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La Chine fait s'envoler les cours des matières premières pour l'engraissement des bovins

La hausse est impressionnante. Elle ne concerne malheureusement pas le prix de la viande bovine mais celle des différentes matières premières classiquement utilisées pour engraisser des bovins. C’est une des conséquences de l’appétit pour l’instant insatiable de l’ogre chinois.

© Igor Strukov/Adobe Stock

Depuis août 2020, le prix de la plupart des matières premières utilisées pour l’alimentation animale est en progression sensible. Cela fait le bonheur de ceux qui les produisent mais complique singulièrement le contexte pour ceux qui les utilisent. « Ainsi, le prix du blé tendre (1) est passé de 184 €/t en juillet 2020 à 233 €/t en janvier 2021, soit une augmentation de 27 % (+ 49 €/t). Le constat est similaire pour l’orge (1) (+31 %). Le maïs (1) quant à lui a évolué de +15 % sur la période. Les tourteaux sont dans une situation analogue, avec notamment une hausse de 44 % (+ 144 €/t) entre juillet 2020 et janvier 2021 pour les tourteaux de soja (2) », explique le Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale dans sa note mensuelle de conjoncture de février dernier. Et depuis, les tarifs sont loin d’avoir faibli.

Un gros facteur d’inquiétude

« Il y a une vraie surchauffe », confirme Matthieu Brun, directeur des études du club Demeter, un groupe de réflexion du secteur agricole et agroalimentaire tourné vers les analyses à long terme, les enjeux mondiaux et les dynamiques intersectorielles. « On constate une augmentation énorme des prix de la plupart des matières premières agricoles. Elle est tirée par les conséquences de la pandémie et l’appétit grandissant de la Chine qui veut conforter ses stocks pour avoir des réserves stratégiques, poursuit cet économiste dans une interview récemment donnée sur France 24. Il faut surveiller avec une grande attention les marchés alimentaires dans la mesure où après une longue décennie relativement calme sur les marchés internationaux des différentes matières premières agricoles, on pourrait voir émerger un risque de crise alimentaire. Un peu comme ce qui s’était passé en 2008. »

Lire aussi : « Des matières premières haut de gamme à bon prix grâce à l’achat en commun pour complémenter mon troupeau »

L’indice des prix alimentaires, calculé par la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture, est d’ailleurs au plus haut depuis 2014. L’huile de palme, très utilisée dans toute l’Asie pour la cuisine n’a jamais été aussi chère depuis dix ans. Pour des centaines de millions de gens à travers le monde, cette envolée des prix de la nourriture risque même de ressembler à une tragédie. « Le programme alimentaire mondial rapporte que plus de un milliard de personnes étaient frappées par la malnutrition en 2020 (850 millions auparavant). Et l’année 2021 s’annonce pire que 2020 », explique Sébastien Abis, directeur général du club Déméter dans une récente interview au journal La dépêche/Le petit meunier.

Lire aussi : Colza et soja : La tension sur les prix des tourteaux s’inscrit dans la durée

Certains pays anticipent et commencent à restreindre les niveaux de leurs exportations. « C’est un facteur d’inquiétude. En particulier pour les pays gros importateurs qui dépendent beaucoup des marchés extérieurs pour satisfaire à une demande alimentaire intérieure en pleine croissance », ajoutait Matthieu Brun. C’est le cas de bien des pays du pourtour Sud de la Méditerranée et du Moyen-Orient où l’autosuffisance alimentaire est loin d’être de mise, tout en étant qui plus est, des nations souvent bien instables sur le plan politique. « Le monde était à flux tendus et se recentre sur le stockage. Dans un sens, certains pays appliquent ce que nous avons vécu chez nous au cours de la première période de confinement qui a favorisé de façon individuelle chez certains consommateurs des réflexes de stockages de produits de première nécessité. Actuellement certains pays font la même chose mais à une autre échelle ! » Et quand un pays comme la Chine adopte ce type de comportement, cela a des répercussions énormes sur les marchés internationaux !

La Chine est devenue le premier importateur mondil de maïs avec des importations estimées par le Conseil international des céréales à 23,3 Mt, loin devant le Mexique (17 Mt), et le Japon (16 Mt).

Davantage de protéines animales dans les assiettes chinoises

Même si ce n’est évidemment pas un scoop, l’une des explications découle de l’appétit croissant des Chinois, lesquels apprécient d’avoir la possibilité de mettre de plus en plus souvent des protéines animales dans leurs assiettes. Or si la Chine fait 17 fois la taille de la France, son territoire est néanmoins peu favorable à la production alimentaire. « 13 % des terres seulement sont arables, ce qui représente 7 % des terres arables mondiales, pour nourrir près de 20 % de la population », relate Marie-Hélène Schwoob dans une analyse publiée par le centre d’étude et de prospective du ministère de l’Alimentation.

