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« Le bien-être au quotidien est notre priorité »

Au Gaec des Verts Monts, dans la Somme. Installés en couple, William et Béatrice Guillot n’éprouvent pas le besoin de prendre des congés. Mais ils investissent pour préserver leur qualité de vie.

Un couple installé en Gaec avec deux sites distants de 40 kilomètres, c’est tout sauf banal. Quand ce même couple ne prend pas de week-ends ni de vacances, ça ne l’est pas plus. Et pourtant, c’est bel et bien la réalité que vivent au quotidien Béatrice et William Guillot depuis 2002. Et ils l’assument pleinement. « J’ai toujours voulu être agriculteur. Nous sommes bien dans notre peau. Se libérer du temps pour avoir des activités ou prendre des vacances n’est pas une priorité pour nous. En revanche, nous faisons le maximum pour que nos conditions de vie et de travail soient bonnes. »

Exploiter deux sites très éloignés semble contradictoire avec la philosophie du couple. Mais la rareté des terres dans la région, couplée à l’historique de la création du Gaec, ne leur ont pas laissé le choix. « Je me suis installé en 1997 sur l’exploitation de mes parents avec un quota de 200 000 litres de lait et une surface de 65 hectares. À l’époque, Béatrice avait le statut de conjointe participante. Nous avons bénéficié d’une rallonge de 60 000 litres. De leur côté, ses parents étaient installés à 40 kilomètres d’ici avec un quota de 260 000 litres de lait et 70 hectares. Comme ils n’avaient pas de repreneurs, nous avons créé un Gaec avec eux et regroupé les deux troupeaux en 2002. »

Plus de 800 000 litres de lait avec un robot

 
 Le remplacement du robot Lely A2 par le A5 a permis de gagner 3 à 4 litres de lait par vache grâce à un gain de temps d’au moins une minute par vache et par traite. © F. Mechekour

 

Cinq ans plus tard, suite aux départs successifs en retraite des parents, William et Béatrice Guillot ont investi dans un robot de traite Lely A2. « Ça allait coincer en main-d’œuvre. Sauf en cas de coups durs, nous ne voulions pas demander de l’aide à nos parents. Ils ne voulaient plus traire. Ils avaient des soucis de santé. On n’allait pas en rajouter. »

L’option embauche d’un salarié n’a pas été retenue. « J’ai eu deux salariés sur deux ans, mais ça n’allait pas. Ce n’était peut-être pas mon truc », souligne William, préférant prendre à son compte l’entière responsabilité de ces « échecs » plutôt que d’épiloguer plus longtemps sur le sujet. « J’ai privilégié le robot de traite pour ne pas avoir de pression avec la gestion d’un salarié. Et quand je vais travailler dans les champs sur l’autre site, ma femme n’est pas dépassée par les événements. Elle n’a pas de sources de stress. En hiver, sauf cas particulier, nous terminons nos journées vers 18 h 30. » Un robot, pour un quota de 620 000 litres de lait, c’était jouable. « Au départ, on a eu un peu peur, mais le robot a finalement bien « digéré » ce volume de lait. »

Au fil des attributions, la référence a grimpé à 700 000 litres. Par ailleurs, Sodiaal offre la possibilité de produire du lait sans limite d’août à octobre sans payer de pénalités. Le Gaec en a profité pour produire 45 000 litres de lait supplémentaires durant cette période en 2019. Lors de la campagne 2019-2020, le compteur des livraisons frôle les 800 000 litres. Pour la deuxième année consécutive, le volume contractualisé est dépassé d’environ 30 000 litres de lait. « A 60 euros pour 1 000 litres, l’opération est tout sauf rentable. » William Guillot envisage de faire des dons à des associations pour bénéficier d’un crédit d’impôt. 

 « J’aurais dû mieux gérer le nombre de femelles l’année dernière. J’ai réformé et tari plus de vaches que d’habitude, mais cela n’a pas suffi. Comme nous ne pouvons pas vendre d’animaux à cause de l’IBR, nous nous sommes retrouvés avec trop de femelles. » L’origine de la contamination du troupeau par l’IBR il y a huit ans reste un mystère. « Nous faisons 100 % d’inséminations et nous n’avons pas acheté d’animaux. » D’ici un ou deux ans, le troupeau devrait retrouver son statut « indemne d’IBR ».

Un investissement cohérent avec le projet de vie

Le surplus de production est également la conséquence du changement du robot Lely A2 par un A5 en janvier 2019. « Pendant huit mois, nos vaches étaient à 35-36 kg de lait. À ce rythme-là, nous partions sur un niveau de production de plus de 12 000 litres de lait par vache contre 10 000 litres auparavant. J’ai donc mis le holà pour freiner la production en tarissant plus de vaches. »

William Guillot attribue l’effet robot à une amélioration de la cadence de traite. « Avec le A5, on gagne environ 30 secondes par vache en temps de préparation, 15 à 20 secondes en temps de traite et 10 à 15 secondes en temps de sortie. Un gain d’une minute par traite à raison de 200 traites par jour, c’est plus de 3 heures gagnées. » L’accès au robot étant différent, il a fallu deux à trois jours pour que les vaches s’adaptent totalement au nouveau modèle.

