La méthanisation agricole doit être agroécologique
Face aux attaques, les unités doivent être vertueuses au sein de leur territoire et le faire savoir. La méthanisation coche de nombreuses cases de l'agroécologie.
Face aux attaques, les unités doivent être vertueuses au sein de leur territoire et le faire savoir. La méthanisation coche de nombreuses cases de l'agroécologie.
La méthanisation a de nombreuses vertus. Elle valorise des effluents et des déchets. Elle produit du biogaz riche en méthane qui permet de produire de l'énergie renouvelable, soit sous forme de biométhane, soit sous forme de chaleur et d'électricité grâce à la cogénération. Après méthanisation, le digestat est valorisé comme amendement des sols et comme substitut d'engrais minéraux. En France, le cadre tarifaire et des soutiens publics ont orienté la méthanisation vers des systèmes valorisant beaucoup les effluents d'élevage et utilisant la chaleur. Contrairement au modèle allemand qui est parti dès le départ sur une valorisation du lisier, mais aussi de beaucoup de cultures énergétiques. Pourtant, en France, les attaques contre des unités de méthanisation se sont multipliées ces dernières années.
Vigilance sur la sécurité des équipements
Les riverains et les défenseurs de l'environnement se sont mobilisés suite à des pollutions accidentelles. La dernière en date a eu lieu dans le Finistère en août. La fosse de stockage du digestat de la centrale biogaz de Kastellin a débordé, polluant un cours d'eau et une zone de captage. « Ce cas montre l'importance de la formation pour maîtriser les process, et la nécessité de mettre en avant des acteurs de qualité via notamment des démarches de labellisation. Le label Qualimetha, porté par le club biogaz, est en cours de déploiement auprès des constructeurs », indique Gary Lucarelli, de l'association Aile.
Les protestations concernent souvent les grosses unités de méthanisation territoriales qui déplaisent à cause des va-et-vient des camions amenant les matières, et des odeurs. « Le digestat est un produit digéré qui a en général moins d'odeur que du lisier. Dans la très grande majorité des cas il est stocké en fosse couverte, et il est épandu avec des pendillards ou des enfouisseurs, donc ce n'est pas le digestat qui est visé. Ce sont plutôt des types d’intrants, comme des déchets d’abattoirs, qui peuvent être sources d’odeurs importantes », commente Gary Lucarelli.
Il faut éviter l’amalgame de ce type de projet avec les projets collectifs agricoles et locaux qui traitent essentiellement des déchets agricoles (effluents, résidus de cultures, Cive…), et qui ne génèrent pas plus d’impact olfactif qu’une exploitation agricole. Mais ils peuvent aussi être pointés du doigt par des riverains et des éleveurs.
Des dérives sur les Cive
Céline Laboubée, de Solagro, rappelle les avantages des Cive, cultures intermédiaires à vocation énergétique. « Elles ont un bon pouvoir méthanogène. Dans les assolements, elles valorisent le digestat et elles apportent des bénéfices agronomiques : structuration du sol, captation des éléments nutritifs excédentaires, concurrence des adventices... Aujourd'hui, dans presque tous les projets il y a des Cive, sauf dans les zones d'élevage où il y a une difficulté à assurer l'autonomie fourragère, vu que la priorité est donnée à l'alimentation du troupeau. »
Mais les dérives existent. « Il y a des unités où du digestat est épandu en plein été pour fertiliser les couverts semés, au détriment des cultures principales. Cette dérive est un non-sens agronomique, économique et environnemental », insiste Philippe Collin, de l'Association des méthaniseurs de France (AAMF). Arvalis mène un programme national (Recital) pour affiner région par région les conseils d'itinéraires techniques des Cive. Des contrôles sont nécessaires pour se prémunir de ces dérives.
Pas d'intensification des systèmes d'élevage
Le projet MéthaLAE, Casdar 2014-2018, piloté par Solagro, a analysé 46 exploitations, dont 21 en production bovine, engagées dans la méthanisation depuis au moins deux ans. « Notre étude démontre que la méthanisation peut être agroécologique. Les exploitations suivies mènent des démarches pour réduire la fertilisation minérale, le travail du sol... rappelle Céline Laboubée. Quand on voit des exemples où le passage en bio a été possible grâce à la méthanisation, on peut dire qu'elle peut être agroécologique et cela contredit l'idée que la méthanisation induit une intensification du système. » Les évolutions ont été mesurées entre une période de référence (2000-2013) et les années 2015-2016.
