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Blé tendre
Pacte public-privé gagnant-gagnant

Parent pauvre de la recherche, cette céréale bénéficie d’une dynamique scientifique mondiale qui va aboutir à la création de variétés hight-tech.

« Le ralentissement de la croissance du rendement du blé tendre s’est amorcé en 1995 pour plafonner depuis une dizaine d’années », rappelle Catherine Feuillet de l’Inra. La recherche sur cette céréale enregistre un net retard, par rapport au maïs ou au soja, pour plusieurs raisons : une complexité du génome, une recherche non coordonnée à l’échelle mondiale et un moindre retour sur investissements pour les sélectionneurs privés. « Pour pallier ce retard, la recherche publique française s’est largement impliquée depuis 2005 dans le séquençage du génome de blé tendre avec l’International Wheat Genome Sequencing Consortium (IWGSC) », explique la scientifique. Lancé en septembre 2011, le partenariat public-privé de recherche Breedwheat, qui poursuit les efforts européens de R&D de TriticeaeGenome achevé en mai 2012, doit permettre de faire un pas de géant en terme de sélection variétale. Le décryptage du génome du blé tendre en autorisera une lecture directe et accélèrera le processus de création de nouvelles variétés non OGM, plus productives et adaptées au changement climatique.

Le blé tendre, délaissé par les semenciers
Le retard enregistré en terme de progrès scientifique sur le blé tendre provient de la conjonction de différents facteurs défavorables. D’une part, l’amélioration du blé est plus difficile que pour les autres espèces car il faut combiner plusieurs caractères d’intérêt dans les mêmes variétés. « Quand la cible principale de l’amélioration du maïs est le rendement, celles du blé sont le rendement, les résistances aux maladies et la qualité », précise Catherine Feuillet, de l’unité ‘’Génétique, diversité et écophysiologie des céréales‘’ du centre Inra de Clermont-Ferrand Theix.  
Par ailleurs, contrairement aux riz, sorgho, maïs et soja, il n’existe pas une séquence de référence pour le génome du blé, et la caractérisation des gènes s’en trouve encore plus ralentie. « L’une des raisons pour laquelle le génome du blé tendre n’est pas encore complètement séquencé est qu’il est très large (40 fois le riz, 17 fois le soja et 2,5 fois le maïs) et complexe, car formé de trois génomes ancestraux dont l’information de gènes est très similaire », explique la scientifique. Dans le cadre de l’IWGSC, l’Inra, qui coordonne le projet, vient cependant de poser une première pierre à l’édifice avec la séquence du chromosome 3B.
Enfin, le blé tendre n’est pas une céréale qui rapporte beaucoup de revenus aux sélectionneurs, malgré la mise en place de la CVO, en raison de la problématique des semences de ferme. Elles représentent 50 % des surfaces semées sous cette céréale. Cette possibilité de ressemer sa propre récolte est inexistante en maïs qui est un hybride, avec le phénomène de ’’vigueur hybride’’ (meilleure performance par pollinisation croisée). L’enveloppe R&D du blé tendre est donc bien moindre que pour le maïs car le retour sur investissement est minime. « Il est inadmissible qu’il y ait si peu de capitalisation sur une céréale aussi importante que le blé, qui fournit 30 % de l’énergie alimentaire au niveau mondial », réagit Grégoire-Yves Berthe, directeur général du pôle de compétitivité Céréales Vallée. Et Catherine Feuillet de renchérir : « Le budget global de la recherche sur le blé est cinq fois inférieur à celui du maïs au niveau international. Et nous manquons de masse critique et de jeunes chercheurs sur le blé généralement. »

