Inquiète pour l’avenir de sa production laitière, la Bretagne sonne le tocsin
La première région laitière française craint pour l’avenir de sa production laitière. Si, jusque-là, la baisse du nombre d’exploitations n’avait pas entraîné de baisse de production, cette fois le risque plane.
La première région laitière française craint pour l’avenir de sa production laitière. Si, jusque-là, la baisse du nombre d’exploitations n’avait pas entraîné de baisse de production, cette fois le risque plane.
« Les résistances les plus fortes ont leurs points d’usure et leur point de rupture. Ce point de rupture n’est pas loin », alertent les présidents des chambres d’agriculture du Bretagne dans une lettre adressée au ministre de l’Agriculture fin novembre.
Le constat qu’ils dressent de l’élevage breton y est alarmant. « La tentation d’arrêter l’élevage n’est plus taboue dans les conversations […] Plusieurs ont déjà franchi le pas », déplorent-ils. Ajoutant que « les jeunes n’ont pas envie d'entrer dans un métier qui ne donne pas de perspective d’équilibre entre revenu et qualité de vie au travail, et sous la menace d’une critique permanente de la société dont ils font partie ».
De moins en moins d’exploitations
Si la déprise laitière est un phénomène bien connu dans le Sud-Ouest de l’Hexagone, la Bretagne restait jusque-là un territoire des plus dynamique. Ce que confirme Gérard You, économiste à l’Institut de l’élevage : « La trajectoire bretonne demeure dans le haut du panier mais devient moins dynamique que la Normandie par exemple », explique-t-il lors d’une journée visant à alerter sur ce « défi breton », organisée en décembre.
Le recensement agricole 2020, dont les premiers résultats sont d’ores et déjà disponibles, n’en dit pas moins. Si le lait reste l’orientation dominante, la Bretagne a perdu un quart de ses exploitations laitières, soit 2 500 en l’espace de dix ans, entraînant inévitablement leur agrandissement (+24 ha depuis 2010).
« Les catégories qui ont le plus perdu d’exploitations sont en premier lieu les laitiers, décrypte Claire Chevin, cheffe du service régional de l’information statistique et économique à la Draaf de Bretagne. Seul le maraîchage voit son nombre d’exploitations augmenter. » Le directeur de la Draaf, Michel Stoumboff, abonde : « Il y a beaucoup d’installations en maraîchage. Dans l’élevage laitier, c’est beaucoup plus problématique. »
Charges et surcharges de travail en cause
La Bretagne reste malgré tout sur la première marche du podium français en termes de cheptel laitier. Quelque 736 000 têtes ont été recensées lors du recensement 2020. Un chiffre comparable à 2010. Mais de fortes disparités s’installent. L’Ille-et-Vilaine connaît une nette tendance haussière (+6 % en dix ans) aux alentours de 242 000 vaches. Dans les Côtes-d’Armor, le troupeau laitier reste stable, un peu au-dessus de 185 500 bovins. À l’inverse, le Finistère voit son cheptel diminuer de 4 % à 161 300 vaches, tout comme le Morbihan (-3 % à 147 300 têtes).
Des chiffres plus récents pointent une évolution légèrement baissière de cette tendance régionale. Selon le Cniel, au 1er novembre, le cheptel breton avait diminué de 2,1 % par rapport à l’année précédente, à 733 000 vaches laitières. Le nombre de naissances issues de vaches laitières y aurait diminué de 1,6 %.
« Il y a une baisse régulière de la présence des troupeaux laitiers sur notre territoire », dénonce Benoit Portier, de l’équipe herbivores de la chambre d’agriculture de Bretagne. « Jusqu’où pouvons-nous tolérer une baisse de la densité laitière ? », alerte-t-il.
De moins en moins de lait et de produits laitiers
Après l’essor de la production laitière bretonne à la suite de l’arrêt des quotas laitiers, comment en est-on arrivé là ? Le manque de main-d’œuvre, les charges opérationnelles et financières qui étouffent des éleveurs surchargés de travail, des prix inférieurs à la moyenne nationale qui ne couvrent pas les coûts de production ou encore la pression sur le foncier, notamment en zones touristiques, sont autant de facteurs qu’avance la chambre d’agriculture.
« C’est une catastrophe qui nous arrive, alerte Marie-Andrée Luherne, présidente de la FRSEA Ouest lait. La pyramide des âges va nous amener plus vite que les autres régions au renouvellement des générations. » En Bretagne, selon les données du recensement agricole 2020, plus de la moitié des éleveurs (55 %) ont plus de 50 ans. Près de 10 % ont plus de 60 ans. De l’autre côté de la pyramide des âges, ils sont seulement 10 % à avoir moins de 35 ans.
