Le beurre a de nouveau la cote
Des relations commerciales difficiles et une baisse conjoncturelle de l’offre ont vidé temporairement les linéaires. La demande de beurre devrait rester soutenue au cours des prochaines années.
Des relations commerciales difficiles et une baisse conjoncturelle de l’offre ont vidé temporairement les linéaires. La demande de beurre devrait rester soutenue au cours des prochaines années.
Une pénurie de beurre ? Une situation inédite depuis la Deuxième Guerre mondiale. De quoi tenir en haleine la presse grand public et les réseaux sociaux pendant des semaines. Surtout quand il s’agit d’un produit alimentaire, dont les Français sont les champions du monde de la consommation (8 kg/an/hab). Une médiatisation qui a aggravé l’effet de pénurie en provoquant une « razzia des consommateurs » sur le rayon beurre des grandes surfaces, selon le cabinet Nielsen, précisant que, fin octobre, le taux de rupture dans les magasins atteignait 48 %. Ces rayons de beurre à moitié vides sont une des conséquences des relations commerciales extrêmement difficiles entre la grande distribution et ses fournisseurs.
Une hausse de tarif de 8 % en France, de 72 % en Allemagne
« Partout dans le monde, la demande en beurre supérieure à l’offre tire les prix vers des sommets, pointait récemment le Cniel. Or, dans un contexte de guerre des prix entre distributeurs, la majorité des centrales d’achats françaises refusent de procéder à des hausses tarifaires nécessaires. Le prix du beurre au consommateur a ainsi augmenté de 8 % entre septembre 2016 et septembre 2017 en France selon l’Insee, quand dans le même temps il a augmenté de 72 % en Allemagne. " Et cette faible répercussion de la hausse des cours par la grande distribution conduit les industriels laitiers à arbitrer vers des marchés mieux valorisés à l’international.
Un brusque retournement de tendance en 2014
Voilà pour le symptôme, spécifiquement français. Mais, pourquoi un tel intérêt pour la matière grasse ? Le prix mondial du beurre est passé de 2 500 €/tonne au printemps 2016 à 7 000 €/tonne en septembre dernier, avant de redescendre de nouveau aux alentours de 5 500 €/tonne fin octobre. Des sommets jamais connus et le résultat d’un classique déséquilibre entre offre et demande. « Si l’on exclut l’Inde, la production mondiale de beurre devrait augmenter cette année de près de 7 000 tonnes quand la consommation est attendue en hausse de plus de 50 000 tonnes, notamment en Asie du Sud-Est et aux USA », explique Pierre Begoc, directeur des affaires internationales chez Agritel.
Alors que le beurre était depuis plusieurs décennies cloué au pilori par la médecine, un retournement de tendance s’est brusquement produit en 2014. Des études scientifiques fortement médiatisées ont réhabilité le beurre, désormais pourvu de nombreuses vertus (voir ci-contre). Parallèlement, les margarines sont tombées de leur piédestal pour cause d’huile de palme, de matières grasses hydrogénées et d’additifs qui n’ont plus la cote. À cela s’ajoute une aspiration des consommateurs à revenir à des valeurs de naturalité — les aliments non transformés redeviennent en vogue — et de plaisir. Il n’y a qu’à voir le succès des émissions de télé consacrées à la cuisine. Ingrédient culinaire courant et exhausteur de goût, le beurre en profite pleinement. « Toutes ces tendances ont lancé un mouvement massif et mondial en faveur du beurre, analyse Gérard Calbrix, économiste à Atla. De plus, la Chine et l’Asie en général se ruent sur les pâtisseries et viennoiseries à la française fabriquées avec du beurre. Nous avons assisté à une explosion de la demande en beurre et en crème dans ces pays-là. »
Les stocks de printemps n’ont pas été constitués en 2017
Face à cette demande soutenue, l’offre en beurre est à la baisse depuis 2016 en raison d’événements conjoncturels. Conditions climatiques défavorables, prix du lait en forte chute, plan d’aide européen à la réduction de la production… la collecte européenne a régressé jusqu’en juin dernier. À cela s’ajoute un marché des fromages plutôt dynamique, notamment les fromages ingrédients consommateurs de matière grasse, et, à l’opposé, un marché de la poudre de lait écrémé complètement déprimé. « La situation des marchés incitait les industriels à faire du fromage et à transformer a minima en beurre/poudre », explique Gérard You, spécialiste de la conjoncture laitière à l’Institut de l’élevage. De janvier à août 2017, la production européenne de beurre est en baisse de 4,8 % par rapport à la même période de 2016, alors que les fabrications de fromages sont en hausse de 2 %. De plus, selon Agritel, « ce léger repli est à associer à un recul de la production néozélandaise et à une disparition de l’offre américaine désormais dédiée à la fourniture des besoins domestiques ».
