« On cherche à optimiser l’existant avant de produire plus »
Dans la Manche, Christelle et Grégory Patte raisonnent leurs investissements et droits à produire de façon à préserver un équilibre entre efficacité économique, conditions de travail et vie privée.
Dans la Manche, Christelle et Grégory Patte raisonnent leurs investissements et droits à produire de façon à préserver un équilibre entre efficacité économique, conditions de travail et vie privée.
C’est à Colomby, une commune du cœur du Cotentin, que le Gaec de Brekka a été créé en 2010. Trois associés et un salarié font tourner une ferme spécialisée en lait qui valorise les atouts du bocage normand : 1,114 million de litres de lait produits par 130 vaches. La SAU de 200 ha se compose pour l’essentiel de prairies (152 ha) complétées par 35 ha de maïs ensilage et 13 ha de blé. L’assolement va d’ailleurs être modifié suite à la signature en 2016 d’une MAEC système polyculture-élevage évolution 3 (maximum 12 % de maïs dans la SFP). Cet engagement s’inscrit dans la volonté des éleveurs d’augmenter le poids du pâturage dans leur système (jusqu’à 40 ares/vache au printemps actuellement). Il devrait aussi rapporter 12 000 euros par an pendant cinq ans à chaque associé. À commencer par Christelle Patte. Cette dernière a dirigé une équipe au sein d’un laboratoire avant de s’installer avec sa mère en 2008. Une expérience de management qu’elle valorise pour gérer son exploitation. « Pour prendre de bonnes décisions et optimiser le suivi de son troupeau, il faut prendre le temps de s’informer, de se former et d’échanger avec d’autres agriculteurs. » Grégory Patte a également été responsable d’une équipe de maintenance industrielle avant de s’installer avec son épouse en 2010. Pas question pour lui non plus d’avoir la tête dans le guidon en dehors de ses virées de plus de 100 km avec son vélo de course. Leur cap est clair : trouver un bon équilibre entre vie professionnelle et privée. « Nous avons la chance d’être très bien accompagnés par notre banquier, les conseillers de Cerfrance, de Littoral normand et de la chambre d’agriculture de la Manche et d’avoir pu établir un rapport gagnant-gagnant avec Yvon Dincau, notre salarié », insistent les éleveurs
Une rallonge de la référence de 20 %
L’opportunité de produire plus de lait est emblématique de la façon dont le couple appréhende les possibilités d’évolution de leur exploitation. « Notre laiterie (Les Maîtres laitiers du Cotentin) a proposé une rallonge de 20 % aux éleveurs qui ont produit leur référence lors de la campagne 2015-2016. Cela peut être une bonne opportunité pour installer un jeune, s’agrandir ou remplir un bâtiment. Mais cela ne s’improvise pas. Nous les avons produits à notre rythme en tenant compte des particularités de notre exploitation sachant que notre laiterie n’imposait pas de délai. » Avec un niveau d’endettement de 110 euros/1 000 l, il n’était pas question pour eux d’engager de gros investissements pour produire plus. « La course à la production sans valoriser l’existant est trop risquée. » Les limites de logement pour les vaches (110 logettes) et de la salle de traite (TPA 2 x 8) ont également pesé dans la décision tout comme les répercussions sur le volume et les conditions de travail.
