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Matières premières : la tension sur les marchés alarme la filière laitière

Les prix des tourteaux et des céréales sont élevés depuis l'hiver dernier. Les craintes de rupture d'approvisionnement en tourteau de soja sans OGM perdurent. Un contexte stressant.

Réduire la dépendance en protéine achetée prend tout son sens avec la situation tendue sur les marchés depuis l'automne 2020.
Réduire la dépendance en protéine achetée prend tout son sens avec la situation tendue sur les marchés depuis l'automne 2020.
© A. Conté - Archives

Au jour où nous mettions sous presse - le 19 août - les prix des matières premières pour l'alimentation animale restaient élevés. Que ce soit les céréales à paille, le maïs ou les protéines, les marchés restent fébriles et réagissent à la moindre annonce concernant les récoltes dans l'hémisphère nord, les conditions de culture en Amérique du Sud, les prix de l'huile, du pétrole, ou les contrats de vente importants. « Du jamais vu ! D'habitude, il y a toujours des matières premières qui n'augmentent pas. Mais là, l'inflation est assez généralisée. En outre, la menace de rupture d'approvisionnement est toujours présente en soja PCR certifié sans OGM, avec un mois de novembre qui semble complexe ; nous devrions pouvoir assurer l'approvisionnement, mais à quel prix ? », soulignait François Cholat, président du Snia, à la mi-août.

La demande mondiale est soutenue, tirée fortement par la Chine, et l'offre n'a pas suivi. « Les stocks de report mondiaux sont moins élevés que d'habitude. Et malgré l'arrivée de la récolte 2021 de l'hémisphère nord, les prix devraient rester élevés en raison de volumes importants engagés sur les marchés à terme par les agriculteurs, comparés aux campagnes précédentes », estimait Philippe Charlotin, chef marché ruminant chez Eureden, en juillet.

Une demande mondiale supérieure à l'offre

Même les coproduits (drêches, pulpes...) ont augmenté cette année. « Il y a eu moins de disponibilité en coproduits à cause des confinements (moins de fabrication de bière, d'agrocarburant...). Depuis, les quantités reviennent, mais les prix sont restés élevés, du fait aussi d'une demande en drèche et pulpe valorisés en humide par la méthanisation », expose Gaël Peslerbe, directeur de Novial et président de Nutriarche, une association représentant les industriels de l'alimentation animale du Nord et de l'Est.

C'est le prix des tourteaux qui inquiète le plus les éleveurs. En soja classique, « les stocks de report sont plus faibles que d'habitude dans tous les pays exportateurs : USA, Brésil, Argentine », indique Philippe Charlotin. Le prix du tourteau de colza a subi une hausse de même importance. C'est surtout le tourteau de soja certifié non OGM qui a flambé. Il souffre d'un déficit d'offre. L'Inde, gros fournisseur mondial, a rencontré en 2020 de gros problèmes logistiques liés à la Covid-19. Au Brésil, les producteurs ne se sont pas embêtés à ségréguer (séparer les graines OGM des non OGM) et certifier les graines sans OGM (INF 0,9 %), vu la demande chinoise en soja non certifié.

Des éleveurs couverts jusqu'à cet automne

Le prix des aliments composés a aussi augmenté, avec un décalage dans le temps. « Il y a eu une première répercussion de hausse de prix au premier semestre, mais c'est surtout à partir de cet été que les prix des aliments composés augmentent. La situation est très variable d'un fabricant à l'autre, mais nous pouvons considérer qu'au début de l'hiver les fabricants n'auront pas d'autres choix que d'être au prix du marché - la crise aura alors commencé un an auparavant », développe François Cholat.

Heureusement, il semblerait que beaucoup d'éleveurs aient anticipé des achats. Les organisations de producteurs (OP) contactées estiment qu'un certain nombre sont couverts en tourteaux de soja et de colza jusqu'à l'automne, voire l'hiver pour quelques-uns. Les OP enquêtaient en juillet-août pour avoir une meilleure information des niveaux de couverture et des surcoûts.

Les rations ont été ajustées

Cette année 2021 bonne pour l'herbe, pâturée et récoltée, aide à passer ce cap. Avec des variations d'une zone à l'autre, les échos des régions indiquent qu'en quantité, la saison semble fructueuse. Les ensilages et enrubannages seraient de qualité, en énergie et protéine. Pour les foins, quand la météo pluvieuse a conduit à repousser des récoltes, les valeurs nutritionnelles en ont pâti. 

Lire aussi Prix du soja : Six leviers pour réduire le correcteur azoté

Les conseillers planchent sur les rations. « Il y a encore pas mal de marges de progrès pour réduire les concentrés sans baisser la production laitière », indique Germain Néré, chez Seenovia. « Les correcteurs et concentrés pour vache laitière intègrent encore beaucoup de soja, affichent des MAT élevées. On peut faire autant de lait avec des aliments à teneur en MAT moins élevées, en se servant par exemple des acides aminés de synthèse », pointe Gaël Peslerbe.

Pas d'écho de pénurie de colza

Selon les OP et les conseillers, beaucoup d'éleveurs ont substitué en partie ou en totalité du soja par du colza, et travaillé avec des coproduits quand ils en ont trouvé. Malgré les reports sur le colza, les conseillers n'ont pas entendu parler de difficultés d'approvisionnement sur le colza, sauf ponctuellement.

Beaucoup d'éleveurs en non-OGM avaient déjà franchi le pas fin 2020 face à la hausse des prix ; et même avant. L'APBO - association des producteurs Bel Ouest - indique ainsi que, en moyenne, entre la campagne 2017-2018 et 2019-2020, les quantités de tourteau de soja utilisées par l'atelier bovin lait ont baissé de 29 % par exploitation (enquête Seenovia sur 126 fermes en non-OGM), grâce à la modification des systèmes fourragers et à la révision des rations.