Que va-t-il se passer dans les mois à venir et à plus long terme ? La reprise de la collecte laitière en Europe depuis cet été se confirme nettement, y compris en France. « La production de lait étant plus importante au premier semestre en Europe, traditionnellement, on stocke du beurre au printemps pour les utilisations du second semestre où on est déficitaire », explique Gérard Calbrix. Ces stocks n’ayant pas été reconstitués en 2017, c’est aussi une des causes de la pénurie actuelle.
« Beaucoup d’éléments qu’on ne maîtrise pas »
Offre et demande devraient donc commencer à se rééquilibrer à partir du printemps 2018. « Je ne vois pas les cours du beurre baisser de façon très importante avant le printemps 2018 », prévoit Benoît Rouyer, directeur du service économie et territoires du Cniel. Cette valorisation jamais égalée de la matière grasse est-elle « une tendance structurelle ou juste une parenthèse ?, s’interroge-t-il. On n’est pas à l’abri d’une déconvenue parce qu’il y a beaucoup d’éléments qu’on ne maîtrise pas. C’est vraiment le grand thème du moment. Il faut que les discussions entre producteurs et laiteries soient très ouvertes. »
Gérard Calbrix est plus tranché : « c’est un phénomène pérenne. De grandes entreprises européennes nous disent que, dans les années à venir, elles produiront de plus en plus de fromages et de moins en moins de beurre, du moins tant que les stocks européens de poudre de lait écrémée n’auront pas été écoulés. » « La valorisation de la matière grasse va être supérieure à celle de la protéine pour au moins les cinq prochaines années », pronostiquait l’été dernier Christophe Lafougère, directeur de Gira, société de consulting spécialiste des marchés agroalimentaires. Il prévoit que, de 2016 à 2021, la Chine va doubler ses importations de beurre et de crème, sachant que la consommation annuelle moyenne de beurre par habitant ne dépasse pas 100 grammes…
À petits volumes, gros effets
Les quantités de beurre et de matière grasse laitière échangées sur le marché mondial en 2016 ont atteint 1 million de tonnes (Mt), contre 850 000 tonnes en 2011, pour une production totale de plus de 10 Mt. L’Inde en produit près de la moitié mais ne participe quasiment pas aux échanges mondiaux. Avec 2,3 Mt, l’Union européenne est le deuxième producteur et le deuxième exportateur. Quant à la Nouvelle-Zélande, premier exportateur, elle ne produit que 565 000 tonnes, mais assure plus de la moitié des échanges mondiaux. Les États-Unis, troisième producteur, exportent peu car ils alimentent d’abord leur marché intérieur. Quant aux importations (2016), la Russie (94 000 t) et la Chine (71 000 t) sont en tête, suivis de l’Arabie Saoudite (52 000 t), de l’Égypte (44 000 t), du Mexique (35 000 t) et des États-Unis (35 000 t).
« Le marché mondial du beurre est un marché assez étroit qui était plutôt réservé aux pays développés, explique Gérard You. Mais, avec un flux qui a progressé rapidement, notamment sur la Chine, il suffit d’un petit dynamisme touchant des volumes pas très importants pour que cela ait un gros effet sur le prix. »
Le beurre, bon pour la santé
C’est la Une du 23 juin 2014 du magazine américain Time qui a fortement contribué à réhabiliter le beurre. Pendant trente ans, la médecine avait fait des acides gras saturés l’ennemi à abattre car supposés accroître le risque de maladies cardiovasculaires. Dès la fin des années 2000, des études ont montré que les acides gras saturés sont un domaine bien plus complexe qu’il n’y paraît et qu’il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. C’est leur excès qui pose problème et non leur nature.
La matière grasse laitière est notamment riche en acides gras saturés à chaîne courte qui sont bons pour la santé. « Globalement, les acides gras saturés ne sont pas délétères sur les maladies cardiovasculaires, explique Marie-Claude Bertière, médecin nutritionniste, directrice du département santé du Cniel. Certains, notamment les acides gras à chaîne courte, sont plutôt bons pour le bilan lipidique, et, par ailleurs, ils peuvent exercer des fonctions biologiques importantes pour la santé. » D’ailleurs, les autorités sanitaires françaises (Anses), ont revu à la hausse les apports conseillés en lipides et acides gras saturés dès 2010. Le trop peu de gras peut être aussi préjudiciable que le trop de gras. Un adulte en bonne santé peut consommer 20 grammes de beurre par jour dans le cadre d’une alimentation raisonnée.