et se débrouillent seules. Elles vêlent mieux car elles disposent de plus de place. Les métrites sont devenues l’exception », détaille Gilles Urban. Elles sont nourries avec une ration de 16,5 kg de maïs ensilage, 3 kg de céréales immatures, 300 g de correcteur et du foin à volonté.
A lire aussi: "J'ai mis sous le même toit tous les animaux à risques"
° L’équipement de traite a été adapté au troupeau début 2019. La 2 x 5 en épi a été remplacée par une 2 x 14 simple équipement. « À deux, nous passons 90 vaches en une heure trente contre trois heures auparavant », relève Gilles. Les quais comme la fosse et l’escalier ont été revêtus d’un tapis confortable autant apprécié par les animaux que par les trayeurs. Le couloir de retour est volontairement assez large pour permettre à une suiveuse de doubler sa consœur qui aurait décidé de ne plus bouger. Les éleveurs ont écarté le robot en raison d’un effectif de vaches insuffisant pour deux stalles. « Ce sont aussi 100 000 euros que nous n’avons pas eu à dépenser », souligne Gilles.
Avis d'expert : Killian Guey, ingénieur conseil BTPL dans le Bas-Rhin
« L’outil de production a été mis en cohérence »