Transport ferroviaire
« L'image de Fret SNCF a changé grâce au nouveau dialogue établi avec le client »
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La Dépêche - Le Petit Meunier : L'ouverture à la concurrence vous a fait perdre des parts de marché. Quelle stratégie avez-vous mis en place pour reconquérir votre clientèle agricole ?
Olivier Juban : Il est normal quand la concurrence arrive de perdre des parts de marché : arrivée de nouveaux entrants, difficultés à être dans les prix sur certains marchés comme la nutrition animale en Bretagne… Quand, pendant des années, celles du monopole, les prix pratiqués ne couvraient même pas les charges variables, il ne faut pas s'étonner du résultat. Dans un premier temps, nous avons travaillé à réduire nos coûts de production. Mon objectif était de les abaisser de plus de 30 % en cinq ans, pour rester en capacité de faire des offres dont la rentabilité serait, disons-le, plus acceptable. Sous les effets conjugués de la crise et de la concurrence, nous avons donc dû adapter nos charges en travaillant sur l'organisation du travail, le rendement des locomotives et la simplification de nos process. Fret SNCF est ainsi passé de 14.000 salariés à moins de 8.000 en presque dix ans. Dans le même temps, nous avons su convaincre de grands clients – comme Roquette, Sica Atlantique, Soufflet, InVivo, Axéréal, Sénalia et pas mal d'autres – qu'il fallait revoir la contractualisation de nos offres et que le ferroviaire ne pouvait s'imaginer autrement que dans une logique industrielle, sur un partage gagnant-gagnant entre des volumes captables par le rail et des montages opérationnels de qualité. Dis autrement, le ferroviaire ne peut pas être pour le marché compris seulement comme une variable d'ajustement de l'offre routière. Pour que ces nouvelles organisations ferroviaires voient le jour, nos clients se sont engagés à nous offrir des volumes minimum constituant un socle sur lequel construire un process industriel compétitif. Sur ces bases assainies, nous gérons les saisonnalités des trafics au-delà de ces socles, grâce à la force de frappe d'une entreprise ferroviaire qui reste de loin leader sur le marché avec plus de 1 Md€ de chiffre d'affaires (CA). Nous avons bien conscience que le prix de transport est un élément de la compétition qui se joue entre l'origine France et la concurrence de la mer Noire, par exemple.
LD-LPM : Quels sont les résultats de cette nouvelle démarche commerciale ?
O. J. : Nous avons positionné la force de vente et la production sous le même management, au plus près du terrain. Nous ne “faisons plus des trains”, nous déplaçons la marchandise de nos clients. Croyez-moi, c'est une vraie révolution culturelle. Je pense que l'on a vraiment changé l'image de Fret SNCF du point de vue de la qualité de service également, en engageant un vrai dialogue avec le client qui a permis de développer le plus souvent une véritable relation de partenariat.
Des contrats socle sur trois ans minimum, que nous essayons actuellement de renouveler sur 2020.
Aujourd'hui, l'activité agricole, que ce soit en termes de trafic industriel ou portuaire, pèse un peu plus de 10 % du CA global de Fret SNCF, soit un billet d'environ 100 M€, que l'on a réussi à plutôt bien maintenir ces dernières années. Entre 2009 et 2015, les grandes cultures sont en repli de seulement 10-15%, à 92 M€ en 2015 contre 115 M€ en 2009. Sur la même période, le sucre et les engrais ont à peine reculé, passant respectivement de 15 M€ à 13 M€ et de 15 M€ à 14 M€. C'est relativement peu comparé à d'autres marchés tels le BTP ou l'automobile.
En terme de rentabilité, et dans un monde où les entreprises ferroviaires peinent à trouver un équilibre économique – même les nouveaux entrants – nous pensons être sur la bonne voie et nous tenons nos objectifs de redressement économique, année après année. Aujourd'hui, la marge opérationnelle de Fret SNCF est négative, de l'ordre de - 8 % du CA en 2015. Notre objectif est qu'elle soit positive d'ici trois ans.
LD-LPM : Le réseau capillaire est au cœur des préoccupations des clients du fer. Qu'en est-il du sauvetage de lignes fret menacées de fermeture ? O. J. : Le réseau capillaire est vital pour l'agriculture, il faut le sauver. Dans ce dossier, Fret SNCF a été pragmatique en facilitant durant toute l'année 2015 un travail de mise autour d'une table de gens potentiellement antagonistes (SNCF Réseau, entreprises ferroviaires, chargeurs et collectivités territoriales). Et ce, afin de trouver des financements pour engager des travaux de rénovation de lignes secondaires menacées de fermeture à court terme. Quatre bassins sont particulièrement l'objet de notre vigilance, la région Centre, le Sud-Ouest, la Bourgogne et la Champagne-Ardenne. En gros, un bon tiers des sommes engagées, qui permettent de lever l'hypothèque à cinq ans, le sont pour un bon tiers par l'Afitf, un tiers par SNCF Réseau et le dernier tiers par les collectivités territoriales et les chargeurs, avec des montages différents d'une zone à l'autre. Dans le cas que je qualifierai de plus critique, en terme d'urgence et de volumétrie, qu'est sans doute celui de Champagne-Ardenne, il a fallu aligner les postures de tous les acteurs pour lever près de 30 M€ simplement pour remettre ce réseau à des normes d'exploitation admissibles. Les chargeurs contribuent dans ce cas à la maintenance à venir par un abondement de l'ordre de 2 €/t chargée. Ce qui est énorme, comparé au prix de transport moyen d'un Châlons/Rouen (15 €/t) ou d'un Châlons/Lestrem (18 €/t). Nous surveillons maintenant que le démarrage des travaux se fassent dans les temps et sur les lignes que nous jugeons prioritaires (au vu des 1.000 trains y circulant à l'année), à savoir Chalons-sur-Marne/Char-mont, Oiry/Esternay et Vitry-le-François/Troyes. La question maintenant est de savoir quel niveau de maintenance va être mis en place sur les lignes une fois rénovées. Si je suis confiant jusqu'en 2022, je m'inquiète pour la pérennisation de ces voies, pourtant essentielle à la filière agricole.