La lutte collective contre les corneilles noires a fait ses preuves
Dans différents départements, des opérations concertées de piégeage de corneilles noires permettent de maintenir les populations à un niveau acceptable. C’est un travail de longue haleine.
Dans différents départements, des opérations concertées de piégeage de corneilles noires permettent de maintenir les populations à un niveau acceptable. C’est un travail de longue haleine.
Dans différentes régions, les dégâts de corvidés se multiplient. Ces derniers concernent essentiellement les jeunes semis de maïs. Les corvidés arrachent les plantules à la recherche du grain, retournent les mottes pour y débusquer vers et tipules. Les parcelles touchées peuvent alors nécessiter un resemis partiel ou complet. Ces oiseaux s’attaquent aussi aux cultures de pois (au semis et durant les semaines qui précèdent la récolte) et de blé, dont ils consomment les épis secs ou laiteux en profitant des passages de roues. Les denrées stockées ne sont pas non plus en reste. Les corvidés n’hésitent pas à piller les grains de maïs directement au front d’attaque du silo et ont la fâcheuse manie de percer les bâches d’ensilage ou d’enrubannés, engendrant souvent des pertes importantes. « Les effrayer avec des dispositifs d’effarouchement peut être une solution pour les éloigner, mais cela ne fait que déplacer le problème. D’où la nécessité, à l’échelle d’un territoire, de réguler les populations si on veut limiter les dégâts de façon cohérente et efficace », affirme Damien Paddioleau, de Polleniz(1).
Des opérations encadrées par arrêté préfectoral
Dans les Pays de la Loire, des opérations de lutte collective sont organisées depuis 2011. « La corneille noire, le corbeau freux et la pie bavarde sont des espèces autochtones, poursuit le spécialiste. Aussi, pour justifier notre action, nous devons au préalable recenser l’ampleur des dégâts causés par ces volatiles. » Polleniz centralise toutes les déclarations d’exploitants qui se sont fait connaître au sein de différents réseaux (DDT, chambre d’agriculture, syndicats agricoles, fédération de chasse…) et dresse une cartographie pour repérer les secteurs les plus impactés. Si les dégâts sont avérés, une opération de lutte collective est lancée, encadrée par arrêté préfectoral. « Il ne s’agit pas d’éradiquer mais d’intervenir à bon escient. Les corvidés ont un rôle à jouer dans l’écosystème, c’est pourquoi les opérations de lutte collective ne reviennent sur un même périmètre que tous les trois à quatre ans. » En général, le secteur retenu se calque sur celui présentant les dégâts les plus importants. Il est défini à l’automne et la période de piégeage intervient au printemps, au moment de la reproduction de corneilles, de fin mars à fin juin.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ? « Sur le département de la Loire-Atlantique, par exemple, nous disposons de 500 cages de piégeage que nous mettons à la disposition de toute personne bénévole, décrit Damien Paddioleau. Pour des résultats optimaux, nous travaillons successivement sur six secteurs contigus, rassemblant chacun plusieurs communes. Les cages restent en place quinze jours à trois semaines sur un même secteur. Entre 600 et 800 bénévoles sont mobilisés par campagne. » Dans le cadre de la lutte collective, il n’y a pas besoin d’être piégeur agréé. Par contre, il faut être disponible et de bonne volonté. Pendant les quinze jours où elles restent en place sur un site, les cages doivent être visitées au moins une fois par jour avant midi, avec enregistrement des prises.
Une cage installée tous les 50 hectares pendant 15 jours
« Nous conseillons de placer une cage tous les 50 à 70 hectares, dans un endroit visible des oiseaux, proche d’une source d’alimentation et d’eau. Généralement sur une prairie fraîchement fauchée, sur un jeune semis de maïs, ou à proximité du tas d’ensilage. » Le piégeage de la corneille se base sur l’instinct territorial de l’oiseau. Une corneille vivante est placée à l’intérieur de la cage ; elle attire les corneilles locales qui s’approchent pour défendre leur territoire. Les couples, unis à vie chez cette espèce, se montrent d’autant plus agressifs pendant la période de reproduction. Chaque couple piégé équivaut à cinq petits en moins chaque année. « Si un animal protégé (buse, hérisson…) est capturé dans la cage, les bénévoles ont pour consigne de le relâcher », précise Damien Paddioleau.
Ces actions donnent des résultats très intéressants. « Une opération conduite il y a deux ans, sur un périmètre comptant 138 000 hectares (33 communes) au nord-est de Nantes, a permis de capturer plus de 5 000 oiseaux, essentiellement des corneilles », dépeint Pierre Morice, de Polleniz. Trois ans auparavant, sur ce même secteur, les captures avaient été deux fois plus importantes. « Généralement, l’année qui suit l’intervention, le nombre de déclarations de dégâts diminue très fortement, et commence à remonter un peu au bout de deux ans. » Tout agriculteur victime de dégâts de corvidés a tout intérêt à effectuer une déclaration pour réguler les populations.
Le saviez-vous ?
Omnivore, la corneille a un régime alimentaire varié composé d’insectes, de vers mais aussi de graines, de fruits, de baies, de petits cadavres et d’oiseaux d’élevage ou sauvages. Elle a un rôle épurateur et d’équarisseur.
La réglementation encadre les moyens de défense
La liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces classées « susceptibles d’occasionner des dégâts » diffèrent selon les départements.
Le type d’intervention possible dans la lutte contre les oiseaux est lié au statut réglementaire de ces derniers. Le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes et l’étourneau sansonnet figurent parmi les espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » (Esod) – nouvelle appellation des « nuisibles » – dans l’arrêté ministériel du 3 juillet 2019, et ce pour trois ans. Mais en fonction des spécificités locales, les préfets décident, à l’échelle de chaque département, si l’ensemble des espèces précitées sont bel et bien « susceptibles d’occasionner des dégâts » sur leur territoire, ou si certaines peuvent être écartées de cette liste. Dans le Finistère, par exemple, c’est le cas de la pie bavarde, qui n’est désormais plus classée Esod. « Localement, la perte de ce statut peut notamment s’expliquer par un manque de retour de déclarations de dommages de la part des exploitants », dépeint Maël Peden, de la FDGDon du Finistère.
Une réglementation complexe avec révision triennale
Pour obtenir le statut Esod, la présence de l’espèce doit se révéler significative sur le département et doit porter une atteinte significative à l’économie (dont l’activité agricole), à la santé et la sécurité publique, ou encore en raison de son impact sur la faune et la flore. « Ce statut donne la possibilité de réguler les populations de façon plus simple et plus réactive. Le piégeage est possible toute l’année(1), par toute personne titulaire d’un agrément de piégeur disposant de matériel homologué, ou sans agrément des piégeurs dans le cadre des luttes collectives. » Les chasseurs peuvent aussi intervenir sur la corneille noire et le corbeau freux hors de la saison de chasse jusqu’au 31 mars. Des prolongations sur autorisation individuelle peuvent être délivrées par le préfet s’il n’existe aucune autre solution satisfaisante pour le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde et l’étourneau.
Le choucas des tours est protégé
Attention : malgré une expansion caractérisée dans le Grand Ouest et une augmentation des dégâts à son actif, le choucas des tours est une espèce protégée. Toute intervention nécessite une dérogation, avec un cadre très strict spécifique à chaque département.