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Avenir du lait
Agrandissements et robotisations programmés dans le Grand Est

Les élevages laitiers du Grand Est sont partis pour continuer à s’agrandir. Ils auront à relever le défi du réchauffement climatique et de la main-d’œuvre. La valorisation de leur lait en fromages restera un atout.

« Les élevages laitiers du Grand Est gagnent en moyenne cinq vaches par an, peut-être plus demain. Le troupeau moyen compte à présent 65 laitières. » Pour Daniel Perrin, porte-parole des producteurs à l’interprofession laitière du Grand Est, l’agrandissement s’inscrit dans le paysage. Il constitue selon lui un ordre des choses plutôt « rassurant pour l’avenir ». Jean-Marc Zsitko, conseiller économie élevage à la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle, partage cette impression. Ces nouvelles structures méritent cependant d’être bien préparées en amont. « Un regroupement motivé par une meilleure organisation du travail et la qualité de vie a souvent plus de chances de succès que celui qui est basé sur l’unique volonté d’investir ensemble. Pour que ça marche, les affinités humaines sont indispensables. Associer plusieurs exploitations sur un seul site ne débouche pas forcément sur les économies d’échelle qu’on espère. Concentrer les animaux expose à davantage de problèmes d’environnement, plus de trajets par exemple pour aller épandre le fumier. Les frais qui augmentent, c’est du lait qui coûte plus cher. Je crois personnellement plus aux fermes de 300 hectares avec trois associés, capables de livrer 800 000 à 900 000 litres de lait. Si un associé s’absente, il en reste deux. »

Privilégier la qualité de vie

Daniel Perrin enfonce le clou. « L’éleveur veut mener une vie économique et sociale normale, comme n’importe quel autre citoyen. » Les exploitations familiales formées par un couple ou entre un père et son fils ne sont pas condamnées, mais apparaissent plus fragiles, notamment en raison du point délicat de la main-d’œuvre. « Le besoin est là. Mais les salariés sont de plus en plus difficiles à conserver », constate Daniel Coueffé, ingénieur du réseau d’élevage bovins lait de la Haute-Marne. « Des ateliers se modernisent. De plus en plus optent pour le robot de traite. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. Le montant de l’investissement n’est pas un frein pour les éleveurs qui privilégient la qualité de vie. C’est également le signe qu’ils considèrent que le lait a de l’avenir. Il y a dix ans, la tentation d’arrêter était plus forte. »

Ce dernier risque persiste le plus en cas d’un départ à la retraite où il est tentant pour le – souvent unique – successeur de se consacrer aux seules cultures, en étant certain que la cessation laitière corresponde certes à une baisse du revenu, mais aussi à celle des annuités. « Plus de visibilité sur le prix du lait, pousserait à investir et les jeunes à s’installer », remarque pour sa part Daniel Perrin. La région n’est pourtant pas celle qui paye le moins bien. Elle le doit à la valorisation permise par les fromages : pâtes molles à succès et AOP (brie de Meaux, munster) fabriquées par des groupes nationaux (Bongrain, Sodiaal) ou de grands régionaux (Ermitage). En 2018, les 1 000 litres super A à 42/33 ont été en moyenne payés autour des 350 euros.

Parmi les dix départements de la région, les Ardennes peuvent paraître moins bien loties, dans la mesure où le lait sert davantage à la fabrication de produits industriels. Mais le lait y gardera vraisemblablement sa place. Comme dans les Vosges ou le Bassigny à l’est de la Haute-Marne, les surfaces toujours en herbe encouragent à y produire du lait malgré les années difficiles à vivre qui s’enchaînent. « 2018 est la sixième année consécutive marquée par une sécheresse ou un excès de pluies. L’an passé, ma pâture s’est résumée à du parcours. Sa part dans l’alimentation du troupeau est passée de 30 à 25 % », se désole Daniel Perrin, également éleveur, installé en Gaec près de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) avec 70 vaches sur 200 hectares, dont 65 d’herbe. Il s’attend à ce que « l’herbe soit à l’avenir une ressource plus compliquée à exploiter. Au contraire du maïs qu’on peut ensiler en une fois ». La sécheresse, encore qualifiée « d’exceptionnelle » aujourd’hui, pourrait devenir la « norme » demain. Selon l’observatoire régional sur l’agriculture et le changement climatique Climat XXI, le caractère plus continental du climat a toutes les chances d’amplifier le réchauffement sur la moitié est de la France, notamment en été. « Ça va être de pire en pire », pronostique Daniel Perrin.