Instituts de recherche et industriels allient leurs compétences
« Ce manque de rentabilité du blé tendre pour le sélectionneur rend nécessaire l’implication de la recherche publique, insiste la représentante de l’Inra. Rares sont les semenciers privés qui peuvent se permettre de faire de la recherche sur le blé tendre. Même Monsanto ne le fait pas ! »
C’est dans cette optique que le projet TriticeaeGenome, porté par quatorze instituts de recherche et deux partenaires industriels de neuf États-membres de l’UE, a été lancé en juin 2008. « Ce programme de recherche est une contribution européenne à l’initiative internationale IWGSC, dont les acquis scientifiques sont une contribution au séquençage du blé, l’identification de gènes contrôlant des critères agronomiques (tolérance aux maladies) pour une application en sélection », résume le groupe Limagrain, partenaire du projet via Biogemma. Plus précisément, selon Catherine Feuillet, « TriticeaeGenome a permis d’effectuer la carte physique et le clonage  de cinq gènes cibles, un sur l’orge et quatre sur le blé tendre. Pour ce dernier, il s’agit d’un gène impliqué dans le rendement, de deux gènes de résistance à des maladies fongiques et d’un gène intervenant dans la qualité boulangère. »
Dans la foulée, a vu le jour Breedwheat, le programme de recherche français ‘’Investissements d’avenir’’ (2011-2020), consacré à la « création de nouvelles variétés de blé tendre, par la mobilisation des nouveaux outils disponibles », comme le définit Grégoire-Yves Berthe. Fort de son partenariat public-privé, il regroupe quatorze laboratoires de recherche publique, dix sociétés privées, un institut technique et un pôle de compétitivité. « Les objectifs sont d’étudier les mécanismes de maintien du rendement sous condition de stress abiotique (déficit hydrique, stress thermique) et biotique (maladie), et de développer une boite à outils au service des entreprises semencières impliquées dans la sélection du blé », détaille le groupe Limagrain, partenaire du projet. Ce dernier repose sur quatre axes : la caractérisation et l’utilisation des ressources génétiques, le séquençage et le génotypage à haut débit, le phénotypage ou l’expérimentation agronomique, et des travaux d’optimisation de sélection assistée par marqueurs. « De nouveaux outils de phénotypage haut débit, telle que la plateforme inaugurée en juillet dernier sur le site de l’Inra de Dijon, vont nous permettre d’aller beaucoup plus vite sur notre capacité à caractériser une multitude de plantes en multipliant par 10, 100 voire 1 000 la vitesse d’exécution », s’enthousiasme Grégoire-Yves Berthe.
Afin de booster la recherche sur le blé, l’Inra s’est également engagé à coordonner les activités de la Wheat Initiative durant les quatre prochaines années. Actée le 15 septembre 2011 à Paris par les ministres de l’Agriculture du G20, elle va renforcer la synergie entre les programmes de recherche mondiaux d’amélioration du blé. « Coordonner les recherches sur le blé à l’échelle internationale permettra d’avoir une meilleure visibilité auprès des agences de financement, qui constituent l’un des comités de la Wheat Initiative », se réjouit Catherine Feuillet. Un engouement partagé par Grégoire-Yves Berthe, qui ajoute que « le nouveau site qui vient d’être ouvert va permettre de partager un certain nombre de bonnes pratiques à travers le monde ».

De nouvelles variétés à l’horizon 2022
Le partenariat public-privé présente un double avantage. Outre la taille conséquente des enveloppes abondées par les fonds publics, « travailler dans un projet collectif permet aux entreprises de profiter plus rapidement des progrès scientifiques acquis que s’ils avaient effectué ces recherches, chacun dans leur coin », souligne Catherine Feuillet. On parle alors de projet de recherche précompétitive, à l’image de Breedwheat. « Si cela n’avait pas été le cas, nous n’aurions jamais réussi à avoir tous les sélectionneurs privés ensembles », remarque la scientifique, qui explique : « Nous n’allons pas créer une variété immédiatement vendable au fermier, il y aurait alors trop de compétition entre les sélectionneurs. Nous allons créer des variétés qu’ils peuvent immédiatement utiliser dans leurs programmes de sélection.» Dans ce contexte, on peut imaginer qu’«un ou deux ans après la fin du projet Breedwheat, il y ait des variétés inscrites au catalogue », estime-t-elle.  
Reste à savoir si la sélection assistée par marqueurs (SAM), fondement même de Breedwheat, suffira à répondre aux enjeux planétaires. « Satisfaire aux besoins alimentaires d'une population de 9 milliards d'hommes et de femmes en 2050, sur des terres arables données, et en s'appuyant sur des ressources limitées, est un objectif particulièrement ambitieux, reconnaît le groupe Limagrain. Pour l’atteindre, nous avons besoin d’une palette très large de technologies, dont des solutions issues du génie génétique. » Et Catherine Feuillet de renchérir : « L’utilisation des OGM doit être envisagée au même titre que la SAM si elle permet d’atteindre les objectifs plus efficacement. » Grégoire-Yves Berthe regrette, quant à lui, que « les OGM ne soient pas utilisés plus vite sachant que, ailleurs dans le monde, ils vont l’être avant nous ». Et de conclure : « Il arrivera un moment ou un autre où, si l’on veut rester compétitif, il faudra arrêter de se couper les deux jambes. »

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