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«Faites des contrôles besnoitiose à l’achat»

Maladie parasitaire transmise par les taons et des mouches, la besnoitiose est en pleine expansion. Pour Jean-Pierre Alzieu et Philippe Jacquiet, spécialistes de cette maladie, il est temps de la prendre au sérieux.

■ La besnoitiose est-elle en train de s’étendre ?

Jean-Pierre Alzieu, du LVD de l’Ariège, et Philippe Jacquiet, de l’ENV Toulouse - Oui, elle est clairement en train de s’étendre géographiquement depuis le début des années 2000. Ce n’est pas une nouvelle maladie, elle est connue depuis extrêmement lontemps : la besnoitiose est historiquement présente, pour ce qui est de l’Europe, en France dans les Pyrénées et au Sud du Portugal ; on la retrouve dans une bonne partie de l’Afrique, une partie du Moyen- Orient et de l’Asie. Les premiers foyers alpins sont apparus au début des années 2000, et depuis elle ne cesse de s’étendre.


Il existe des cas, souvent isolés, dans de nombreux départements. Il est temps de s’en préoccuper et de prendre des mesures pour stopper son extension. Attention, la besnoitiose n’est pas une maladie épidémique (épizootique) comme la FCO, qui se transmet facilement de troupeau à troupeau.


Les foyers découverts aujourd’hui sont souvent des élevages contaminés plusieurs années avant l’apparition des premiers cas cliniques à la suite de l’achat d’animaux. Il ne faut pas stigmatiser les départements où il y a des cas de besnoitiose. Dans un département touché, la plupart des élevages ne sont pas infectés et n’ont pas plus de risque d’être infectés que les élevages de départements encore non touchés, hormis par l’achat d’animaux. L’unité de gestion est le cheptel selon la prévalence de l’infection (d’animaux touchés) et le département ou encore la région.


■ Pourquoi n’est-elle pas épidémique comme la FCO ?

J.-P. A. et P. J. - C’est une maladie parasitaire due à un protozoaire transmis par les taons et les stomoxes. Il s’agit de mouches piqueuses très répandues en élevage. La contamination se fait à partir d’animaux infectés porteurs de kystes à bradyzoïtes (l’un des deux stades du parasite) qui se font piquer par ces insectes.

Mais contrairement au virus de la FCO, le parasite ne se multiplie pas à l’intérieur de l’insecte ; il s’agit uniquement d’une transmission mécanique par les pièces buccales. La mouche ou le taon prend un repas de sang sur l’animal, qui se défend en le chassant ; l’insecte, qui a besoin de compléter son repas, va chercher immédiatement un autre bovin à proximité (moins de 10-15 mètres) qu’il peut alors infecter. Les taons semblent être des vecteurs très efficaces car trois individus seulement peuvent suffire pour assurer une transmission, tandis que plusieurs milliers de piqûres de stomoxes paraissent nécessaires. Par contre, la période d’activité des taons est limitée à quelques mois en été alors que les stomoxes sévissent de mai à octobre et même en fin d’hiver en bâtiment.

Le temps de survie du parasite sur les pièces buccales de l’insecte est faible, pas plus de 4 à 6 heures. À la différence de la FCO, la contamination se fait donc à l’intérieur d’un même cheptel par l’introduction d’un animal contaminé; elle peut très exceptionnellement se faire de cheptel à cheptel s’ils ont des clôtures mitoyennes.


■ Y a-t-il d’autres voies de transmission, notamment par les aiguilles de seringue ?

J.-P. A. et P. J. - La transmission du parasite se fait principalement par ces insectes piqueurs hématophages. On ne peut donc pas exclure totalement la participation des aiguilles utilisées lors de la prophylaxie ou lors par exemple de traitements antiparasitaires injectables. Il paraît donc plus prudent de changer d’aiguille à chaque vache dans les troupeaux reconnus infectés. Mais il ne faut pas pour autant en déduire que la besnoitiose a flambé à cause de la vaccination FCO! On ne sait pas très bien expliquer l’origine de cette extension: intensification des échanges commerciaux d’animaux ? Période d’activité plus longue des vecteurs liée au réchauffement climatique ?...


