OMC : Hongkong kidnappe les subventions à l’export de l’UE
Ce que beaucoup redoutaient a eu lieu en Chine où l’UE a payé l’essentiel du prix d’un accord très défavorable à l’agriculture européenne, qui sera privée de subventions à l’exportation dès 2013.
UN MAIGRE ACCORD. Si le dossier agricole a longtemps été montré du doigt comme l’élément paralysant l’avancée des négociations du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’accord obtenu au terme de cinq jours de négociations devrait permettre de débloquer cette situation car d’importantes concessions y ont été faites, en particulier de la part de l’Union européenne et sa Pac, considérée par ses concurrents comme principale responsable du déséquilibre commercial Nord-Sud.
Un accord sans contrepartie
Après une semaine riche en remontrances et en alliances de circonstances, les 149 membres de l’OMC ont finalement accouché d’un accord dont voici les six points élémentaires.
Concernant la réduction des soutiens internes à l’agriculture, l’accord prévoit un classement hiérarchique des pays en trois catégories suivant l’importance des soutiens qu’ils accordent à leurs agriculteurs. Dans la première, ne figure que l’UE qui devra faire davantage d’efforts que les Etats-Unis et le Japon, tous deux entrants dans la seconde. La troisième comprend les autres pays soutenant leurs producteurs. Les Etats-Unis également se sont vu attribuer une règle destinée à rendre plus difficile le reclassement de ses paiements contracycliques dans la boîte bleue (mesures tolérées par l’OMC car liées à la production).
Autre mesure visant à réduire les soutiens, la fixation d’une date de suppression des subventions à l’exportation acceptée in extremis par les négociateurs de l’Union européenne. Ainsi, à partir de 2013, les agriculteurs européens devront se passer des subventions bruxelloises pour vendre leurs productions dans les pays tiers. «Une réduction substantielle» a été actée dès 2010. Maigre contrepartie, les autres pays ont accepté de se discipliner pour éviter que l’aide alimentaire, les crédits à l’export ou les sociétés commerciales monopolistiques (Australie, Canada, Nouvelle Zélande) ne viennent perturber la libre concurrence. Mais aucun engagement chiffré ou daté n’a été conclu.
L’accès au marché sera favorisé par la réduction des droits de douane. Les membres de l’OMC se sont entendus sur le principe de quatre catégories de baisse dont l’ampleur sera discutée ultérieurement. D’autre part, les pays dits développés se sont vus reconnaître l’existence de «produits sensibles». Il s’agit de produits d’un pays pour lesquels la baisse des tarifs sera plus faible mais pour lesquels les contingents tarifaires seront plus élevés. Les pays en développement, quant à eux, ont bénéficié de la reconnaissance de «produits spéciaux». Cette clause permet à chacun de définir des produits pour lesquels la sécurité alimentaire, le développement rural ou le revenu des paysans impliquent le maintien d’une protection.
Le dossier du coton, cher aux paysans africains, a avancé mais pas autant que ces derniers ne l’auraient espéré. Ils ont tout de même obtenu que le coton des pays les moins avancés (PMA), en particulier ceux d’Afrique de l’Ouest, soit exporté sans droit ni quota vers les pays développés à partir de 2008, au mieux. Toutefois, concernant les 4 Md$ de subventions octroyés par les Etats-Unis à leurs cotonniers, accusés de faire chuter les cours de ce produit, rien ou presque n’a été prévu. Le texte «reconnaît» simplement que les subventions internes «devraient être réduites de manière plus ambitieuse».
Mesure phare de cet accord, le paquet Developpement permettra aux pays les moins avancés de mieux profiter de la libéralisation du commerce. Pour cela, la règle «droit zéro, quota zéro» leur permettrait d’exporter leurs produits vers les pays développés sans droit de douane et sans quota. Toutefois, les pays importateurs pourront limiter cet accès favorisé à 97 % de leurs besoins extérieurs. Cette clause permettrait notamment aux Etats-Unis de se protéger du Bangladesh en matière de textile, et au Japon de limiter ses importations de riz.
Enfin, le volet des produits non agricoles et des services a peu évolué. Le principe d’une diminution des droits de douane, d’autant plus forte que ces droits sont élevés, a été retenu. Concernant les services, l’obligation de négocier une ouverture des marchés des services a été vidée de sa substance. Le texte énonce que les négociations «seront menées à bien en vue de promouvoir la croissance économique». Les pays riches qui demandaient un meilleurs accès pour leurs services financiers, télécoms, transports et tourisme, n’ont pas su tirer profit du rendez-vous chinois, en particulier l’Union européenne, qui a bradé son agriculture sans obtenir de réelles contreparties sur le dossier des services.
Grande déception de la profession
Toutes tendances confondues, les syndicats agricoles ont dénoncé l’accord de Hongkong. Pour les associations générales des producteurs de blé (AGPB) et de maïs (AGPM), «l’UE a récolté sans surprise, les fruits du manque de réalisme et de sens tactique, dont a fait preuve, depuis des mois, la Commission européenne dans la négociation». Elles estiment que «l’UE devra se montrer inflexible vis-à-vis des autres formes d’aides —garanties de crédit à l’export, aide alimentaire déguisée, monopole des entreprises commerciales d’état— d’ici au 30 avril 2006».
Elles souhaitent aussi que «soit traitée efficacement la question du marketing loan américain». Pour finir, elles dénoncent le caractère incompatible de la suppression des restitutions avec une ouverture accrue des marchés européens des céréales et des productions à base de céréales. Les syndicats d’exploitants agricoles se montrent tous pessismistes sur l’avenir du secteur. La FNSEA parle «d’une étape insatisfaisante» et d’ «un avenir semé d’embuches». Tandis que la Confédération paysanne et la Coordination rurale demandent tout simplement que l’agriculture sorte des secteurs traités à l’OMC. De leur côté, nos politiques se sont montrés plutôt satisfaits de l’accord chinois. Le ministre de l’Agriculture, Dominique Bussereau, a admis que cet accord n’était «pas génial» mais «il y a quelques avancées» a-t-il ajouté. Le Président de la République, lui, a estimé cet accord «favorable» à la croissance et à l’emploi en France. «Il contribuera au développement des pays les plus pauvres, tout en préservant le potentiel indispensable de l’agriculture européenne.»