Avec la reprise du modèle A2 (10 000 euros) et la conservation de certains équipements (compresseur, tank tampon…), le Gaec a finalement déboursé 90 000 euros. Le montant de la reprise a cependant été réinvesti dans les frais d’installation du A5 (14 000 euros). William et Béatrice ont par ailleurs choisi le contrat de maintenance Master à 8 000 euros par an. « Ce contrat inclut tout sauf les produits d’entretien du robot, de nettoyage des brosses et de trempage des trayons. Cela coûte environ 3 000 euros par an, mais nous avons bénéficié d’un geste commercial pour la première année. » L’investissement est loin d’être anodin. Mais il s’inscrit dans une stratégie globale où la prudence et le confort de travail priment sur les autres considérations.

Des achats de matériels de culture reportés

William Guillot a par ailleurs préféré reporter d’une dizaine d’années certains investissements en matériel dédiés aux cultures. « Il y a cinq ans je semais encore avec un vieux semoir qui ne payait pas de mine. J’utilisais une vieille moissonneuse-batteuse sans cabine avec une barre de coupe de 3,60 mètres de large pour moissonner une centaine d’hectares. »

Autre particularité du Gaec, tout le matériel est détenu en propriété. « Le tout sans basculer dans le surinvestissement », précise Anthony Chemin, de la chambre d’agriculture de la Somme. Seuls les ensilages sont faits par une ETA. Plusieurs raisons expliquent ce choix. « L’esprit Cuma n’est pas très développé dans notre région. À une époque, j’adhérais à une Cuma pour la tonne à lisier. Mais quand les adhérents ont renouvelé le parc, ils ont investi dans des tonnes à lisier de 24 m3 à trois essieux. Mon tracteur de tête de 160 ch n’était pas assez puissant surtout quand il fallait monter certaines côtes. »

La disponibilité et le temps à consacrer à l’entretien du matériel à chaque utilisation ont définitivement écarté l’option Cuma. « J’en ai finalement acheté une d’occasion de 11 m3 avec des gros pneus il y a huit ans. Je l’ai payée 15 000 euros. Je l’utilise quand je veux. Je la nettoie seulement quand j’ai terminé d’épandre le lisier. »

Une ration de base équilibrée à 31-32 kg

 
La fabrication en hauteur d’une plateforme pour stocker le foin de luzerne-dactyle facilite sa distribution le matin et soir (4 balles par semaine). © F. Mechekour

La maîtrise du coût alimentaire est un autre point fort du Gaec. Le potentiel de certaines terres offre un sérieux coût de pouce. Les rendements en ensilage de maïs tournent autour de 15 tonnes de matière sèche par hectare. Ils peuvent atteindre 19-20 t MS/ha les bonnes années. « J’épands du lisier en automne (environ 35-37 m3/ha) et du fumier (28 t/ha) en mars, puis je sème le maïs quand la terre est réchauffée. Mais je n’utilise pas d’engrais starter. »

La ration de base est équilibrée à 31-32 kg. L’ensilage de maïs (35 à 40 kg brut) est complété avec 3 kg de foin de luzerne-dactyle de très bonne qualité. « Il vaut largement du Rumiluz », estime l’éleveur. Depuis trois ans, la pulpe surpressée est distribuée (6 à 7 kg brut) pour diversifier la ration. « Je trouve que mes vaches vieillissent mieux. Elles reprennent plus vite de l’état après le vêlage. » L’évolution du prix de la pulpe remet cependant en cause son utilisation. « Nous l’avons payée 42 euros la tonne. Son prix a même atteint 44 euros la tonne. Si cela continue, il faudra que je trouve un autre aliment. » La ration de base comprend également 1,2 kg de tourteau de colza distribué à l’auge et des minéraux. Par ailleurs, les vaches consomment 1,5 kg de correcteur à base de tourteau de soja au robot.

Un concentré de production (VL 21) est distribué aux primipares à plus de 28 litres de lait et aux multipares à plus de 32 litres. « Je leur en distribue 500 grammes par tranche de 1,5 litre de lait supplémentaire jusqu’à 50 litres de lait. Au-delà, les vaches se débrouillent. » Un correcteur azoté est distribué à raison de 500 grammes par tranche de 5 litres de lait.

