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Une hausse des prix du tourteau de soja n’est pas à exclure

Le marché mondial de la protéine est toujours très concentré, source de volatilité des prix. La récolte de soja en Argentine est catastrophique cette année, et le marché scrute les conditions de culture aux États-Unis.

Le port de Montoir constitue une place majeure d’entrée de tourteau de soja en France.
© G. Lefevre, Réussir

Le constat d’analystes au sujet du marché du blé tendre peut également se transposer à celui des tourteaux, dont le leader incontesté est le soja, à savoir un sentiment d’équilibre fragile. « On ne peut pas se permettre un incident climatique aux États-Unis pour la campagne commerciale 2023-2024 », s’exprimait Yvon Pennors, directeur général de Bunge France, lors de la journée matières premières organisée par l’Association française des techniciens de l’alimentation et des productions animales (Aftaa), le 28 mars à Nantes. En d’autres termes, une nouvelle hausse des prix de la graine de soja et, par ricochet, des tourteaux n’est pas à exclure durant la fin du printemps et le début de l’été 2023, si un évènement climatique majeur venait dégrader les cultures aux États-Unis.

Le directeur général de Bunge France rappelle que le leader du marché mondial des graines oléagineuses reste le soja, loin devant le colza et le tournesol. Sa production annuelle représente 75 % du total, avec 350 à 375 millions de tonnes (Mt), contre 70 à 85 Mt pour le colza et 40 à 50 Mt pour le tournesol. Si l’on convertit en équivalent tourteau, le leadership du soja est encore plus marqué, englobant 80 % des volumes (cf. graphique). Ainsi, si les cours du soja flambent ou dégringolent, le colza et le tournesol, eux, n’ont guère d’autres choix que de suivre le mouvement, sauf cas exceptionnel.

 

 

Et le marché du soja s’avérerait plus tendu que les apparences ne le laissent croire. Rappelons un autre fait structurel : le monde dépend essentiellement de trois pays, du côté de l’offre, qui sont dans l’ordre, le Brésil, les États-Unis – qui ont récemment été dépassés –, puis l’Argentine. Ils produisent 300 Mt sur les 350-375 Mt de graines disponibles annuellement, sachant que la Chine en consomme près de 100 Mt.

Côté conjoncturel, la demande chinoise en tourteaux de soja rebondirait lors des prochains mois, selon une analyse de Rabobank d’avril 2023, grâce au regain des besoins des filières locales porcines et avicoles. À condition que le contexte sanitaire soit favorable. La situation en Argentine, spécialisée dans l’export de tourteaux et d’huile, est catastrophique cette année, avec une moisson aux alentours des 21-25 Mt, contre 40 à 50 Mt traditionnellement. Cela pèsera forcément sur les capacités du pays à expédier ses pellets.

Des stocks très bas aux États-Unis

Aux États-Unis, la production 2022-2023 de graines s’est avérée correcte, mais pas débordante, à 116 Mt environ, selon le ministère de l’Agriculture états-unien (USDA), en baisse de 5 Mt par rapport à 2021-2022. Mais il y a un fait inquiétant : les stocks états-uniens 2022-2023 ne sont attendus qu’à 5,5-6 Mt, entraînant un ratio de stock/consommation proche de 5%. « Un ratio de 8 % correspond à un mois de consommation ! », alerte Yvon Pennors. L’une des raisons de ce faible ratio est la hausse continue de la consommation intérieure aux États-Unis, qui passe de 55,9 Mt en 2017-2018 (pour une production de 120 Mt) à 61,1 Mt en 2022-2023, toujours selon l’USDA. Cette tendance est notamment portée par la croissance de la demande des biocarburants, spécialement de l’industrie HVO (Hydrotreated Vegetable Oil), qui passe de 3,2 Mt à 5,26 Mt sur la période. Son essor devrait se poursuivre dans les années à venir.

Une hausse de la trituration de graines de soja débouche, certes, sur la production de tourteaux, libérant potentiellement de la protéine sur le marché mondial. Mais la croissance de la consommation de viande ne se dément pas aux États-Unis. Elle engendre un accroissement de celle de pellets, passant de 32,24 Mt en 2017-2018 à 36 Mt en 2022-2023, d’après l’USDA.

Rabobank confirme ce phénomène, et s’attend à une poursuite du mouvement en 2023-2024, en raison du rebond « du nombre de bovins dans le pays, après avoir connu un creux cyclique ». Les stocks de report 2023-2024 au sein du deuxième producteur mondial, les États-Unis, ne s’annoncent donc guère volumineux. Le Brésil sera, par conséquent, le fournisseur presque exclusif de graines et de tourteaux de la planète entre la fin du printemps et août 2023.

Néanmoins, d’autres éléments plaident pour une pression potentielle sur les cours. La production brésilienne est évaluée à un niveau record, dépassant les 150 Mt, selon divers analystes privés et publics, dont l’USDA. Par ailleurs, les semis aux États-Unis se passent plutôt bien. Face à ces nouvelles, les cours du tourteau de soja à Chicago ont amorcé un mouvement de baisse significatif entre janvier et le milieu du printemps. 2023, entraînant avec eux ceux des tourteaux à Montoir. Les valeurs y dépassaient les 600 €/t en janvier, pour tomber sous les 500 €/t fin avril (475 €/t en spot au 30 mai 2023).

Par ailleurs, « les prix des tourteaux, spécialement de soja, sont déjà à un niveau élevé (malgré la récente baisse, NDLR) », signale Yvon Pennors. Cela incite la nutrition animale à se rationner. La croissance de la demande mondiale en tourteaux de soja s’effriterait quelque peu entre 2021-2022 et 2022-2023, pour tomber à seulement 1 à 2 % selon l’expert de Bunge, alors que le rythme annuel ces dernières années était plutôt de 3 à 6 %. La production d’animaux en Europe a reculé en 2022, avec des phénomènes de décapitalisation de cheptels. Ajoutons à cela les épidémies de grippe aviaire dans le monde (États-Unis, UE, Asie), qui ont dégradé la consommation de protéines par la filière volaille. Reconstituer les troupeaux prend du temps.

Enfin, la flambée des prix de l’énergie n’a aidé ni les éleveurs, ni les triturateurs d’oléagineux, ni les fabricants d’aliments pour animaux, pesant sur leur consommation de graines/tourteaux en 2022 et en 2023.

Quid de la demande en France ?

Bien qu’il soit encore tôt pour faire des prévisions, le Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale s’attend, pour le moment, à ce que la production d’aliments pour animaux en 2023 soit semblable à celle de 2022, soit un niveau légèrement inférieur à 20 Mt. « Ce n’est pas une surprise, il faut faire le bilan à la fin du premier semestre, puis observer le second semestre. L’année 2022 est une référence particulière, car chahutée », tempère son président François Cholat. La demande en tourteaux de soja en France pourrait ainsi stagner, voire régresser. Selon un analyste privé, elle tomberait à 3 Mt en 2022-2023, contre 3,3 Mt l’an dernier.

 

La nutrition animale française s’adapte à la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine – le pays est un important exportateur de tourteaux, notamment de tournesol – a bouleversé les flux de matières premières dans le monde. Mais la nutrition animale hexagonale s’est adaptée. « Nous observons bien entendu la situation, mais nous ne sommes pas particulièrement inquiets, car les industriels de la filière ont su trouver les solutions. Le manque de tourteaux de tournesol ukrainiens a pu être compensé par ceux de colza ou de soja en provenance d’autres régions », relève François Cholat, président du Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale.

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