Engrais - Quelle évolution des prix en 2024-2025 ?
Pour plusieurs acteurs majeurs du marché français, on ne devrait pas s’attendre à une baisse des prix des engrais sur la campagne à venir. Un défi face au risque de baisse des revenus en grandes cultures en 2024.
Pour plusieurs acteurs majeurs du marché français, on ne devrait pas s’attendre à une baisse des prix des engrais sur la campagne à venir. Un défi face au risque de baisse des revenus en grandes cultures en 2024.
Après les sommets atteints lors de la crise de la Covid-19 et surtout lors de l’envolée des prix du gaz européen au déclenchement de la guerre en Ukraine, les prix des engrais retrouvent désormais des niveaux moins stratosphériques, « proches de ceux d’avant la crise, sans toutefois renouer avec les cours observés avant 2020 », selon Yannick Carel, ingénieur agro-économiste chez Arvalis. Les principaux acteurs du marché français s’accordent sur une vision plutôt neutre à légèrement haussière du marché pour la campagne 2024-2025.
Le marché des engrais retrouve une configuration plus classique, mais reste volatil
Pour Nicolas Broutin, président de Yara France, « les marchés retrouvent une forme d’équilibre général après des flux mondiaux chahutés ». Cet équilibre repose sur la dynamique classique entre offre et demande, avec une offre soumise à des variations et une demande qui a dû se rationner et évoluer pour faire face à l’envolée des cours les campagnes précédentes.
Ainsi, la place de la Chine, un des principaux producteurs mondiaux d’engrais, sera à surveiller dans les prochains mois, vu son influence sur les prix mondiaux, même si elle ne fournit pas le marché européen. En effet, l’empire du Milieu renouvelle depuis 2021 des restrictions sur ses exportations d’urée et de phosphate, afin de garantir l’approvisionnement de son marché intérieur. Pour l’expert de la multinationale des fertilisants, les fluctuations d’approvisionnement en gaz en Afrique du Nord (comme on l’a vu en Égypte dernièrement, avec des usines d’engrais à l’arrêt) pourraient également infliger une tension sur le marché. « Le marché est neutre à légèrement haussier », a-t-il déclaré. Une vision que partage Renaud Bernardi, membre du bureau de l’Unifa (Union des industries de la fertilisation) : « Nous ne prévoyons pas de nouvelle baisse des prix », s’est-il avancé.
« Nous ne prévoyons pas de nouvelle baisse des prix », déclare Renaud Bernardi, membre du bureau de l’Unifa.
La volatilité reste de mise sur les marchés des fertilisants
Les représentants des industriels français tiennent cependant à souligner la volatilité des marchés, en lien avec le contexte géopolitique en Ukraine et au Moyen-Orient. « On recommande toujours de fractionner les achats », rappelle Nicolas Broutin.
« On recommande toujours de fractionner les achats », rappelle Nicolas Broutin, président de Yara France.
Cette volatilité représente un défi pour les industriels français qui produisent des engrais (et notamment des engrais composés) à base de matières premières importées, comme Timac Agro, qui produit des fertilisants et produits technologiques visant à améliorer l’efficience de la nutrition des plantes. Pour Olivier Duval, directeur Normandie Centre de Timac Agro, « l'entreprise protège ses approvisionnements en diversifiant ses fournisseurs, ce qui nous permet de diminuer notre vulnérabilité face à la volatilité des marchés des engrais ». Le marché international est en effet largement soumis aux aléas géopolitiques. Dans le cas de Timac Agro, c’est l’approvisionnement en matières premières d’origine russe qui a été suspendu par la direction de l'entreprise au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, ce qui a créé une contrainte supplémentaire alors que la Russie a renforcé sa position sur le marché européen des fertilisants.
Des arbitrages prix qui ont bouleversé les parts de marché des types d’engrais
Les prix élevés observés les campagnes précédentes ont poussé les agriculteurs à réaliser des arbitrages et se tourner vers des formes d’engrais moins onéreuses, voire à faire l’impasse sur certains types de fertilisation. Ainsi, sur la campagne 2022-2023, les agriculteurs se sont tournés de façon plus massive vers l’urée, dont la part dans les livraisons d’engrais simples azotés est passée de 15 % la campagne précédente à 24 % au détriment de l’ammonitrate en 2022-2023 d’après l’Unifa, et ce dans un marché français où la fertilisation azotée est traditionnellement dominée par l’ammonitrate. En effet, selon Yannick Carel, expert agro-économiste chez Arvalis, « la part de l’urée est montée jusqu’à 35 % en 2023, parce que c’est la forme d’engrais azoté la moins chère des trois ». Pour lui, cette tendance devrait persister sur la campagne à venir, faute d’indicateur baissier sur le marché de l’azote : « Actuellement, la solution azotée est légèrement moins chère que l’urée, mais elles sont à peu près équivalentes. L’urée devrait garder tout son intérêt pour la campagne 2024-2025 », s’est-il avancé.