Pas de génotypage ni de semences sexées

La gestion de la reproduction du troupeau est simple mais efficace. L’inséminateur se charge du choix des taureaux en tenant compte des objectifs de sélection de l’élevage. La qualité des membres et des mamelles, notamment au niveau de l’équilibre et de l’écart arrière des trayons, est surveillée de près. « Je recherche des taureaux qui ne font pas des vaches de grande taille parce qu’elles sont moins robustes. » Côté production, la priorité est mise sur les taux tout en maintenant le lait. Les éleveurs n’ont pas recours au génotypage ni aux semences sexées. « Nous avons suffisamment de femelles et le niveau génétique de notre troupeau nous convient bien. » Le suivi Repro est limité à quelques tests de gestation Diag 2000 (dosage d’une protéine émise par l’embryon dans un prélèvement de sang) pour les génisses et des vaches douteuses. Les passages fréquents dans la stabulation des vaches facilitent la détection visuelle des chaleurs. « Comme nous avons installé des tapis dans les couloirs, les vaches ont moins peur de glisser et expriment mieux leurs chaleurs. » L’activimètre (capteur dans un collier) fourni avec le robot de traite complète l’observation visuelle. « C’est un sacré plus ! »

Préserver la transmissibilité de l’exploitation

Le système est bien calé. Il ne devrait pas connaître de grosses évolutions d’ici le départ en retraite du couple, dans une bonne dizaine d’années. « Nous avons quasiment fini de tout payer. Il faut qu’on en profite un peu », souligne Béatrice Guillot. Du côté des terres, les opportunités d’achat ou de location sont quasiment inexistantes ou hors de prix. Produire plus de lait n’est pas une option envisagée. « On se voit mal gérer un troupeau de 120 vaches. Il vaut mieux en avoir moins et bien faire son travail. » William et Béatrice Guillot l’envisagent d’autant moins que cela remettrait en cause leur système : obligation d’investir dans un deuxième robot, remise à plat de l’organisation du travail et des rotations, autorisation seulement pour 80 vaches… Cette orientation pénaliserait probablement la transmissibilité de leur ferme. L’augmentation de la taille des structures et les montants des reprises les inquiètent. « Il y a de plus en plus de situations où les jeunes motivés par le lait n’ont pas les moyens financiers pour s’installer », regrettent-ils. Le couple fait en sorte que ce ne soit pas le cas pour leur fils Benjamin (20 ans) lorsqu’il s’installera sur la ferme familiale.

La phase solide du lisier dans les logettes creuses

Confort des vaches, aucun problème sanitaire, économie de paille… Au Gaec, la recherche du bien-être concerne également le troupeau.

 
Ces logettes sont très confortables et les vaches très propres. © F.Mechekour

 

« Je cherchais une alternative à la paille parce que j’avais diminué mes surfaces en blé au profit du maïs. Je voulais également éviter d’aller chercher de la paille sur l’autre site. » L’option logette creuse est alors suggérée en 2007 par un concessionnaire. Ce dernier organise une visite en Alsace dans un élevage ayant fait le choix des logettes creuses remplies avec la phase sèche du lisier (séparateur de phase). Le premier ressenti de William était plutôt négatif. « Au départ, je me suis dit, on sépare de la merde pour remettre des vaches sur de la merde, on est vraiment tombé bien bas. Mais l’éleveur produisait du munster fermier et n’avait aucun problème sanitaire dans son troupeau. J’ai donc fini par opter pour ce système. » 

Des trayons et mamelles très propres

Le bilan est plutôt positif. « Les trayons et les mamelles des vaches sont nickel, c’est top pour le robot. Mais pour éviter les problèmes sanitaires, il faut être rigoureux au niveau de l’entretien des logettes. Il faut les recharger toutes les semaines avec une couche de lisier sec d’au maximum 10 cm d’épaisseur. Au-delà, la litière peut chauffer. » Autre avantage, le produit qui sort étant suffisamment sec (25-27 % MS), il peut être stocké en bout de champ. Après dix ans de fonctionnement, le premier séparateur de phase a été remplacé, avec à la clé des économies d’électricité. « L’ancien modèle mettait cinq heures pour traiter le lisier produit sur une journée contre seulement une heure pour le nouveau. »

Avis d’expert : Anthony Chemin, chambre d’agriculture de la Somme

« Une efficacité optimale »

 
Anthony Chemin, chambre d’agriculture de la Somme.« Une efficacité optimale » © F. Mechekour

« William et Béatrice Guillot sont des gens épanouis. Ils aiment leur métier. La conception du bâtiment des vaches laitières a été réfléchie pour une efficacité optimale de la main-d’œuvre. Le travail d’astreinte quotidien est de quatre heures par jour à deux personnes (traite, alimentation, gestion de la litière), ce qui est bien inférieur à la majorité des élevages. Ils sont bons techniquement. Leur système est simple, efficace et très cohérent. Toute évolution est étudiée pour ne pas remettre en cause le système qu’ils ont choisi. Ils ont par ailleurs une stratégie d’investissement prudente. Avant la crise de 2016, ils avaient un an de trésorerie d’avance. Leur objectif est de maintenir la bonne rentabilité et la cohérence de l’exploitation afin de transmettre un outil viable à leur fils, qui devrait s’installer d’ici une bonne dizaine d’années. »

Chiffres clés

SAU 154 ha dont 12 ha de luzerne-dactyle, 21 ha de prairies, 24 ha de maïs et 70 ha de blé, 15 ha de colza et 12 ha de pois
Cheptel 80 Prim’Holstein à 9 283 kg (moyenne économique)
Référence 700 000 l 
Lait vendu 721 648 l
Chargement apparent 2 UGB/ha de SFT
Main-d’œuvre 2,2 UMO

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