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Superéthanol
Véhicules et pompes se cherchent encore

L’offre de flex-fuel comme la distribution d’E85 progressent lentement, mais sûrement. Bilan des courses six mois après le lancement de la filière

RODAGE. « En roulant à l’E85, nous voulons montrer l’exemple », s’enthousiasment deux professionnels du conseil général de la Marne, au volant d’une Saab flambant neuve, et estampillée, pour le lancement du modèle, d’un logo vert “Bio Power”. Une fierté de façade, car, interrogés sur leur quotidien, ces conducteurs semblent moins emballés. « Nous nous approvisionnons en E85 au Centre Leclerc de Fagnières, car c’est le seul distributeur à proximité qui possède une pompe superéthanol ». Trois points de vente seulement distribuent à ce jour de l’E85 dans le département. « Nous sommes souvent préoccupés à l’idée de manquer de biocarburant lors de trajets longs et sur autoroute, dans la mesure où peu de pompes sont disponibles sur le territoire », déplorent-ils.

Depuis le 1 erjanvier, les distributeurs de carburants installent de nouvelles pompes E85. En signant la charte pour le développement de la filière en France, ils se sont engagés à mettre en place un total de 500 à 600 points de vente cette année. Cosignataires de ce pacte, les constructeurs doivent, eux, proposer avant 2008 au moins un modèle de véhicule flex-fuel à un tarif équivalent à celui de sa version fonctionnant au Super sans plomb 95 (Ssp95). Six mois après le lancement du Plan flex-fuel 2010, où en est la construction de la filière ? Les protagonistes avancent à pas comptés. Du côté des consommateurs, seuls quelques audacieux ont fait le pari de l’E85.

La consommation d’E85 n’est pas encore effrénée

Depuis janvier, 70 pompes seraient installées, « dont 50 à 60 en fonctionnement », d’après Jean-Louis Shilansky, directeur général de l’Union française des industries pétrolières. La consommation n’en est qu’à ses balbutiements, mais croît progressivement.

En témoignent les relevés à la pompe. « Je remplis une cuve, de 33.000 litres, tous les deux mois », avoue un distributeur de la Marne, dont la pompe a été une des premières inaugurées dans l’Hexagone. Par comparaison, 2 cuves de Ssp 95 sont remplies par semaine. Pourtant, la consommation d’E85 est ici une performance comparé à d’autres régions, car la mairie, la préfecture et le conseil général du département ont montré l’exemple en s’équipant de flex-fuel. Seuls quatre particuliers se seraient ici convertis. Un distributeur, dans la Somme, comptabilise quant à lui « 15 à 20 clients par mois », ajoutant que « le marché est encore frileux et nous avons peu de recul pour dégager de grandes tendances ». Un autre avance : « nous avons vendu 500 litres d’E85 depuis la mi-avril, alors que nous écoulons quelque 50.000 l/jour de Ssp 95 sur vingt-cinq jours. La consommation d’E85 est donc près de 100 fois plus faible ». Ce suivi se généralise à tous les distributeurs. « Les ventes sont peu importantes mais à la mesure du parc automobile en service », précise-t-on au siège du groupe Carrefour.

Le nombre de véhicules s’étoffe. Ford et Saab ont été les premiers à proposer des voitures roulant à l’E85 en France. La technologie, Flexi-fuel chez l’Américain, Bio Power pour le Suédois, se résume le plus souvent à des ajustements de moteur. Le premier propose cette gamme sur la Focus et la C-max depuis décembre 2005, moment où la Saab 9.5 est proposée à la vente. La 9.3 lui emboîte le pas. Toutes sont désormais proposées au prix des versions dites classiques. Chez Volvo, les C30, S40 et V50 sont disponibles en version flex-fuel 1,8 l, une cylindrée n’existant pas en classique et vendue avec un surcoût de 600 € depuis septembre dernier.

Ventes de véhicules encore limitées

Mi-mai, Ford en avait commercialisé « plus de 1.000, ce qui représente 1% des ventes », ventilées, pour un tiers, à une société de location, un second aux entreprises et le dernier aux particuliers. Chez Saab, 70 % des voitures roulant à l’E85 partent chez des particuliers, contre 30 % dans des sociétés qui « s’y sont intéressées après la mise en place de mesures gouvernementales incitatives », remarque Laurence Viey, attachée de presse de General Motors, fabricant des Saab et Opel. En tout, 140 Bio Power ont été achetées, dont 127 sur ces cinq derniers mois. Fabrice Devanlay, du service presse de Ford, relève lui aussi « une accélération depuis la disponibilité de l’E85 à la pompe » : la moitié de leurs immatriculations ont été faites après janvier. Elles devraient représenter 5 % de ses ventes en 2008, soit 1.300 véhicules. Chez Volvo, 33 C30, 10 S40 et 38 V50, ont trouvé acquéreur.

Pour Saab, « c’est un bon début », même si le démarrage est moins rapide qu’en Suède, où 90 % des véhicules vendus sont des Bio Power. « Le développement parallèle du réseau de distribution et de la commercialisation y a permis une explosion du marché en 2004 », témoigne Laurence Viey. Fabrice Devanlay souligne que « les incitations fiscales pour les entreprises et les particuliers y étaient plus intéressantes qu’en France ».

L’intérêt des consommateurs pour les biocarburants est grandissant. Mais « il n’y a pas d’achats d’impulsion quand une nouvelle technologie sort sur ce genre de produits. C’est au moment du changement de véhicule que les gens vont choisir entre une motorisation et une autre », explique le responsable de chez Ford. L’essor sera donc conditionné par le « rythme naturel de renouvellement des véhicules », à savoir six à sept ans.