Revoir l'assolement pour assurer les fourrages

La difficulté à produire des fourrages va-t-elle hypothéquer l’avenir du lait dans la région ? Daniel Coueffé ne le pense pas. Des parades existent. « Exploiter l’herbe demande à être de plus en plus réactif. Les éleveurs qui ont eu le volume d’herbe disponible en 2018 ont fait pâturer leurs vaches beaucoup plus tôt. Ils ont réalisé leur ensilage fin mars et ont assuré une deuxième coupe d’herbe courant juin. Ils ont rentré leurs animaux à partir de fin juin ou les ont complémentés au pré. À l’inverse, les ensilages pratiqués seulement au 15 mai étaient de moindre qualité et il n’y a pas eu de seconde coupe. »

Depuis 2016, dix élevages de Haute-Marne, bio et conventionnels, avec et sans maïs ensilage, ambitionnent de davantage valoriser l’herbe au sein du GIEE Pâturage - Lait d’avenir qu’ils ont créé. L’un des participants a remis dix hectares en herbe longue durée et s’est lancé dans l’agroforesterie dans l’idée de procurer de l’ombre à ses vaches. Tous ont acheté un herbomètre. La majorité veut travailler sur la pâture, soit en mode intensif (une parcelle par jour), soit en adaptant le chargement pour éliminer les refus. Une autre piste est à envisager. « Si le manque d’eau ne permet plus d’avoir des rendements de 14 t/ha de maïs ensilage, quel intérêt de seulement en produire par exemple 5 t/ha ? Remettre de la luzerne et des prairies temporaires permettrait de disposer de nouveaux fourrages et d’allonger les rotations », enchaîne Daniel Coueffé. À ses yeux, l’idée de jouer la complémentarité cultures-élevage à long terme, avec l’objectif d’augmenter les stocks et de réduire les charges, est pertinente. « Ces éleveurs parlent de ressemer des prairies temporaires. Ils ne se seraient pas engagés dans cette direction sans ces événements climatiques extrêmes. Mais c’est bien la preuve qu’envers et contre tout ils continuent à croire au lait. »

Être plus réactifs sur l'herbe

Le recul de l'herbe

« 95 % des troupeaux lorrains pâturent. Mais le pâturage intégral diminue. Toutes les vaches sont complémentées à l’auge avec des ensilages », confirme Jean-Marc Zsitko, conseiller économie élevage à la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle. « Le problème en Lorraine, c’est qu’il n’y a pas d’herbe au premier mai et un trop plein après le 15 du mois. Elle ne pousse plus si on enchaîne sur une sécheresse début juin. Les éleveurs se disent que ce n’est pas la peine de fermer le silo pour le rouvrir quelques semaines plus tard. Ce phénomène s’accentue depuis quatre à cinq ans, un peu moins dans des zones plus arrosées comme les Ardennes, les Vosges et le Bassigny, à l’est de la Haute-Marne. »

La pratique de la pâture est également concurrencée par la robotisation de la traite. Elle entraîne que des troupeaux de 60 à 70 vaches passent en zéro pâturage et se contentent de 5 à 6 hectares de parcours. L’augmentation de la taille des troupeaux sans reconfiguration du parcellaire près des bâtiments est un autre frein. « Nous nous dirigeons vers des systèmes plus tranchés avec plus de lait et moins d’herbe », avance Jean-Marc Zsitko.

Une offre en lait de prairie chez Alsace Lait

Depuis l’an passé, 48 éleveurs membres de la coopérative Alsace Lait se sont engagés à donner 10 ares minimum à pâturer à chacune de leur vache au moins 120 jours six heures par jour entre le 15 avril et le 1er novembre. Sur 145 millions de litres collectés, 27 millions ont respecté ce critère en 2018. L’entreprise les rémunère par une prime de 15 €/1 000 l ce qui correspond pour une moyenne de 600 000 litres à ce que la plupart ont investi initialement en paddocks, clôtures, aménagement de chemin ou encore semis d’herbe.

« Alsace Lait continuera d’avoir une offre en lait de prairie », affirme Michel Debes, président de la coopérative, persuadé que « ces éleveurs ne reviendront pas en arrière. C’est moins une question de climat que de bien-être animal et d’image. Le bilan sanitaire des vaches qui pâturent est également meilleur. » Une enquête menée par le service technique de la coopérative a montré que les vaches passant la nuit dehors ne subissaient pas la diminution de production, pouvant aller jusqu’à 15 %, qui affectait les vaches confinées nuitamment dans des bâtiments soumis à de fortes température en journée. Dans le premier groupe, la réduction de la pression microbienne se traduit par moins de cellules, de boiteries et de métrites. La prochaine étape est de chiffrer l’économie en frais vétérinaires permise par cette pratique.

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