« A priori, la Bretagne va continuer de perdre des sites d’exploitations. Le grand risque, c’est que cette fois-ci les volumes diminuent », s’alarme André Sergent, président de la chambre d’agriculture de Bretagne.
« Nous nous préparons à une baisse de la production laitière et donc de la transformation », confirme Guy Le Bars, le président d’Even et de Laïta (Paysan breton, Régilait, Mamie Nova…). Selon lui, deux scénarios se profilent. Soit les industriels essayent de garder le même niveau d’approvisionnement et alors les collecteurs entreront en concurrence les uns avec les autres pour trouver la ressource laitière devenue plus rare. Soit « nous arrêtons les marchés peu rémunérateurs, qui ne couvrent ni les charges de production ni celles de transformation ».
Le grand écart des revenus
Les écarts de revenus des exploitations spécialisées lait conventionnelles bretonnes sont de 35 000 € par UTH exploitant entre le quart supérieur (revenu annuel de 42 800 € par UTH exploitant) et le quart inférieur (7 600 €), calcule le Cerfrance Bretagne pour 2020. Ce fossé se creuse encore plus pour les exploitations conventionnelles produisant plus de 1 million de litres de lait annuellement : il est de 46 000€ (55 500 € ; 9 500 €). De même pour la production biologique : la différence est de 43 000 € (51 500 € ; 8 000 €).
La Bretagne veut redynamiser sa production laitière
Les producteurs laitiers bretons sont en première ligne pour défendre leur métier en communiquant positivement sur leur quotidien.
« Soyons un peu positifs, sinon nous allons tous rentrer chez nous en pleurant », houspille Pascal Lebrun, président d’Agrial lors d’une journée organisée en décembre par la chambre d’agriculture de Bretagne visant à alerter sur le « défi breton » de sauvegarder l’élevage laitier sur son territoire.
Face au manque de dynamisme du secteur laitier, les élus de la chambre d’agriculture de Bretagne alertent sur les risques de baisse de densité laitière dans la région, mais ne veulent pas se résigner et appellent les acteurs de la filière à agir avec eux. « Nous devons unir nos forces dans l’ensemble de la filière pour relever le défi des 50 % d’éleveurs qui vont prendre leur retraite dans les prochaines années et maintenir un paysage laitier breton digne de ce nom », enjoint Jean-Hervé Caugant, président de la chambre d’agriculture du Finistère, un département particulièrement touché par la baisse du cheptel laitier.
« Comment voulez-vous donner envie si vous-même vous n’êtes pas bien dans ce que vous faites ? », répond Marie-Andrée Luherne, présidente de la FDSEA du Morbihan. Réponse : « Il faut des éleveurs laitiers heureux et fiers de leur métier ».
Le Conseil régional s’est d’ores et déjà saisi du sujet du renouvellement des générations : des États généraux de l’installation sont en cours. Les premières mesures régionales devraient voir le jour en mars, assure Arnaud Lécuyer, vice-président à l’agriculture.
Témoigner, témoigner, témoigner
Pour attirer les jeunes et les moins jeunes à se tourner vars la production laitière, quoi de mieux que de porter haut et fort son propre témoignage et la fierté de son métier ?
« Il y a des systèmes qui fonctionnent et où les producteurs ne se tuent pas au travail », témoigne Loïc Guines, président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine. « Il faut dire que certains gagnent 3 000, 4 000 euros par mois avec le prix actuel du lait et sans travailler 70 heures. Il faut parler du temps de travail. La jeunesse n’a plus envie de faire ces horaires-ci ! », renchérit-il.
« Nous avons la responsabilité collective de toute la profession, prévient Franck Lebreton, éleveur en monotraite et membre du réseau Civam. Nous devons urgemment changer l’image du producteur de lait qui gagne 400 euros par mois en travaillant 80 heures et avec un million d’euros de dette sur le dos ! » Et d’illustrer son propos par son cas personnel : « Aujourd’hui, j’ai ma liberté. Nous produisons 300 000 litres de lait et gagnons trois à quatre Smic. Je suis un agriculteur heureux. »
La Bretagne valorise maigrement son lait
« En Bretagne, la valorisation du lait est moyenne, voire médiocre », conclut Gérard You, économiste à l’Idele. Le prix du lait y est en effet inférieur à la moyenne française. « Cela est notamment dû au mix-produit régional tourné vers les produits secs », explique-t-il.