Deux grands types de clients, les écologistes et les opportunistes

Avant le 1 er janvier, outre les collectivités, seules les personnes aisées et mobiles choisissaient des flex-fuel, remarque Lau-rence Viey. « Un de nos premiers clients était un grand chirurgien, voyageant beaucoup, et notamment au Brésil, où l’utilisation de bioéthanol est plus développée. Il était convaincu que les biocarburants sont l’avenir et a tout de suite opté pour une Bio Power. » S’il est difficile de faire des analyses sur de si petites populations, deux profils se dégagent parmi les pionniers ayant acheté ce genre de véhicules en 2007. Le premier : l’écologiste chevronné pour qui l’utilisation d’une flex-fuel relève d’un acte citoyen et éco-responsable. L’E85 est un bon choix pour cet “éco-mobiliste” puisque l’économie de C0 2 du champ à la roue s’étend de 30 %, pour l’éthanol de betterave, à 75 % pour celui de canne à sucre, comme le rappelle Marc Bocqué, responsable communication du groupe Peugeot-SA.

Le second client type a, lui, « une approche plus pragmatique », selon Ford. Il « est arrêté sur une motorisation essence et est intéressé par la possibilité d’utiliser deux types de carburants, et de rouler moins cher s’il dispose d’une pompe E85 à proximité ». Concernant le volet économique, l’atout premier de l’E85 est que son plein est toujours moins cher que celui du Ssp95. Psychologiquement, c’est important pour le consommateur.

Par ailleurs, les tests réalisés par le magazine Action Auto-moto, montrent, par exemple, que la Volvo C30 flex-fuel consomme, avec du Ssp95, 11 l/100 km en ville, 7,8 sur route et 9,9 sur autoroute. Avec de l’E85, son autonomie est plus limitée : 12,3 l/100 en ville, 8,9 sur route et 11,3 sur autoroute, mais les performances sont améliorées. Les flex-fuel affichent d’une manière générale une surconsommation, liée à la volatilité du bioéthanol, de l’ordre de 20 % à 40 %, selon les véhicules et les conditions de conduite, par rapport aux modèles classiques. Avec un prix d’E85 inférieur de 30 % à celui du Ssp 95, l’augmentation des volumes utilisés est souvent plus que compensée. Mais dans la fourchette haute, l’argument économique ne tient plus la route. Il faut alors avoir une fibre écologique solide. Ces véhicules intéressent d’ailleurs surtout les plus riches : chez Saab, la version flex-fuel représente 55 % des ventes de 9.5 contre 8 % des 9.3 (20 voitures), de tarif inférieur. L’atout rentabilité est donc à observer de près d’autant que certains modèles nécessiteraient, selon un professionnel du secteur, une révision plus fréquente engendrant une décote plus rapide.

Les signataires de la charte progressent, mais tiendront-ils leurs engagements ?

Engagés chacun pour leur propre compte, Total France, Leclerc, le groupe Carrefour et, dans une moindre mesure, Intermarché sont ceux dont les points de vente d’E85 devraient être les plus représentés sur le territoire en 2007. Les objectifs sont respectivement de 200, 72, 40 et 20 points de ventes. Total ne comptabilise pour le moment que 10 stations-service ouvertes et Leclerc, douze. Carrefour indique qu’il « suit son programme » : « première vague en janvier avec six stations-service en magasin, deuxième vague en mai sur autoroute avec sept stations, troisième vague en préparation sur juin-juillet ». Quant à Intermarché, « les volumes livrés augmentent régulièrement », selon la Sca Pétrole et Dérivés du Groupement des Mousquetaires. Sept pompes sont en fonctionnement à ce jour, dont trois en Picardie. La localisation des pompes semble encore disparate, dans la mesure où ces dernières sont majoritairement regroupées dans les grands bassins de production de matières premières végétales et d’usines de bioéthanol (Champagne-Ardenne, Picardie) ou de consommation (régions parisienne, lyonnaise).

Les nombreux projets d’installation à venir restent cantonnés aux grandes agglomérations.

Une offre de véhicules diversifiée

Du côté des constructeurs, Renault a sorti la Mégane en version flex-fuel (+200 €), le 1 er juin, et entend proposer la technologie sur la moitié de ses moteurs d’ici 2009. L’offre sera d’abord déployée sur ses modèles les plus demandés, comme la Clio ou la Kangoo. Les Peugeot 307 et Citroën C4 seront disponibles d’ici septembre. Ford devrait, de son côté, décliner les S-max, Galaxy et Mondéo en version Flexi-fuel en 2008 et, en 2009, « 100% de la gamme, y compris les petits véhicules » pourront rouler à l’E85. Les industriels qui n’ont pas signé la charte gouvernementale ne sont pas pour autant indifférents aux nouvelles attentes sociétales. Il ont en fait souvent parié sur des technologies différentes. Certains privilégient d’au-tres carburants, comme l’hydrogène ou le gaz naturel. D’autres travaillent sur l’aérodynamisme, les systèmes d’alterno-démarreur, la récupération d’énergie au freinage,… Des solutions permettant des économies d’énergies de 3 à 4 % qui, mises bout à bout, peuvent être conséquentes. Les protagonistes de la filière E85 ont d’ailleurs toujours insisté sur le fait que ce carburant n’est qu’une solution du bouquet énergétique à développer pour préparer l’après pétrole.

Volonté gouvernementale, motivation de la filière, consommateurs réceptifs… rien ne semble pouvoir freiner la montée en puissance de la filière. Son développement avance sans précipitation. Chacun est attentif aux progrès de ses partenaires. Les distributeurs mettront le turbo sur les pompes quand il y aura suffisamment de véhicules. Les constructeurs conditionnent, eux, la hausse des ventes à la disponibilité du carburant. Attention à ne pas s’enliser dans l’immobilisme.

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