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Une vision que Renaud Bernardi ne partage pas : « Sur 2023-2024 et sur le début 2024-2025, il y a un regain d’intérêt pour les nitrates et les composés par rapport à l’urée ». « L’ammonitrate a tout de même sa part et reste défendu par les producteurs », renchérit Olivier Duval, de Timac Agro. Si l’entreprise ne produit pas d’ammonitrate, elle se positionne sur le marché des engrais composés qui ont eux aussi vu leurs parts de marché reculer après la guerre en Ukraine, à seulement 15 % des livraisons totales de fertilisants contre 20 % en moyenne avant la crise, toujours selon l’Unifa.
Les industriels espèrent une reprise des achats d’engrais composés et d’autres éléments que l’azote
Depuis la crise, le marché des NPK (azote-phosphore-potassium) et des ternaires composés s’est en effet « effondré », pour Nicolas Broutin, à cause d’un arbitrage défavorable des agriculteurs au profit de l’azote. « Le marché est aussi à la peine en raison du caractère plus recyclable des éléments P et K qui se stockent dans le sol, et dont l’apport d’engrais organiques permet l’entretien, au contraire de l’azote qui est plus lessivable », précise-t-il.
Pour l’Unifa, « la hausse des prix des céréales au mois de mai a apporté un regain d’intérêt pour les éléments P [phosphore] et K [potassium] ». Et ce alors que « des besoins de régénération du sol en phosphore et potassium se profilent dans certaines régions », alerte Renaud Bernardi.
« On ne peut pas se passer du phosphore au risque de baisser en rendement et en qualité », alerte Olivier Duval, directeur Normandie Centre de Timac Agro.
Une vision que partage Olivier Duval, pour Timac Agro : « En quarante ans, les quantités de phosphore apportées au sol ont été divisées par neuf », déplore-t-il. Il insiste sur la nécessité pour les acteurs du marché de se positionner sur ce créneau : « On ne peut pas se passer du phosphore au risque de baisser en rendement et en qualité », martèle-t-il. Pour lui, le marché des engrais composés pourrait repartir, maintenant que celui de l’azote est un peu plus calme.
Le fractionnement des achats et l’anticipation restent la clé pour éviter l’impasse sur les fertilisants faute de trésorerie
Les principaux acteurs industriels du marché français des fertilisants insistent tous sur la nécessité d’anticiper les achats de fertilisants pour parer à la volatilité du marché, d’autant plus que les revenus 2023 ont été « nettement plus bas » que ceux de 2021 et 2022, année record, rappelle Yannick Carel. « La trésorerie pourra poser un problème pour les achats d’engrais. Cela dépendra de la possibilité pour chaque producteur d’avoir accès à des prêts court terme », s’inquiète l’expert d’Arvalis. Du côté de l’Unifa, le son de cloche se veut plus rassurant : « Nous ne sommes pas plus inquiets que d’habitude, mais nous restons attentifs. Le démarrage de la campagne début mai a été dynamique, avec une demande soutenue en azote. Si on reste sur la lignée de ce qu’on observe depuis début 2024, le second semestre sera assez actif », avance Renaud Bernardi. Une dynamique observée également par Timac Agro.
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Et ce, alors que la moisson 2024 s’annonce décevante tant en céréales qu’en colza, et risque de reporter les décisions d’achats de fertilisants. Le recul des prix des céréales en juin a porté un coup d’arrêt aux achats, et les fabricants sont maintenant « dans l’attente » des résultats de la moisson, selon Olivier Duval, qui se veut confiant : « Le maintien de nos prix par rapport à ceux pratiqués en 2023 nous place en retrait de la volatilité ». Pour l’Unifa, « on peut s’attendre à un positionnement tôt ou à un report de décision le plus tard possible », au risque de ne pas bénéficier de la relative baisse des prix.