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Céréales bio : la moisson 2024 remet en question l'autosuffisance en France

Menacée de surproduction en 2023, la filière française de grains bio subit en 2024 une chute de la collecte, imposant des changements brutaux de stratégie aux opérateurs.

La filière bio française est prise à contre-pied. Alors que les récoltes exceptionnelles de 2022 et de 2023 avaient conduit la filière à l’autosuffisance, puis à des excédents, la moisson catastrophique de l’été 2024 rebat les cartes. « Ce marché encore étroit doit gérer les fluctuations de volumes liés aux aléas climatiques qui peuvent provoquer des revirements », analyse Bastien Vincent, responsable commercial à Fermes Bio, regroupement des coopératives Biocer, Cocebio et Probiolor, dans le nord-centre-est de la France.​​​​

Ventes à perte

Le grand épeautre illustre cet effet yoyo délétère qui complique l’édification d’une filière solide. « Face aux stocks et aux prix en baisse, les emblavements ont diminué, des volumes sont partis à l’export, et aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il va en manquer. Les graines vendues brutes en Allemagne à 220 euros la tonne reviennent en décortiquées… mais à un prix doublé », explique Maximilien L’Hyver, responsable Trade de la filiale allemande de Partner & Co.

En blé tendre, les deux dernières collectes, supérieures à 420 000 tonnes, ont entraîné des opérations de dégagements, à l’export ou en conventionnel, à des prix inférieurs aux coûts de production. La nouvelle récolte, avec son volume divisé quasiment par deux, vient tout bousculer. « Personne n’a vu venir ces chutes de rendements de 2024 qui affectent encore davantage les terres à hauts potentiels », observe Christophe Pollet, responsable commercial à Agribio Union, regroupant six coopératives du Sud-Ouest.​​​​​

Contrats pluriannuels prioritaires

Dans ce nouveau contexte, la priorité des livraisons ira aux contrats pluriannuels tripartites. « Ces engagements que nous avons tenu à développer garantissent aux producteurs et aux transformateurs des prix lissés, les plus justes possibles, pour les sécuriser et solidifier la filière », rappelle Christophe Pollet. Ce type de contractualisation est notamment privilégié par les organismes stockeurs historiques bio afin de favoriser des filières équitables. « Plus que jamais, ces contrats sont indispensables pour limiter les à-coups de marché, avec des engagements de volumes, des tunnels de prix ou des prix fixes, sur des bases équitables, pour orienter les emblavements et réguler les débouchés », appuie Alban Le Mao, de la Cavac.

Les principaux meuniers bio français ont réussi à se couvrir jusqu’à fin 2024 sur l’ancienne récolte, bénéficiant de prix baissiers, et ne se disent pas inquiets pour leurs approvisionnements. Par crainte de manquer, les fabricants d’aliments pour animaux, eux, se sont vite mis en recherche de blé fourrager et de soja, deux marchés déjà en tension. D’autant plus que « la consommation bio en France se réveille cet automne, comme au Benelux, en Italie, dans les pays scandinaves, précise Maximilien L’Hyver. Seule l’Allemagne, premier marché européen bio, voit sa consommation bio ralentir. »

Face à l’incertitude des disponibilités françaises et à la réticence des collecteurs à vendre en période haussière, un courant d’importation à des tarifs très compétitifs, boosté par un coût du fret favorable, s’est installé en provenance d’Europe de l’Est (notamment Roumanie) pour le blé fourrager et d’Espagne pour l’orge. « Les prix de vente en France sont souvent 20 à 25 euros la tonne supérieurs à ceux pratiqués en Italie, en Allemagne, et même aux Pays-Bas, importateurs de produits polonais, roumains, voire ukrainiens. »

L’obligation de l’origine France, imposée par certaines filières comme Biolait et Bleu-Blanc-Cœur, reste encore marginale.​​​​​​

Retournement ou assainissement ?

La récolte 2024 constitue-t-elle un retournement ? « On peut parler d’un assainissement du marché de [l'agriculture] bio, qui en avait besoin, pour se mettre en phase avec la consommation », analyse Julien-Boris Pelletier, directeur général de Moulin Marion, produisant 12 000 tonnes de farine, et 20 000 tonnes d’aliments bio.

Les opérateurs se remobilisent et attendent que l’État fasse appliquer la loi Egalim imposant 20 % de bio en restauration collective. « Nous avons vécu une énorme croissance depuis 2018, poussée par une forte demande, nous avons investi et construit des filières, rappelle Christophe Pollet, d’Agribio Union. Aujourd’hui, cette crise doit nous inciter à trouver des solutions, à redimensionner nos structures, à nous réinventer. »

L’objectif de 18 % de surface bio en 2027 nécessitera une forte mobilisation de tous, s’accordent à dire les opérateurs, avec des adaptations des itinéraires techniques, des aides PAC mieux ciblées, un maintien des conversions… La filière s’attend à une relance consolidée en 2025, notamment en alimentation humaine, mais la filière nutrition animale risque de mettre plus de temps à récupérer.

 

« La récolte bio pourrait être une des pires depuis plusieurs décennies », s'inquiète Thomas Lienhart, courtier chez Dugué Courtage

Comment évolue le marché bio ?

Thomas Lienhart - Comme en conventionnel, la récolte bio pourrait être une des pires depuis plusieurs décennies. La situation n’est guère plus enviable dans les pays de l’est de l’Europe. Après deux années de sécheresse, l’Espagne semble présente cette année. Il y a aussi de la marchandise disponible dans les pays baltes et en Ukraine, mais les Français ont peu d’habitudes sur ces pays – contrairement aux Pays-Bas ou à la Grande-Bretagne, clients de ces origines.

La hausse des prix amorcée va-t-elle perdurer ?

T. L. - Beaucoup d’éléments vont en ce sens. Déjà, du stockage bio est disponible cette année. Les opérateurs en capacité financière de le faire peuvent garder la marchandise pour la vendre sur la seconde partie de campagne. La France écoule traditionnellement mieux sur cette époque et ne cherche pas systématiquement à faire du dégagement à l’instar de certains pays de l’Est. Ensuite, il y a un réel déficit en matières premières fourragères. La meunerie va absorber la quasi-intégralité des volumes de blé cette année. Avec moins de conversions, moins de céréales C2 sont disponibles.

Comment envisager l’avenir ?

T. L. - Tout d’abord, il faut se féliciter que les prix de nos matières premières bio se soient émancipés du conventionnel. C’est indispensable pour maintenir des producteurs bio français. Mais l’industrie a du mal à gérer les hausses de prix brutales. Les acheteurs sont souvent tenus par des engagements annuels, et leurs clients ne leur passent pas de nouvelles hausses chaque matin ! Avoir des prix élevés dans l’absolu est durable et souhaitable en bio, mais ces hausses consécutives ont beaucoup affecté les élevages bio. Bonne nouvelle, la consommation s’est stabilisée, et les achats en magasins reprennent en France et en Europe. Et [l'agriculture] bio mondiale continue à se développer.

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