« Nous mélangeons tous nos coproduits en un silo unique »
Au Gaec de Grimaneau, en Meurthe-et-Moselle, les associés réalisent eux-mêmes, tous les six mois, leur propre mélange de coproduits pour leurs 115 hautes productrices. À la clé : une distribution facilitée et une ration stable sur l'année.
Au Gaec de Grimaneau, en Meurthe-et-Moselle, les associés réalisent eux-mêmes, tous les six mois, leur propre mélange de coproduits pour leurs 115 hautes productrices. À la clé : une distribution facilitée et une ration stable sur l'année.
« Depuis mon installation, en 1987, j’utilise des coproduits. » Jean-Paul Louis, éleveur à Bouvron, à la tête d'un troupeau de 115 laitiers à 10 400 litres, est convaincu de l’intérêt, technique et économique, de ces ressources. « Nous sommes dans une région brassicole. Il y a donc des drêches, qui sont des coproduits intéressants pour les laitières. Ils complètent bien l’ensilage de maïs et permettent de moins dépendre des variations de cours du soja », explique l’éleveur. Pour maximiser l’intérêt de ces coproduits et faciliter leur utilisation, Jean-Paul Louis et ses associés ont peaufiné leur organisation au fil des années. « Pendant longtemps, on rentrait les drêches en morte saison. On achetait aussi des pulpes et d’autres coproduits selon les disponibilités. Mais cela faisait beaucoup de silos à gérer, de variations dans la ration, retrace Jean-Paul Louis. Depuis une quinzaine d’année, deux fois par an, nous mélangeons les différents types de coproduits pour stocker directement le mélange qui sera distribué. » Ce qui permet de gagner du temps sur la distribution et de servir aux vaches un mélange homogène et stable.
Sans cette pratique, il faudrait plusieurs petits silos différents en plus de ceux de maïs et d'herbe. « Ce qui demanderait plus de temps de préparation de ration », souligne Jean-Paul Louis, qui estime à une demi-heure le temps nécessaire chaque jour pour charger le bol et nourrir le cheptel. « Nous avons un seul silo à débâcher », apprécie l’éleveur.
Le mélange dès réception élargit aussi le choix des matières premières. Des produits comme l’okara - des drêches de soja - ne se conservent pas seuls. D’autres, comme les solubles de maïs, sont compliqués à stocker. « Alors qu’ils ont un intérêt pour la production laitière », estime Jean-Paul Louis. Par le mélange, les coproduits les plus secs absorbent les jus des produits solubles ou plus riches en liquides. « Avec un mélange final autour des 45-50% de matière sèche, nous obtenons un mélange stable, sans risque d’écoulement, donc de perte de valeur », partage l’éleveur.
Les résultats zootechniques au rendez-vous
L’autre avantage du mélange stocké est la stabilité de la ration. Jean-Paul Louis travaille depuis longtemps avec le même prestataire (Pollen). « Nous avons une relation de confiance. Nous préférons la régularité des approvisionnements à la spéculation à court terme », insiste l’éleveur. Ce qui lui permet de disposer, deux fois par an, de ressources similaires pour composer son mélange. À 30 % de maïs grain humide produit sur l’exploitation, l’éleveur ajoute des drêches de brasserie, de l’okara, du tourteau de colza et des solubles de maïs. « Même si nous partons de la même recette, nous faisons analyser les valeurs alimentaires(1) à chaque mélange pour que notre conseiller adapte la ration », précise Jean-Paul Louis.
Au robot de traite, les vaches reçoivent en complément de la ration mélangée 1,4 kg de tourteau de colza, 0,9 kg de tourteau de colza tanné et 3 kg de wheat feed. « Cet hiver, on avait un très bon maïs riche en grain. La ration nous a permis de produire 38 à 40 kg de lait par vache et par jour, avec un TB de 40 et un TP de 33 », apprécie Jean-Paul Louis.
Un intérêt économique et environnemental
Qu'est-ce que cela donne en termes économique? Sur janvier 2024, le Gaec de Grimaneau a dépensé pour l’alimentation de ses laitières 148 €/1 000 l dont 93 € de concentrés, 45 € de fourrages et 10 € pour les minéraux. Avec un prix du lait à 456 €/1 000 l, la marge sur coût alimentaire atteint 308 €/1000 l, soit 10 € par vache et par jour.