Sur les exploitations étudiées, la méthanisation n'a pas forcé la restructuration. La progression des surfaces et du nombre d'animaux est inférieure ou égale à la moyenne nationale. « Il n'y a pas de hausse du temps passé en bâtiment par les animaux. En clair, la méthanisation s'adapte à l'élevage, et non l'inverse. » Solagro souligne que la possibilité de réaliser des unités agricoles collectives est favorable aux petites exploitations qui ne peuvent investir seules. D'où l'intérêt de soutenir ce modèle.
Dans les exploitations MéthaLAE, il y a une réflexion globale du système fourrager. « Les rotations se sont allongées dans plusieurs fermes. Et dans les exploitations avec herbivores, la SFP est stable ou augmente, précise Céline Laboubée. L'autonomie alimentaire peut progresser, grâce à la valorisation du digestat, à l'exploitation des Cive, et grâce au séchoir à fourrage qui valorise la chaleur des unités avec cogénération. Le séchage permet de sécuriser la quantité et la qualité des fourrages. »
Moins d'engrais minéraux, un sol vivant
La baisse de la fertilisation minérale est un avantage très recherché de la méthanisation (lire pages 28 à 31). « Dans l'étude MéthaLAE, il y a deux ou trois exploitations en conversion bio, donc sans engrais minéraux, qui grâce à une bonne valorisation du digestat ont obtenu des rendements similaires au conventionnel », indique Céline Laboubée. Le digestat a été mieux ajusté par rapport aux besoins des plantes et le bilan de l'azote s'est amélioré en moyenne de 5 kg/ha pour les élevages laitiers. En unité collective, l'organisation des chantiers d'épandage permet une meilleure répartition des épandages sur les surfaces, par rapport à des structures individuelles où l'on épand près des bâtiments pour des raisons de charge de travail. Moins d'azote est perdu par volatilisation.
La richesse en matière organique est préservée (lire pages 28 à 31). Et « dans certaines exploitations qui ont des années de recul, les agriculteurs notent une vie plus riche de leur sol. Cette question doit encore être étayée scientifiquement ».
Des bilans GES améliorés
L'étude Méthalae confirme que la méthanisation permet une réduction du bilan GES (gaz à effet de serre) grâce à la production d'énergie renouvelable, au stockage du carbone par les Cive, et à la réduction des engrais minéraux. Même si les exploitations consomment plus de fioul pour épandre le digestat, du fait de volumes à épandre plus élevés par rapport à une fertilisation minérale. Au global, le bilan GES est bien amélioré. « On pouvait penser que la consommation d'énergie liée au transport augmente pour les unités collectives, avec des camions amenant chaque semaine des effluents au digesteur. Dans les faits, le bilan augmente peu, voire est meilleur qu'en situation initiale, car le transport de fumier/lisier et de digestat est optimisé entre les différentes exploitations », souligne Céline Laboubée.
La santé animale améliorée
Le fait que les effluents sont régulièrement évacués vers le digesteur améliore la qualité de l'air dans le bâtiment, surtout dans les stabulations sur caillebottis, car il y a moins d'émissions d'ammoniac. En système fumier, le raclage est plus fréquent (tous les dix-quinze jours) pour limiter la perte de pouvoir méthanogène du fumier. Les éleveurs témoignent du fait qu'il y a du coup moins de mouches dans la stabulation. En cogénération, la chaleur peut servir à chauffer l'eau de buvée des veaux.
Éviter les fuites de biogaz
Des fuites de biogaz, au niveau du digesteur et du stockage de digestat, sont possibles. En France, un projet de recherche conduit par l'Inrae (FeLeaks) démarre sur une quinzaine de sites pour évaluer les fuites. « Les premières observations ne montrent pas de dysfonctionnements majeurs. Les fuites ne proviennent pas de la qualité des constructeurs reconnus en France. Elles sont causées par de mauvaises pratiques d'exploitation qui engendrent une surproduction de biogaz. Il faut alors le détruire via une torchère ou le laisser s'échapper par la soupape de sécurité. C'est une perte de revenu et une émission de gaz à effet de serre, mais qui reste faible comparée aux quantités émises par une fosse à lisier découverte ou un fumier en bout de champ », indique Gary Lucarelli. Ceci milite pour que les porteurs de projet travaillent avec des entreprises reconnues et labellisées Quali métha, et pour que tous se forment aux bonnes pratiques d'exploitation.