■ La diffusion de la maladie dans un troupeau à partir d’un animal acheté infecté est-elle rapide ?

J.-P. A. et P. J. - Oui, la maladie diffuse très rapidement. On a pu déterminer qu’à partir d’un animal porteur de kystes à bradyzoïtes, le taux d’infection augmente de 30 % par an. On peut donc se retrouver très vite avec 70 % d’animaux positifs. Et un animal porteur de kystes peut être contaminant pendant dix ans, autrement dit toute sa vie. C’est pourquoi à partir d’un seul animal acheté, on peut contaminer la totalité d’un troupeau très vite. D’où la nécessité de contrôler systématiquement les animaux à l’achat.


■ Dispose-t-on de kits de diagnostic suffisamment fiables ?

J.-P. A. et P. J. - Il y a cinq ou six ans, on ne disposait d’aucun outil de diagnostic. Aujourd’hui, il existe deux kits de diagnostic sérologiques sur le marché qui permettent de déceler la présence d’anticorps dans le sang. Les anticorps sont détectables environ un mois après l’infection de l’animal.

Ces tests sont perfectibles, c’est vrai, mais ils sont tout à fait utilisables d’autant que les résultats suspects (avec des sérologies proches des seuils) peuvent être corrigés par la méthode Western Blot (plus coûteuse).

On devrait d’ici la fin 2013-2014 disposer de kits plus perfectionnés (voir p. 67). La seule façon d’enrayer la progression de la maladie sur le territoire, c’est de faire systématiquement des sérologies lors de l’introduction d’un animal (vache, génisse, taureau) dans un troupeau. Il faut utiliser les outils qui existent, c’est fondamental. Quand on introduit un bovin contaminé dans un troupeau indemne, on peut se retrouver au bout de deux ou trois ans dans une situation catastrophique.

Le coût de l’analyse sérologique (6 € par animal) est très faible par rapport à ce que peut coûter la besnoitiose dans un élevage où l’on n’a pas réagi assez rapidement. Pour un lot de quatre génisses par exemple, s’il y a quatre analyses Elisa et un Western blot de contrôle à faire, le dépistage coûte autour de 45 € (4x6€ + 20€) alors que les pertes sur un élevage très touché peuvent atteindre 10 000€ par an pendant plusieurs années.


■ Les cas cliniques sont-ils fréquents ?

J.-P. A. et P. J. - Seuls 3 à 5 % des animaux infectés sont malades, mais tous ces animaux malades sont très riches en kystes dans leur peau. Les raisons pour lesquelles un bovin nouvellement contaminé développe ou non les symptômes de la besnoitiose sont pour le moment inconnues.

Ils développent dans un délai très variable allant de deux semaines minimum jusqu’à plus rarement quelques mois, des symptômes d’intensité croissante au cours du temps, avec trois phases successives (phase fébrile, phase d’oedèmes, phase de sclérodermie et de dépilation). Les animaux de moins de 9-10 mois ne sont pas sensibles ; ils sont réceptifs (on a trouvé des kystes sur des veaux de 4-5 mois) mais ne sont pas malades avant 9-10 mois.

Les taureaux présentent les formes les plus sévères et dans deux tiers des cas deviennent stériles.

Dans les zones historiques où le parasite est connu depuis longtemps, les cas cliniques restent très rares mais la proportion d’animaux séropositifs est élevée, souvent plus de 50 %.

Par contre, dans les zones d’émergence récente, lors de l’achat d’une vache infectée, on peut avoir au bout d’un an jusqu’à 10 à 15 % d’animaux malades, avec un taux de mortalité élevé (7 à 10 %). Le taux de mortalité dépend de la précocité du diagnostic et du traitement.

Depuis 2004-2005, de nombreux cas cliniques ont été recensés dès le début du printemps avec des bovins encore en stabulation (rôle probable des stomoxes) alors qu’auparavant la besnoitiose était surtout une maladie estivale. Sa saisonnalité s’est donc largement étendue.