L’éleveur a aussi la satisfaction de nourrir son cheptel avec un maximum de ressources locales, 95 % des constituants de la ration provenant de l’exploitation ou de la région Grand Est. « C’est plus cohérent de valoriser les coproduits des industries de notre région que de travailler avec du soja importé », conclut-il.
Un jour de chantier tous les six mois
Deux fois par an, le Gaec de Grimaneau prépare à l’avance le mélange des coproduits. Un chantier chronophage mais qui facilite la distribution quotidienne.
Deux fois par an, Jean-Paul Louis et ses associés mettent en silo 260 à 280 tonnes brutes de coproduits et matières premières. « J’échange avec mon fournisseur quelques semaines auparavant pour réserver les ressources et caler une date de livraison en fonction de la disponibilité », explique l’éleveur. Le Gaec reçoit, par camion, 60 tonnes de drêches de brasserie, 60 tonnes d’okara (drêches de soja), 28 tonnes de solubles de maïs et 60 tonnes de tourteau de colza. Il y ajoute 80 tonnes de maïs grain humide issu de l'exploitation. Pour faciliter la logistique, la cour a été bétonnée et deux silos construits.
Dans la mélangeuse de l’exploitation, une Trioliet de 20 m3 avec deux vis verticales et équipée d'une trappe arrière, un prémix est d’abord réalisé pour mélanger les solubles avec le tourteau de colza. Puis les autres ingrédients sont incorporés et mélangés dans le bol jusqu’à l’obtention d’un mélange parfaitement homogène. « Même si c’est pesé par le bol, nous veillons à ce que ce soit toujours la même personne qui effectue le mélange, pour plus de régularité. » L’éleveur recommence l’opération une trentaine de fois. Le chantier prend une journée à une personne et demi pour charger les ingrédients, réaliser le mélange, constituer et bâcher le silo. « C’est une journée dense, reconnaît Jean-Paul Louis. Il faut assurer la qualité car la production laitière des six mois à venir en dépend. » Le mélange est réparti dans deux silos de 20 m x 4 m, pas trop hauts pour avoir une vitesse d’avancement suffisante pour ne pas avoir de pertes, sans avoir à incorporer de conservateur.
Avis d’expert : Jérôme Larcelet, consultant nutrition Seenorest
« Un plus pour la stabilité des rations »
« Les changements fréquents dans les rations perturbent les flores microbiennes et provoquent un stress métabolique au niveau du rumen. Ce qui engendre une baisse des performances laitières. Avec les mélanges de coproduits, l'idée est de garantir toute l’année, une ration stable, homogène et fraîche à l’auge, et de favoriser ainsi un bon fonctionnement ruminal et une amélioration de l’efficacité alimentaire du troupeau. Avec ces mélanges, réalisés pour six à douze mois, les éleveurs ne sont pas tentés de changer de formule d’aliments ou de fournisseur. Et, autre avantage en termes nutritionnels, les risques d’erreurs de chargement se montrent limités, quelle que soit la personne qui prépare la ration. Le fait de n’avoir qu'un seul silo à gérer permet également d’obtenir un bon avancement du front d’attaque qui contribue à une meilleure conservation. »
Déléguer la confection du mélange
Pas de place, ni de matériel adapté pour faire vous-même votre mélange ? Il est possible de confier cette tâche à un prestataire, moyennant un surcoût de 5 à 8 euros par tonne (hors transport). Plusieurs entreprises (Pollen, Tereos, Nealia) proposent de réaliser des mélanges de coproduits. Soit à la carte, avec un pourcentage de chaque coproduit prédéfini, soit établis selon des valeurs alimentaires. Dans ce cas, il y a une garantie de valeur mais pas de composition d'une livraison sur l'autre. Les mélanges sont réalisés par le prestataire directement à la ferme avec une mélangeuse de grande capacité, ou sur une plateforme avant d'être livrés et mis en silo sur l’exploitation.