La confusion sexuelle entre dans une nouvelle ère
Après vingt ans d’utilisation en viticulture, la confusion sexuelle pour lutter contre le ver de la grappe s’apprête à franchir un nouveau cap. L’arrivée de solutions sans diffuseurs lève la contrainte du temps de pose, et pourrait ainsi accélérer le déploiement de cette méthode.
Après vingt ans d’utilisation en viticulture, la confusion sexuelle pour lutter contre le ver de la grappe s’apprête à franchir un nouveau cap. L’arrivée de solutions sans diffuseurs lève la contrainte du temps de pose, et pourrait ainsi accélérer le déploiement de cette méthode.
D’après BASF, pionnier de la lutte contre eudémis et cochylis par confusion sexuelle via les capsules de diffusion Rak, 100 000 ha de vignes ont été protégés par cette méthode en 2019. Un chiffre qui ne représente que 12 % du vignoble français. « Le problème, c’est que la confusion sexuelle par diffuseurs est longue à installer. Cela me prend environ 1 h 15/ha », témoigne Fabien Cardetti, vigneron au Domaine de Lescure, à Fronton en Haute-Garonne, certifié HVE. Et autant en fin de campagne lorsqu’il faut les retirer. » En 2017, pour lutter contre eudémis, il se tourne donc vers le Puffer tout juste commercialisé par la société De Sangosse. « Le Puffer se compose d’une cabine de protection contenant une bombe aérosol qui diffuse les phéromones toutes les 15 minutes entre 17 h et 5 h du matin, au moment du vol des papillons, et pour toute la durée de la campagne », indique Johanna Sigel, cheffe marché vigne arboriculture et maraîchage chez De Sangosse. Dès que l’on observe la première génération, il faut donc enclencher la protection.
Le Puffer, une protection efficace pour un coût estimé à 180 €/ha
Avec une couverture s’étalant sur 80 m si l’aérosol est bien disposé dans le sens du vent dominant, une densité de 2,5 Puffers à l’hectare est suffisante pour assurer la protection des vignes. « À deux personnes en une matinée on couvre 17 ha », confirme Fabien Cardetti. Il estime même que la protection est meilleure, car l’efficacité des capsules semble être influencée par la météo, notamment la pluie et le vent. « J’ai tout un îlot qui est très sensible et que je gérais jusqu’ici par traitement chimique. Mais vu l’absence totale de ver de grappe sur mes parcelles conduites en confusion sexuelle, j’ai décidé pour cette année de tout gérer avec le Puffer », indique-t-il. Les Puffers sont retirés des parcelles à la veille des vendanges, et récupérés par le fabricant. « L’aérosol rejoint une filière de recyclage dédiée tandis que nous nettoyons les cabines et les améliorons si nécessaire », rapporte Johanna Sigel. Pour le vigneron frontonnais, le coût de la protection par le Puffer est tout de même un investissement. Il l’estime à 180 €/ha, contre 135 €/ha via les diffuseurs Raks, hors main-d’œuvre. « J’achète ma tranquillité, car une fois les Puffers posés je n’ai plus à me soucier de ce ravageur », apprécie le vigneron du Sud-Ouest. Fabien Cardetti déplore toutefois que la firme ait initialement annoncé un prix à la baisse après la première année d’utilisation, car c’est la même cabine qui est restituée l’année suivante, avec un nouvel aérosol. « Mais dans les faits, ça me coûte tous les ans la même chose », regrette-t-il. D’ici l’année prochaine, De Sangosse devrait pouvoir commercialiser un Puffer à double efficacité contre eudémis et cochylis. « On attend encore l’autorisation de mise en marché, mais ça ne devrait plus tarder », déclare Johanna Sigel.
La confusion sexuelle par pulvérisation est attendue pour cette saison
Autre fabricant, autre méthode. L’innovation proposée par le groupe M2i, spécialisé dans la lutte biologique, est très attendue par les utilisateurs de phéromones. Encore en attente de l’autorisation de mise en marché (AMM) à l’heure où nous bouclons, le groupe a confié à la société Nufarm la commercialisation de son innovation. Il se présente sous la forme d’une émulsion contenant la phéromone, à pulvériser en même temps qu’un traitement fongicide, les matières actives n’interagissant pas entre elles. « Nous avons obtenu un permis d’expérimentation pour tester le produit en 2019, ce que nous avons fait dans les vignobles des Charentes, de Bordeaux et à Fronton », raconte Romain Dandois, chef de marché vigne et arboriculture chez Nufarm. Le produit ne s'applique pas sur la première génération de papillon car la vigne n’a pas encore assez de feuilles pour que le produit, composé de cire d’abeille, puisse s’y fixer. Les tests ont donc été effectués sur un premier traitement en deuxième génération et un second en troisième génération, à la dose de 1l/ha. « Les phéromones se diffusent dès lors que le produit est sec », explique Romain Dandois. C’est pourquoi en cas de pluies répétées, il peut être nécéssaire de renouveler l'application. » En 2019, la saison fut trop sèche pour pouvoir définir en conditions réelles un seuil au-delà duquel un nouveau traitement est nécessaire, mais la firme a mené ses propres essais en laboratoire. « Au-delà de 25 mm, le lessivage est trop important, il faut donc prévoir une nouvelle application, toujours à la même dose », note le responsable. Les résultats se sont avérés concluants car similaires à ceux obtenus sur les parcelles gérées en confusion sexuelle par diffuseurs. « On a eu de meilleurs résultats avec Lobesia Pro Spray comparé aux insecticides chimiques, poursuit Romain Dandois. Mais attention, c’est valable uniquement si le traitement est bien positionné. »
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Plus que jamais, ces méthodes sans diffuseurs nécessitent un suivi rigoureux des populations par piégeage. « Idéalement il faudrait pouvoir partir de ces suivis pour réaliser des modélisations des vols afin d’être encore plus précis », insiste Romain Dandois. Même raisonnement chez De Sangosse qui considère la réussite d’une protection par confusion sexuelle inhérente à davantage de technicité. « Il faut se poser des questions, accentuer la surveillance et remettre de l’agronomie dans ses choix techniques », affirme Johanna Sigel. Lobesia Pro Spray sera commercialisé dans un premier temps en bidon de 1l, puis de 5l, « à un prix équivalent à celui de la confusion par diffuseurs si on réalise quatre applications maximum dans la saison. »
voir plus loin
Bacillus thuringiensis à la rescousse des bios
Lors d’une année à forte pression, si la confusion sexuelle ne s’avère pas suffisamment efficace, les producteurs bio peuvent avoir recours au Bacillus thuringiensis (BT), des bactéries qui ont un rôle insecticide connu depuis des années, et qui ont fait leurs preuves. « Les BT émettent des substances qui agissent sur les œufs et s’appliquent donc après la ponte », indique Johanna Sigel, cheffe marché vigne arboriculture et maraîchage chez De Sangosse. Elles sont toutefois sensibles au lessivage et aux rayons solaires, ce qui leur confère une rémanence de seulement 8 jours. De Sangosse a obtenu une AMM pour un nouveau produit à base de BT, nommé Costar, mais a renvoyé le dossier à l’Anses demandant l'extension de sa durée de validité. Costar sera donc commercialisé en 2021.