■ Y a-t-il une baisse de production sur les vaches infectées non malades ?

J.-P. A. et P. J. - Cela n’est pas connu avec précision, mais il ne semble pas y avoir de répercussions majeures sur la production. La présence du parasite déclenche une immunité cellulaire produisant un équilibre avec le parasite. Une fois à l’intérieur du kyste, le parasite semble à l’abri de la réponse immune de l’hôte. Cet état de « paix armée » peut se poursuivre des années. Mais si l’animal est atteint d’une maladie immunodépressive (par exemple le BVD ou par suite de l’immunodépression physiologique du vêlage), il peut tomber malade.


■ Que conseillez-vous aux éleveurs ?

J.-P. A. et P. J. - Le point fondamental est de rechercher systématiquement la besnoitiose sur les animaux achetés. La besnoitiose est une maladie qui s’achète.

Le deuxième conseil est d’apprendre à reconnaître les symptômes cliniques. En cas de suspicion, appelez le vétérinaire, n’attendez pas. C’est une course de vitesse contre le parasite qui s’installe. De la précocité du diagnostic dépend l’avenir du troupeau.

Dès qu’il y a une suspicion ou confirmation clinique dans son troupeau ou un troupeau mitoyen, il faut faire des sérologies individuelles sur tous les animaux de plus de 6 mois ; des contrôles individuels et jamais d’analyses de mélange ni de sondage sur quelques animaux : il faut faire des analyses sur tout le troupeau.

Jusqu’à 15 % d’animaux infectés (séropositifs), l’éradication sélective des animaux positifs (malades, porteurs de kystes ou simplement séropositifs) est possible et permet de retrouver un statut indemne.

Audelà de 20-25 %, cela devient économiquement insupportable. Au bout de quelques années, un état d’équilibre s’établit, avec peu de cas cliniques, mais le cheptel reste infecté.


■ Existe-t-il un vaccin ?

J.-P. A. et P. J. - Il n’existe pas de vaccin disponible en Europe. Deux vaccins sont utilisés, l’un en Israël, l’autre en Afrique du Sud. Mais il s’agit de vaccins vivants fabriqués en très petites quantités dans des universités publiques. Les Israéliens utilisent leur vaccin uniquement sur les taureaux d’importation de très grande valeur génétique.


■ Au-delà de pertes pouvant être importantes dans les élevages cliniquement atteints, quel est l’enjeu ?

J.-P. A. et P. J. - L’enjeu majeur est de protéger les élevages et les régions indemnes. Les cheptels ne pourront pas faire longtemps l’économie d’un dépistage sérologique total individuel pour confirmer leur statut. L’enjeu économique est important. La besnoitiose nuit fortement à l’image de l’élevage bovin français à l’étranger. Elle risque d’avoir un impact négatif sur l’exportation de notre génétique : nos concurrents ne manqueront pas d’utiliser cet argument pour la discréditer. À terme, la besnoitiose pourrait poser un grave problème pour les échanges commerciaux.

Trois phases pour les symptômes cliniques

Sous sa forme clinique, après deux semaines d’incubation (ou plus), la besnoitiose se manifeste en trois phases succesives, d’intensité variable. Les symptômes sont de plus en plus caractéristiques au cours de l’évolution.

1 - Phase fébrile (3 à 10 jours) : le bovin présente une forte fièvre (40 à 42 °C). il est essoufflé, congestionné, le nez et les yeux coulent. La peau est chaude et devient douloureuse.

2 - Phase d’oedèmes (1 à 3 semaines) : la fièvre régresse et les oedèmes sous-cutanés se généralisent, plus visibles au niveau de la tête, du fanon, des membres, de la mamelle et des testicules.

3 - Phase de dépilation et de sclérodermie (plusieurs mois) : la peau se plisse et s’épaissit (tête, encolure, face interne des cuisses), prenant un aspect de peau d’éléphant ; des crevasses souvent surinfectées se forment par endroits (membres et articulations) ; les poils tombent. La station debout et le déplacement deviennent de plus en plus difficiles. L’euthanasie est la seule issue.

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