« Du "bale grazing" en hiver pour nos 300 vaches taries »
Le Gaec de la Louisiane, en Loire-Atlantique, pratique le « bale grazing » depuis six ans, durant deux mois l’hiver, pour ses 300 vaches taries et ses génisses. À la clé : un gain de temps et des économies de paille et d’épandage. Mais des précautions s'imposent.
Le Gaec de la Louisiane, en Loire-Atlantique, pratique le « bale grazing » depuis six ans, durant deux mois l’hiver, pour ses 300 vaches taries et ses génisses. À la clé : un gain de temps et des économies de paille et d’épandage. Mais des précautions s'imposent.
Depuis son installation, il y a six ans, Antoine Renoult suit la même ligne directrice : produire du lait de manière économe dans un système très herbager. Cette notion d’économie concerne les coûts de production, les charges de mécanisation mais aussi le temps de travail. C’est dans cette logique que le bale grazing – pâturage de bottes – a été mis en place en 2020 sur cette exploitation. « Nous avons découvert cette pratique lors d’un voyage en Nouvelle-Zélande, puis lors de rencontres avec des collègues bretons qui le pratiquent », témoigne le jeune éleveur.
Même s’il reconnaît qu’il est « encore en train de se caler avec cette technique », Antoine estime que l’expérience du bale grazing durant les deux mois d’hiver remplit déjà ses objectifs. « Concrètement, si je devais rentrer mes animaux en bâtiment, je devrais acheter au moins six camions de paille soit environ 15 000 euros et épandre 1 000 m3 de lisier sur les prairies. Mais finalement, c’est le gain de temps de travail qui me motive le plus : en hiver, je mets seulement quinze minutes par jour pour nourrir mes 300 vaches. »
Antoine a commencé le bale grazing hivernal en faisant un test. Il a séparé en deux un lot de 50 génisses pleines : 25 génisses étant en bâtiment et 25 génisses en bale grazing avec de l’enrubannage non déroulé. « Les génisses qui étaient en bâtiment ont gardé plus d’état, mais elles ont eu la grippe. Les génisses en extérieur n’ont pas été malades. »
L’année suivante, il généralise le bale grazing hivernal aux taries et à toutes les génisses. L’éleveur a en effet fait le choix de grouper ses vêlages au printemps (80 % des vêlages ont lieu sur 6 semaines) et il ferme sa salle de traite durant deux mois.
Une ration quotidienne à 12 kg MS/VL/j
Sur ces différents lots et au cours de ses quelques années d’expérience, Antoine Renoult a testé différentes déclinaisons de bale grazing : sur prairies et sur cultures fourragères, avec des balles de foins et d’enrubannage, avec et sans déroulé.
Les parcelles qu’Antoine dédie au bale grazing font chacune entre quatre et six hectares, et sont plutôt éloignées de la stabulation, hors circuit du pâturage. Elles sont choisies en fonction de leur portance, et comportent des haies qui peuvent abriter les animaux en cas d’intempéries. L’éleveur déplace le fil avant tous les jours, de manière à mettre du fourrage frais à disposition quotidiennement. Le fil arrière est avancé tous les sept jours environ. En général, il n’y a pas de retour sur les paddocks au cours des soixante jours.
Pour calculer le nombre de balles à mettre à disposition de chaque lot, Antoine réalise une estimation du fourrage présent sur la parcelle, qu’il se présente sous forme d’herbe, de betteraves fourragères, de choux… Ensuite, il adapte le nombre de balles à distribuer sur les soixante jours hivernaux en fonction du nombre d’animaux pour atteindre 12 kilos de matière sèche par jour pour les taries et 8 kilos pour les génisses d’un an.
« Nous avons tâtonné et fait des erreurs », reconnaît Antoine. Heureusement, les erreurs permettent d’apprendre et l’éleveur a ainsi retenu que sur sols lourds, il fallait prévoir une surface par animal de 14 à 15 mètres carrés par jour et privilégier les animaux les plus légers. Sur sols sains, l’éleveur estime pouvoir descendre à une surface de 10 mètres carrés par jour.