Autre explication intéressante : la Chine a connu trois famines au XXe siècle. La dernière (1958-1961) s’est traduite par « 20 à 40 millions de morts », rappelle Marie-Hélène Schwoob. Comme cette « grande famine » est somme toute relativement récente, l’impact de ses conséquences est encore très présent chez les actuels dirigeants chinois, lesquels sont traumatisés face à l’éventualité de revivre une catastrophe de ce type.

Pour les autorités chinoises, au vu des besoins croissants du pays notamment en protéines animales, dynamiser la production agricole est une priorité. Et cet objectif est conforté par la croissance économique et l’amélioration du pouvoir d’achat. Pour satisfaire aux besoins accrus de leur population, ils cherchent à consolider leur approvisionnement extérieur tout en diversifiant leurs fournisseurs. Et pour satisfaire à la sécurisation de l’alimentation de leurs animaux d’élevage, la volonté des dirigeants chinois est de faire en sorte que leur pays puisse reconstituer des stocks de grains (maïs…) et de protéagineux (soja…).

Plus de 100 millions de tonnes de soja

En 2020, Pékin a donc importé des volumes records de céréales et d’oléagineux : plus de 100 millions de tonnes de soja et 11,3 millions de tonnes de maïs. À titre de comparaison, lors de la campagne précédente, elle avait acheté 7,6 millions de tonnes de maïs. Elle cherche à sécuriser son alimentation en cas de résurgences épidémiques, et pour cela, elle achète au prix fort d’autant que la progression du pouvoir d’achat moyen dans le pays lui offre davantage de possibilités pour importer.

L’opacité du marché chinois complique évidemment l’analyse et les données statistiques d’un pays qui demeure l’une des pires dictatures de la planète doivent inciter à la prudence quant à l’interprétation des données chinoises. Il n’en demeure pas moins que la reconstitution en cours du cheptel porcin, mis à mal par la fièvre porcine en 2018-2020, est l’une des principales explications à cette progression de la demande en soja et maïs. Cette recapitalisation vise à réduire la dépendance aux importations de viande porcine qui s’étaient sensiblement accrues depuis 2018. Elle engendre une brutale augmentation du nombre de têtes à nourrir, et une restructuration du secteur, qui s’industrialise. Les petites unités disparaissent au profit de plus grandes ayant massivement recours aux aliments composés.

La demande accrue risque de perdurer

Et les perspectives laissent entendre que cette demande accrue pourrait bien perdurer. « Si la croissance démographique chinoise pourrait plafonner d’ici 2030, la croissance économique devrait de son côté se poursuivre, et avec elle l’augmentation de la consommation de certains produits alimentaires, notamment d’origine animale. Les Chinois consomment, chaque année, encore près de 30 kg de viande de moins que les Français, et les achats de produits laitiers y sont dix fois moindres que dans l’Hexagone », souligne Marie-Hélène Schwoob.

D’après des prospectives relayées par Bloomberg, un groupe spécialisé dans l’actualité financière, l’exécutif chinois réfléchirait actuellement à substituer partiellement le maïs et le soja utilisés pour l’alimentation animale par des alternatives comme le riz, le blé, la pomme de terre et autres tourteaux d’oléagineux. Pour les autorités chinoises, une baisse de la consommation de soja et de maïs d’origine étrangère permettrait de réduire l’exposition aux fluctuations du marché international dans un contexte où la demande de l’Empire du Milieu est prévue pour exploser sur la prochaine décennie. Autant de facteurs qui laissent à penser que la dynamique imposée par la Chine sur le marché des céréales et oléagineux destinés à l’alimentation animale est partie pour durer !

(1) Rendu Ille-et-Vilaine, y compris majoration mensuelle.
(2) Départ Lorient.

Soja, maïs, mais aussi de la viande bovine

La Chine n’importe pas seulement des céréales, c’est aussi le premier importateur mondial de viande bovine. "En 2019, elle a concentré 23 % des échanges internationaux de viande bovine dans le monde, avec plus de 2,5 millions de téc importées, soit une progression de 36 % par rapport à l’année précédente", expliquait en juin dernier Jean-Marc Chaumet agroéconomiste à l’Institut de l’élevage.

Et la crise du coronavirus n’a pas du tout freiné les importations. Sur les quatre premiers mois de 2020, 850 000 téc de viande bovine ont été importées en Chine continentale, soit 53 % de plus que sur cette même période en 2019. Brésil, Argentine et Australie sont les principaux fournisseurs. En juin dernier, 26 pays étaient autorisés à exporter de la viande bovine en Chine. Ils n’étaient que 14 en 2018. L’import représente 30 % environ de l’offre de viande bovine en Chine, et cette dépendance aux importations va croissant.

Lire aussiRory Fanning, directeur général de Slanney Food : "le marché chinois de la viande bovine est synonyme d’instabilité"

 
 

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