Inventons une nouvelle façon de cultiver le maïs !
Des agriculteurs innovants expérimentent le semis direct de maïs grain sous couvert végétal pour supprimer le désherbage chimique. Une bineuse spécifique assure un désherbage complémentaire.
Des agriculteurs innovants expérimentent le semis direct de maïs grain sous couvert végétal pour supprimer le désherbage chimique. Une bineuse spécifique assure un désherbage complémentaire.
« Le maïs en semis direct sera une des premières cultures sans désherbage chimique. On pourra rapidement le proposer à tous les agriculteurs », affirme avec conviction Konrad Schreiber, agronome spécialiste de l’agriculture de conservation. L’an dernier, nous vous présentions(1) les essais qu’il mène avec des éleveurs du Sud-Ouest, sur la culture de maïs associé à des légumineuses (lablab, cowpea...). Le mélange, destiné à l’ensilage, permet de s’affranchir du désherbage (effet couvre-sol de la plante compagne) et d’augmenter la teneur en protéine du fourrage, voire d’atteindre l’autonomie en plat unique, ce qui est l’objectif recherché. L’agronome teste aussi la culture du maïs grain sous couvert végétal sans désherbage chimique. Une culture et une méthode qui peuvent intéresser les éleveurs laitiers en quête d’autonomie alimentaire. « Si on amène de plus en plus de protéine par les fourrages (luzerne, méteil), il faudra du maïs grain pour compléter la ration. De plus en plus d’éleveurs en produisent. Le maïs est la plante qui sauvera tous les paysans de France. »
« Sortir des vieux raisonnements »
Pourtant, jusque-là, le maïs jouit plutôt d’une mauvaise réputation. Pour en faire « une vraie Rolls-Royce économique et environnementale, il faut sortir des vieux raisonnements », dit-il. Les siens sont plutôt décapants ! « Les agriculteurs, qu’ils soient bio ou pas, qu’ils fassent du maïs grain ou du maïs ensilage, seront obligés de trouver des solutions de désherbage et antiérosives bien plus performantes que le travail du sol et la chimie. Il est illusoire de penser que le travail du sol, y compris le binage, puisse venir à bout des adventices. Les techniques de désherbage du futur se conduiront sur un principe nouveau, avec des plantes contre d’autres plantes. Principe qui se décline en couverts végétaux à très fortes biomasses, en litières et en plantes compagnes. C’est pour sortir des polémiques stériles que nous réalisons avec des groupes d’agriculteurs ce travail innovant autour du désherbage du maïs. Avec les deux solutions que nous testons - maïs mélangé et maïs grain sous couvert végétal -, nous offrons un potentiel de choix pour sortir du piège du travail du sol et de la chimie. Le désherbant chimique devient seulement un outil pompier en cas d’échec du désherbage “bio-logique”. Déjà, le soja lui emboîte le pas. »
Démarrer en monoculture
Comment donc supprimer le désherbage chimique dans une culture de maïs grain ? Suppression du travail du sol, implantation du maïs dans un couvert végétal vivant à forte biomasse, couverture des besoins azotés du couvert végétal et du maïs, désherbage mécanique complémentaire avec un rouleau spécifique, tels sont les quatre préceptes que l’agronome expérimente avec des groupes d’agriculteurs. Konrad Schreiber recommande de démarrer le maïs en monoculture sous couvert végétal, avant de se lancer dans une rotation, le temps de bien maîtriser cette nouvelle manière de cultiver le maïs où tous les paramètres changent.
Mettre le couvert à l’automne
Le couvert végétal est implanté tôt à l’automne, dans la première quinzaine d’octobre, voire avant le 1er octobre dans le Nord de la France. Il est semé soit à la volée, avec un épandeur à engrais, après broyage de la paille et travail superficiel, soit avec un semoir de semis direct. Trois types de couverts sont adaptés au maïs : la féverole, le méteil et le trèfle violet.
« Nous avons tout appris avec la féverole, explique Konrad Schreiber. Elle pousse quasiment partout et elle est facile à réussir. Mais elle n’est pas très performante en matière de désherbage. » Elle est semée à 150 kg/ha minimum. Beaucoup plus performant : le méteil, composé de féverole (50 - 60 kg), vesce (10 - 30 kg), trèfle de Micheli et trèfle squarrosum (2, 5 kg de chaque) et enfin une céréale (40 kg), qui doit arriver à épiaison avant le semis du maïs. L’épeautre semble être la bonne solution. Quand au trèfle violet, son utilisation est plus complexe à manier car il doit rentrer dans une rotation.
Donner à manger dès l’automne
Les besoins en azote pour un maïs grain à 100 q/ha et son couvert végétal sont de l’ordre de 500 unités par hectare. Pour que le couvert assure pleinement son rôle de désherbage biologique du maïs, on vise le rendement maximum (10 t MS/ha), ce qui nécessite 300 unités en équivalent minéral. En règle générale, il est autonome grâce aux légumineuses. Quant au maïs, il a besoin de 150 à 220 unités. L’azote absorbé par le couvert est entièrement et assez rapidement restitué au printemps : une partie est utilisée pour humifier la biomasse du couvert après sa destruction, l’autre directement par le maïs. Et l’agronome de rappeler un grand principe agronomique : « plus on nourrit le sol avec de la paille, plus il produit de l’humus et au final de l’azote et plus on peut produire ». En système élevage, il recommande d’apporter impérativement la fumure organique dès l’automne, quand on sème le couvert, puis la fumure minérale complémentaire au printemps, sous forme d’urée, juste avant le semis du maïs (soit 200 à 250 unités au total).