Après le bale grazing sur prairies, l’éleveur pratique systématiquement un retournement et une mise en culture. « Nous avons des sols difficiles et argileux qui, de toute façon, doivent être travaillés après un pâturage hivernal. » Sur cultures fourragères, là encore, l’expérience a permis d’apprendre que les sols étaient encore plus à risques : « Nous avons partiellement dégradé nos sols après du bale grazing sur cultures de betterave fourragère et de colza fourrager. Cette année, nous faisons un nouvel essai avec des densités d’animaux plus réduites sur chou fourrager. »
Limiter les pertes de fourrage
L’éleveur constate que l’enrubannage est mieux ingéré que le foin. « Mais il doit être passé aux couteaux pour qu’il soit plus préhensile par les vaches, et que les résidus soient plus faciles à réintégrer dans le sol au printemps. »
Quant aux pertes en fourrages, l’éleveur les a estimées au début de son expérience à 15-20 % sur ses balles non déroulées et encore davantage sur balles déroulées. « Mais nous avons trouvé la solution : des râteliers légers, ou bale rings, que nous disposons très facilement chaque jour autour de la balle. Les pertes de fourrages sont ainsi réduites à 5 %. »
Fiche élevage
2 associés et 2 apprentis
300 vaches (kiwi, jersiaise, normande, prim’Holstein)
900 000 l produit par an (objectif de 1,5 million)
300 ha de SAU, dont 80 % en marais
160 ha accessibles
Le saviez-vous ?
Venu d’Amérique, le bale grazing se diffuse en France depuis quelques années. Sa traduction littérale serait « pâturage de bottes ». Cet affouragement est cependant différent de l’apport de complément dans un râtelier : il se pratique lorsque la disponibilité en herbe est limitée (en plein été ou en plein hiver), mais est raisonné comme un pâturage, avec des changements de paddocks réguliers.
Quid de l’acceptabilité sociétale
Laisser des animaux dehors, sous la pluie et dans le froid peut interroger sur la notion de bien-être animal auprès du voisinage. Il se trouve que, sur ce point particulier, Antoine Renoult dispose d’une réponse officielle : « J’ai eu un contrôle bien-être animal de la DDPP(1) en hiver 2023, à un moment où les conditions pédoclimatiques étaient les pires… Mais ça s’est très bien passé, il n’y a eu aucune objection. »
Avis d’expert : Guillaume Baloche, directeur de PâtureSens
« Le "bale grazing" s'anticipe »
« On ne se lance pas sur un coup de tête dans le bale grazing, il faut bien anticiper. Dans le cas d’un bale grazing hivernal, il faut d’abord trouver la parcelle qui pourra assurer un minimum de portance, identifier les objectifs pour les animaux et prévoir le fourrage adéquat en privilégiant l’enrubannage pour la croissance et le foin pour l’entretien. Il faut aussi disposer les balles à l’avance sur la parcelle. Par exemple, pour un bale grazing hivernal, y aller en octobre en tracteur quand le sol porte encore, voire, pour les balles d’enrubannage, les laisser dans la parcelle à la récolte. Si le temps est vraiment très humide, il faut prévoir des balles de paille pour que les animaux puissent se coucher. Au démarrage, mieux vaut se mettre dans des conditions de prise de risque limitée. Je recommande de prendre de la marge, en termes de chargement et de quantité de fourrage mise à disposition. Principales erreurs à éviter : un chargement trop élevé, un fourrage non adapté aux besoins, ou encore des animaux trop jeunes, pour lesquels on risque de trop pénaliser la croissance. Avec le bale grazing, il y a toujours un peu de perte, mais elles sont bien inférieures aux économies réalisées en paille, fioul et temps de travail. »
De premiers résultats expérimentaux encourageants
La ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou (bovins viande bio en autonomie totale) a testé le bale grazing estival. Pendant 28 jours, 15 à 18 bovins (moyenne 16 mois et 434 kg) ont accès à une parcelle de 715 m2 de prairie et à une balle de foin (210-215 kg), déroulée ou fixe, tous les deux jours.
Sur les deux étés analysés (2022-2023), l’hypothèse de l’augmentation de fertilité de la prairie semble se confirmer : les valeurs cumulées de biomasse produite sur 18 mois par la prairie sont supérieures de 0,5 à 1 t MS/ha en faveur du bale grazing. Les valeurs nutritives de l’herbe et du foin des prairies avec bale grazing sont également supérieures. Ces résultats demandent à être complétés.
Du côté des performances animales, les résultats sont jugés corrects (400 g/j GMQ en bale grazing déroulé, 363 g/j en bale grazing fixe), comparables à une alimentation avec du foin en bâtiment ou râtelier sur surface parking. Les quantités de foin non consommées sont assez faibles : 10 % en bale grazing déroulé et 13 % en fixe.