Répercuter les hausses en aval

En filière non-OGM, des laiteries ont déjà augmenté la prime au prix du lait, pour aider les éleveurs alors que l'écart de prix atteint 260 - 280 €/t entre le tourteau de soja certifié sans OGM et le classique non certifié, depuis avril dernier.

La hausse des prix des matières premières intervient alors que le prix du lait monte. Mais toutes les autre charges augmentent : matériaux, engrais... Les OP, laiteries, fabricants d'aliments... alertent sur l'enjeu majeur de répercuter les hausses des matières premières en aval jusqu'au consommateur, pour assurer la pérennité des élevages.

À titre d'exemple, l'OP liée à la Laiterie Saint Père (groupe Agromousquetaire) a demandé en juin une hausse de 7 €/1 000 l sur le troisième trimestre pour tenir compte de la hausse généralisée des charges, et un prix de base moyen annuel à 350 € au lieu de 345 € environ aujourd'hui. « Mais ils ont maintenu le prix du troisième trimestre à 355 € prix de base, comme l'an dernier, arguant que les éleveurs étaient encore couverts. Donc statu quo pour l'instant. Ils ne sont pas pressés d'augmenter le prix du lait à cause de la difficulté à faire passer des hausses de prix jusqu'au consommateur, qui est très sensible au prix », confie Elodie Ricordel, présidente de l'OP.  

Les opérateurs espèrent beaucoup d'Egalim 2 (loi Besson-Moreau) et de la pression qu'elle mettra sur les distributeurs lors des prochaines négociations tarifaires sur les marques nationales. 

Des prix élevés jusqu'à quand ?

Le défaut d'informations fiables complique la prédiction. « À la moindre information défavorable, les prix remontent. Et ça monte plus fort et vite que ça ne descend », décrit François Cholat, président du Snia.

Tourteau de colza.

La tension sur les marchés des matières premières alarme la filière

Malgré une production de l’UE-27 en légère augmentation par rapport à 2020 (+2 %), « la Commission européenne voit la consommation de graine augmenter, faisant reculer les stocks finaux. Et les tensions sur les marchés outre-Atlantique pourraient avoir des répercussions sur les marchés européens », indiquait l'Institut de l'élevage en juillet. La substitution du soja par du colza pourrait accroître la tension sur les prix. Pour finir sur une note d'optimisme : « Les surfaces baissent en France depuis trois ans, mais les bons rendements de cette année et les prix motivent les agriculteurs, et Terres Inovia anticipe une hausse des surfaces pour les prochains semis », indique François Cholat, du Snia.

Tourteau de soja.

La tension sur les marchés des matières premières alarme la filière

Tourteau de soja non certifié. Les prix restent élevés. Les principaux pays fournisseurs sont, par ordre d'importance : le Brésil (récolte au printemps), les États-Unis (récolte à l'automne), l'Argentine. Le climat sec de ces derniers mois inquiète les marchés. Tourteau de soja certifié sans OGM (< 0,9 %). Les cotations, quand il y en a, restent à des niveaux prohibitifs, 260 € au-dessus de celles du tourteau non certifié. Parmi les pays fournisseurs, le Brésil pourrait à nouveau ne pas ségréguer les graines comme à la dernière récolte. Reste à voir en octobre ce que donneront les récoltes en Inde et au Nigéria. L'Europe produit du soja sans OGM mais toute la production est complètement engagée dans des filières de qualité. « La prime au tourteau sans OGM pourrait rester supérieure à 100 €/t de façon durable. L'offre risque de ne pas se développer, tant la demande en tourteau classique devrait rester forte », estime Philippe Charlotin, d'Eureden.

Maïs.

La tension sur les marchés des matières premières alarme la filière

Le prix du maïs était encore très élevé début août, tiré par la demande mondiale.

Toutes les charges augmentent 

En exploitation. L'indice de charges Ipampa témoigne d'une hausse de l'ensemble des charges, dont aliments achetés, énergie et lubrifiants, engrais et amendements. L'indice général a atteint 111,3 points en mai dernier, soit +8,1 points par rapport au point bas atteint momentanément en mai 2020. Les charges pesaient pour 22 €/1 000 l de plus qu'en septembre 2020 (Source : Idele).

Dans l'industrie. Les laiteries font notamment part d'une hausse du prix des emballages, mais aussi des assurances.

Réduire la dépendance au tourteau de soja

Le développement de l'autonomie protéique, à l'échelle des exploitations et nationale, s'accélère dans ce contexte de prix élevés. La réduction de la dépendance au tourteau de soja n'a pas attendu cet épisode de tensions sur les prix. Elle répond à d'autres enjeux comme réduire la pression sur la déforestation et améliorer le bilan carbone(1). Poussé par la grande distribution, l'objectif des filières n'est pas le zéro soja ; c'est surtout de réduire la dépendance au soja importé de lointains pays et associé à des risques de déforestation.

Cela implique plus d'autonomie sur les exploitations, avec plus d'apport de protéine par les fourrages. Cela demande aussi un développement de filières régionales et nationales de ressources protéiques : végétales (pois, lupin, féverole, soja...), coproduits, et d'autres solutions innovantes comme les acides aminés de synthèse.

Le plan protéine et le plan de relance soutiennent des projets collectifs allant dans ce sens : Cuma Secoppa pour structurer une filière luzerne locale ; les Ets Tromelin pour la culture de pois, lupin, graine de lin en partenariat avec Bleu Blanc Cœur (BBC)...

(1) 90 % du tourteau de soja consommé par les filières d'élevage est importé.

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