Une marge de sécurité pour aléas de 20 000 euros
Les éleveurs ont également commencé à anticiper les répercussions du départ à la retraite de la mère de Christelle. Plusieurs solutions s’offrent à eux pour optimiser les investissements et les amortissements fiscaux. Changement de statut, de salle de traite, achat d’un tracteur neuf… Les annuités du Gaec auront certes baissé, mais l’objectif est de ne pas dépasser 100 euros/1 000 l. « À la demande des éleveurs, nous avons fait un plan d’investissement sur trois ans en fonction de la baisse des annuités et de leurs priorités. Nous avons calculé un budget pour ne pas pénaliser les investissements qui pourraient être réalisés à partir de 2020. Nous avons évalué leur capacité d’autofinancement et nous avons gardé une marge de sécurité pour aléas de 20 000 euros », souligne Emmanuel Picot, le conseiller Cerfrance du Gaec. En 2018, entre 15 000 et 20 000 euros seront investis dans 110 matelas pour améliorer le confort des vaches et diminuer la consommation de paille. « Une vache en forme produit plus de lait à moindre coût. » Il a également été décidé d’acheter un tracteur d’occasion ayant moins de 4 000 heures au compteur et de réparer une ancienne désileuse. « Avec 2 000 euros, on devrait pouvoir la remettre en état », précise Grégory. Ce choix est d’autant plus justifié qu’un autre gros projet est à l’étude actuellement. « Nous aimerions créer un groupe désilage avec chauffeur au sein d’une Cuma. Mais il faut trouver suffisamment de personnes pour que le coût se situe entre 16 et 20 euros/1 000 l. » Au-delà de la baisse du temps de travail d’astreinte, l’enjeu porte sur une économie de 40 000 à 45 000 euros sur l’achat d’une nouvelle mélangeuse à bol de 24 ou 26 m3… « Si le projet n’aboutit pas, nous devrons réinvestir dans une mélangeuse neuve. Le coût de distribution sera proche de 18 euros/1 000 l. »
Des économies grâce à l’entretien régulier des équipements
Les charges de mécanisation sont très bien maîtrisées grâce à la délégation des travaux à la Cuma mais aussi à un entretien régulier du matériel réalisé par Grégory Patte et le salarié. « Il ne faut pas s’habituer à laisser du matériel tomber en panne ou se dégrader sinon on perd en efficacité de travail sans oublier les surconsommations d’eau, d’électricité… Ce sont les petites économies qui font les grosses à la fin », explique avec conviction Grégory Patte. Par ailleurs, pour diminuer les déplacements sur les routes et optimiser le pâturage, les éleveurs ont réalisé des échanges parcellaires à l’amiable. Une trentaine d’hectares ont ainsi changé d’exploitant mais pas de propriétaire.
Autre stratégie payante, les associés ont investi 100 000 euros en 2014 dans un hangar pour abriter le matériel et stocker jusqu’à 100 tonnes d’aliments. « Cette capacité de stockage permet de commander notre tourteau de colza (150 t/an) quand son prix est intéressant. »
« Une situation saine malgré des annuités de 110 euros/1 000 litres »
« Les éleveurs ont opté pour un système très pâturant. L’EBE est régulièrement proche de 195 euros/1 000 l (EBE/produit = 39,6). La marge brute de l’atelier laitier est de 253 €/1 000 l. Le prix d’équilibre est de 340 euros/1 000 l (clôture au 31 décembre 2016) avec un prix du lait de 348 euros/1 000 l. Quel est le rapport EBE/produit moyen depuis quelques années ? Les charges opérationnelles sont très faibles (150 euros/1 000 l) grâce à la maîtrise du coût alimentaire. Les charges fixes (143 euros/1 000 l bénéficient d’une dilution dans le volume de lait produit. Le gros poste est la main-d’œuvre salariale (28 euros/1 000 l). Mais cela correspond à un choix assumé. L’efficience du système permet de ne pas se mettre dans le rouge malgré des annuités de 110 euros/1 000 l liées à leur installation récente. La fiscalité et la MSA (7 000 euros/an) ne pénalisent pas le Gaec. »
Emmanuel Picot, conseiller CerfranceÀ savoir
Grâce à l’application de la Loi sur le suramortissement, le Gaec a déduit 1 441 euros de son revenu fiscal en 2016-2017. Cette déduction est liée aux investissements réalisés par les Maîtres laitiers du Cotentin. Elle est calculée au prorata des parts sociales détenues par le Gaec.
Un investissement en salle de traite en réflexion
« Nous trayons à quatre en alternance. Cela évite les soucis de santé et permet de bien suivre le troupeau. Notre salle de traite (TPA 2 x 8) convient à nos besoins actuels mais elle est un peu sous dimensionnée pour traire 130 vaches." Une réflexion est en cours, le choix final dépendra du contexte et des orientations de l’élevage en 2020-2021, sachant que les annuités auront diminué. "La solution robot de traite n’est pas définitivement écartée même si elle ne permet pas aujourd’hui d’optimiser le pâturage." Quelle que soit la solution retenue, pourra-t-elle bénéficier d’aides dans le cadre d’un PCAE ? Quel sera le devenir de la PAC après 2020 ? Les réponses à ces questions pèseront dans la balance tout comme l’impact sur le travail.