Filière bois-énergie: « Les haies doivent être gérées comme une culture »
Dans les Côtes-d’Armor, le Gaec Lirzin valorise chaque année entre 1,5 et 3,5 kilomètres de haies en bois plaquettes pour les chaudières de collectivités locales. Comme quinze agriculteurs de la SCIC Bocagenèse, il est engagé dans le nouveau label Haie.
Dans les Côtes-d’Armor, le Gaec Lirzin valorise chaque année entre 1,5 et 3,5 kilomètres de haies en bois plaquettes pour les chaudières de collectivités locales. Comme quinze agriculteurs de la SCIC Bocagenèse, il est engagé dans le nouveau label Haie.
« La meilleure façon de préserver les haies et le bocage, c’est de leur donner une valeur », affirme Gabriel Lirzin installé avec sa femme Anne, son frère Nicolas et son fils Alexandre à Guenven Braz dans les Côtes-d’Armor. Implanté dans la vallée de l’Aulne, le Gaec Lirzin valorise 260 hectares dont 100 hectares de prairies naturelles et 50 hectares de prairies temporaires, et produit 1,3 million de litres de lait. Cela fait 13 ans qu’il est engagé dans la filière bois énergie. Entre 1,5 et 3,5 kilomètres de haies sont récoltés chaque année et vendus à la SCIC Bocagenèse(1), présente sur le Nord-Ouest du département. Le volume récolté varie en fonction des besoins de la filière. « Grâce à la filière, le bois est devenu un produit, alors qu’avant on le considérait comme une charge. » Gabriel a comptabilisé le temps passé à la gestion des haies (coupe et chargement) : les années où il récolte 300 tonnes, cela représente un mois de salariat. « Avec un bois vert livré valorisé 52 euros par tonne, je dégage 15 600 euros de chiffre d’affaires. Après déduction de 30 % de coût de broyage, il reste 11 000 euros soit l’équivalent de près d’un salarié à mi-temps », calcule-t-il.
Optimiser l’organisation du chantier de broyage
Une bonne partie de la rentabilité dépend de la bonne organisation du chantier de broyage. « À 350 euros de l’heure avec un débit de 25 tonnes par heure, on a tout intérêt à avoir du bois bien rangé, pas tassé : on peut descendre à un coût de broyage de 15 euros par tonne, alors qu’avec du bois mal coupé, beaucoup de brindilles, plusieurs tas dans la parcelle… on grimpe vite à 20 euros. » Un chantier de broyage s’organise comme un chantier d’ensilage. L’exploitation étant située à 16,5 kilomètres de la plate-forme de stockage de la SCIC la plus proche (un maximum à ne pas dépasser), il mobilise quatre remorques ; 120 à 150 tonnes sont broyées dans l’après-midi. « Je vise un coût de broyage inférieur à 30 % du produit brut. Il faut optimiser la coupe des parcelles, la raisonner comme on le fait pour la rotation des cultures. »
Comme les 70 adhérents de la SCIC Bocagenèse, le Gaec Lirzin s’appuie sur un plan de gestion durable des haies. Il a consisté à identifier les haies de l’exploitation, les types de haie : fûtaie (arbres), taillis (noisetiers, saules…), haie mixte (taillis sous fûtaie), et à apporter des modalités de gestion en définissant un cycle de rotation et des priorités. De 43 kilomètres dans le plan initial il y a dix ans, l’exploitation comptabilise aujourd’hui 50 kilomètres de haies (et 145 parcelles), soit l’équivalent de 50 hectares de forêt !
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Couper au plus près de la souche
Gabriel Lirzin a proscrit l’utilisation du lamier et de l’épareuse. Depuis le départ, c’est un adepte de la tronçonneuse. « La gestion bocagère ne consiste pas à tout raser, mais à couper comme il faut. La tronçonneuse permet de couper au plus près de la souche, ce qui permet à la souche de se régénérer avec des repousses verticales et de bonnes racines. Autre avantage : quand on intervient dans un nouveau cycle de récolte, la coupe d’après est beaucoup plus facile », argumente-t-il, tout en admettant que tout le monde n'est pas prêt à utiliser cet outil. Dans cette région où même le chêne se recèpe, il faut intervenir tous les 10 à 12 ans. Le Gaec récolte en moyenne en dix ans 10 tonnes sur 100 mètres. « Nous avons beaucoup de haies mixtes sur talus avec des chataigniers, des chênes, des hêtres, des fresnes, beaucoup de noisetiers, des saules… » Le « petit entretien » est réalisé avec le broyeur défibreur de la Cuma Armor bûche. « Les copeaux sont utilisés en litière pour les génisses. »
Une certification avec le label Haie
L’exploitation vient de s’engager dans le label Haie, un nouveau dispositif de certification pour préserver les haies. Lancé officiellement à l’automne 2019, il est mis en place pour cette première année au niveau de trois structures pilotes. L’exploitation a été auditée en interne cet automne, comme quinze adhérents de la SCIC Bocagenèse. « Le label est progressif au niveau des exigences, ce qui donne du temps pour l’apprentissage des bons gestes techniques », souligne Jean-Pierre Le Rolland, président et salarié à mi-temps de la SCIC Bocagenèse, chargé de réaliser les audits internes. « Le label Haie comporte trois niveaux et une quarantaine d’indicateurs simples. 100 % des conditions du niveau 1 doivent être remplies pour entrer dans le label. Si une partie des conditions du niveau 2 n’est pas atteinte, un nouvel audit est programmé dans deux ans pour vérifier l’acquisition des bonnes pratiques (au lieu de cinq ans sinon). » Les adhérents de la SCIC, déjà rodés aux bonnes pratiques de gestion des haies, n’ont aucune difficulté à entrer dans le label.