Semer dans le couvert végétal vivant
Le couvert végétal doit avoir atteint le stade floraison avant sa destruction. Le semis du maïs est effectué dans le couvert vivant. « Il est plus facile de semer dans une plante debout et vivante, explique Konrad Schreiber. De plus, cela améliore la lutte biologique contre les ravageurs. Les taupins, qui ne sont pas dérangés dans leur habitat, s’occupent de manger les plantes de couverture pendant les trois semaines qu’elles mettent à mourir et laissent le maïs tranquille. » L’engrais starter est apporté classiquement lors du semis. Tous les semoirs classiques Monosem peuvent être adaptés pour effectuer un semis direct dans le couvert par l’ajout de plusieurs éléments : à l’avant du disque semeur, un disque ouvreur pour couper le végétal et une dent pour nettoyer le sillon ; à l’arrière, des disques crantés pour le refermer. De nouveaux semoirs, avec des écartements de 37,5 cm (2 rangs moissonnés dans un bec cueilleur), permettent de semer à haute densité (90 000 pieds par hectare). « Plus on sème dense, plus vite la culture est propre », assure l’agronome. La répartition est meilleure dans le champ. Après semis, le couvert végétal est roulé avec un rouleau de type Cambridge ou Faca. Il se transforme en paillage qui aura momentanément un effet désherbage.
Désherber avec la bineuse Roll’N’Sem
Les adventices arrivent malgré tout à traverser le paillage. Elles sont éliminées à partir du stade 5 feuilles du maïs avec un rouleau désherbeur, le Roll’N’Sem, conçu avec la société Comin Industrie, à Nérac (Lot-et-Garonne).
Une sorte de bineuse composée de disques individuels qui ripent la litière horizontalement, arrachant au passage les plantules. Il s’adapte à toutes les largeurs d’interrang. Une présérie industrielle va être lancée en 2020 pour finaliser les tests. Il devrait être mis sur le marché l’année suivante. Le rouleau convient aussi pour des chaumes propres si le sol n’a pas été travaillé, par exemple lorsque l’éleveur a décidé de récolter le couvert végétal, auquel cas il ne joue plus son rôle de désherbage.
« Le Roll’N’Sem s’adapte à tout type de culture implantée en semis direct ou après travail superficiel au strip-till », précise Konrad Schreiber.
Lire aussi cet article : le Lab-lab une légumineuse qui s'associe bien au maïs
À retenir
Avis d’expert : Konrad Schreiber, agronome
« L’azote, pour maîtriser les phytos »
« Pour désherber, il faut mettre en œuvre un plan de fumure adapté à la vie biologique du sol. Partout où il y a un défaut de fertilisation azotée, il y a un salissement de la culture. En bio et en semis direct notamment, on manque toujours d’azote. Le travail du sol minéralise l’humus alors que le non-travail produit de l’humus. En bio, on tend à remettre du strip-till pour minéraliser sur le rang. Pour se débarrasser des phytos, il faudra lever le pied sur la directive Nitrates. En arrêtant de travailler les sols et en mettant des couverts, on divise par quatre le risque de lessivage. Il faut également remettre en cause les dogmes sur la forme d’apport. L’ammonitrate devrait être interdite dans un plan de fumure du maïs. C’est un véritable poison qui accélère le stress hydrique et les maladies du feuillage et favorise la production de mycotoxines dans les ensilages. Il faut privilégier l’urée. Nous en avons ras-le-bol d’entendre encore des organismes de recherche recommander l’ammonitrate sur le maïs. L’ammonitrate est un engrais starter, pas un engrais de croissance. Avec les réseaux d’agriculteurs, nous expérimentons des innovations en matière de fertilisation du maïs. Des vraies surprises se préparent d’ici deux à trois ans. »
Du maïs sous couvert de trèfle violet
Le trèfle violet peut être utilisé comme couvert végétal du maïs grain. Mais il doit entrer dans une rotation de deux ans.
Le trèfle violet est semé à l’automne avec le méteil déjà cité (+15 kg/ha de trèfle violet en sursemis au Delimbe après le semis du méteil). Konrad Schreiber recommande de mettre aussi de la chicorée (500 g/ha) pour corriger les défauts du trèfle (migration de l’aluminium en surface qui favorise la levée des rumex). Au printemps suivant, le couvert est ensilé vers le 25 mai. Il procure une grosse masse de fourrage très riche en azote. Le trèfle prend le relais pendant l’été et l’automne, assurant de nouvelles coupes. « Si les conditions sont favorables, la première année, on peut récolter jusqu’à 20 t MS/ha d’un fourrage riche en protéine, assure Konrad Schreiber. La fertilisation organique est amenée à l’automne. En fin d’hiver, on apporte 30 unités d’azote (ammonitrate pour un effet starter) supplémentaire pour booster le méteil, ainsi que du soufre et une pulvérisation foliaire d’oligoéléments pour stimuler les légumineuses. » À l’automne suivant, dans le trèfle violet, on apporte la fumure organique pour le maïs de l’année suivante. À la fin de l’hiver, on fait un apport d’engrais starter, de soufre et oligoéléments pour que le trèfle et la chicorée démarrent tôt et prennent de la vigueur. Puis on sème le maïs dans le trèfle violet en fleur. Le passage d’un rouleau Roll’N’Sem va écraser le trèfle. Bien que ce paillage reste vivace, la plante mâchée par les disques aura beaucoup de mal à redémarrer. Avec un ou deux passages de Roll’N’Sem, on donne le temps au maïs d’atteindre le stade 6-7 feuilles à partir duquel il prendra le dessus. Et le trèfle violet restituera de 100 à 150 unités d’azote.