Une obligation de résultats, pas de moyens
Concrètement, pour le Gaec Lirzin, l’audit a été réalisé sur trois haies : deux haies au niveau de la sole des cultures et une haie de prairie. Il remplit 100 % des conditions du niveau 2 et 78 % des conditions du niveau 3. « Le label, c’est une obligation de résultats, pas de moyens. Mis à part le recours au lamier et à l’épareuse sur le dessus des haies, chacun est libre de ses moyens. Ce que l’on veut, c’est des souches rases afin d’assurer la régénération », explique Jean-Pierre Le Rolland. Il regarde si la coupe est bien faite, la diversité des essences, la présence de lierre, l’emprise minimale (les vaches ne doivent pas brouter les repousses). Il vérifie aussi que l’interdiction de broyer la ligne de vie au-dessus du talus est respectée (il faut laisser se végétaliser), et qu’il y a un ourlet herbeux au pied de la haie. D’après les études, 60 % de la biodiversité se développe dans cet ourlet herbeux. « Les consignes du label, c’est avant tout du bon sens. Je regarde par exemple comment est placée la clôture. Si elle est à 50 cm du pied du talus, il n’y a quasiment pas d’entretien à faire sous le fil, les vaches vont brouter en dessous. »
Une numérisation du plan de gestion
Le contrôle externe par un organisme certificateur (Certis) exigé par le label Haie était, au moment de notre reportage, prévu fin janvier : « cinq des quinze agriculteurs vont être audités, ainsi que la SCIC au niveau du management du groupe ». Les 15 producteurs labellisés représentant 25 % du bois bocage valorisé par la SCIC, elle pourra à l’avenir mettre sur le marché du bois bocage labellisé à 25 %. Les agriculteurs disposent d’une application sur leur téléphone portable où ils enregistrent leurs actions sur les haies. Grâce à cette numérisation du plan de gestion, la traçabilité sera assurée.
« On peut vite améliorer le bocage, et obtenir en dix ans des haies correctes avec des fûts corrects », conclut Jean-Pierre Le Rolland, fort de sa propre expérience d’agriculteur. Sur son exploitation de 90 hectares, tout avait été rasé : il est reparti de zéro il y a huit ans. Aujourd’hui, il valorise 14 kilomètres de haies. « La première intervention sur les haies a été du nettoyage ; au deuxième tour, je fais de la sélection d’arbres d’avenir. En huit ans, je récolte 5 tonnes de pousse sur 100 mètres. Et le bocage est là aussi pour abriter les animaux : quand il fait chaud, les vaches vont sous la haie. Il permet aussi de tempérer et de protéger du vent. »
Chiffres clés
Du bois durable local et éthique avec le label Haie
Le label Haie garantit des bonnes pratiques de gestion des haies, mais aussi une filière bois durable locale et éthique contrôlée de la haie à la chaufferie. Il repose :
- sur deux cahiers des charges : l’un est destiné aux gestionnaires des haies (les agriculteurs), l’autre aux distributeurs du bois bocager (les entreprises ou coopératives qui achètent le bois, le stockent ou le vendent comme par exemple la SCIC Bocagenèse). 40 indicateurs simples, objectifs et facilement vérifiables ont été construits ;
- sur un système de contrôle mixte visant l’amélioration des pratiques, avec des audits internes et des audits réalisés par un organisme certificateur indépendant ;
- sur une traçabilité informatique des pratiques et de la provenance du bois.
Le label Haie se base sur un plan de gestion durable des haies sur quinze ans. Ce document est le même que celui utilisé par la méthode Haie du label Bas-carbone (projet Carbocage). Cette méthode, validée fin novembre, permet de faire une évaluation certifiée du stockage carbone additionnel, que les agriculteurs pourront valoriser sur le marché du carbone. Le label Haie et le label Bas-carbone sont donc étroitement imbriqués.
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Trois régions pilotes mettent en application le label Haie pour cette première année : la Bretagne avec la SCIC Bocagenèse, la Normandie avec la SCIC Bois Bocage et les Pays de la Loire avec la SCIC Mayenne Bois énergie. Ce label national a été créé par les trois SCIC et le réseau d’experts de la haie Afac-Agroforesterie avec le soutien financier des trois régions et de collectivités locales.