Il faut se préparer à réduire les émissions d'ammoniac en élevage bovin
La France va probablement accélérer sur les mesures à prendre pour réduire les émissions d'ammoniac par l'agriculture, notamment dans les élevages bovins.
La France va probablement accélérer sur les mesures à prendre pour réduire les émissions d'ammoniac par l'agriculture, notamment dans les élevages bovins.
La Commission européenne hausse le ton vis-à-vis de la France mais aussi d'autres pays européens. L'État français a été mis en demeure en mai dernier par la Commission européenne, qui demande de transposer correctement dans notre législation nationale les exigences de la directive NEC pour l'amélioration de la qualité de l'air. « L'ammoniac et l'agriculture ne sont pas directement concernés, mais l'ammoniac étant un précurseur de particules fines, il est indirectement dans le colimateur », estime Sylvain Foray, de l'Institut de l'élevage.
Autre signal rouge : « Pour espérer atteindre l’objectif de réduction d'ammoniac en 2020, la France et par conséquent le secteur agricole devront redoubler d’effort. Car entre 2013 et 2019, les tendances sont à la stagnation voire à une légère hausse des émissions », selon Elise Lorinquer, de l'Institut de l'élevage. La directive NEC donne des objectifs par pays, et la France doit réduire ses émissions d'ammoniac de -4 % en 2020 par rapport à 2005, de -8 % en 2025, et de -13 % en 2030 par rapport à 2005. Rappelons que l'agriculture est le gros secteur émetteur d'ammoniac, et que l'élevage bovin émet 43 % du total des émissions françaises. Il est donc particulièrement concerné.
Mieux ajuster la MAT des rations
La transcription française de la NEC s'est faite via le Prepa, programme national de réduction des émissions de polluants atmosphériques. Le décret et l'arrêté ne contiennent, pour l'instant, pas d'obligations pour les élevages bovin. Ils fixent les grandes lignes et les objectifs de réduction des émissions. En découle la publication d'un guide des bonnes pratiques et des aides à l'investissement pour la dissémination des bonnes pratiques.
« Le levier alimentation est le premier pour éviter des excédents azotés et des émissions dès le départ. L'objectif est de baisser la MAT de la ration, d'ajuster au mieux le correcteur azoté et le concentré aux besoins des animaux. Il reste encore des marges de progrès pour améliorer l'efficience alimentaire », estime Sylvain Foray.
Comme le montre le graphique ci-dessus, l'enjeu porte sur la gestion des effluents d'élevage, et plus précisément sur celle du lisier, effluent plus riche en azote ammoniacal que le fumier.
En bâtiment, adapter les sols et le raclage
Dans un système lisier avec des vaches très présentes en bâtiment, la conception des sols du bâtiment est un point clé. Pour éviter la volatilisation de l'ammoniac, il y a les caillebotis anti-ammoniac. Les sols pleins à double pente (en V) permettent de séparer l'urine, riche en urée, des bouses, riches en uréases, des enzymes qui dégradent l'urée en ammoniac. On évite ainsi la transformation de l'urée en ammoniac. Et idéalement, la partie liquide est stockée hermétiquement et épandue rapidement par enfouissement pour éviter la volatilisation. La qualité et la fréquence de raclage permettent de limiter le contact des effluents avec l'air.
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En système lisier, couvrir la fosse et enfouir rapidement
Le stockage des lisiers se fait idéalement dans une fosse couverte, à laquelle on peut associer une valorisation du biogaz. Sans couverture, on peut aussi maintenir la croûte naturelle qui se forme à la surface de la fosse. Il faut éviter de la casser, « et prévoir une préparation du lisier pour pouvoir épandre avec du matériel peu émissif : rampe à pendillards ou enfouisseur », pointe Elise Lorinquer. L'enfouissement sur sol cultivé se fait le plus rapidement possible après épandage de l'effluent, en limitant les risques de volatilisation.
Vers l'interdiction des buses palettes
En système lisier, « d'ici 2025, l'utilisation des buses palettes pour l'épandage du lisier sera interdite. C'est en effet la pire solution d'épandage en matière d'émission d'ammoniac. On ne sait pas encore s'il y aura des dérogations », pointe Sylvain Foray.
Les meilleures solutions d'épandage sont celles par enfouissement et par pendillards. « Il est important de laisser traîner les tubes au sol pour limiter au maximum le contact de l'air sur les effluents qui favorise les pertes et limite l’efficacité de l’azote pour les plantes », rappelle Elise Lorinquer. Mais ces techniques ne sont pas adaptées aux effluents dit intermédiaires, fumier mou ou lisier pailleux, encore présents dans les élevages français.
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La réduction des émissions d'ammoniac milite pour des systèmes tranchés, « et c'est valable aussi pour d'autres enjeux environnementaux ». Pour faire simple : un système avec des vaches en bâtiment et un lisier liquide à gérer, ou un système pâturant avec un fumier compact à gérer.
Le pâturage, un levier intéressant
Le pâturage est positif sur les émissions, parce que l'urine va directement dans le sol et qu'il n'y a pas à gérer la phase de stockage et d'épandage. La réduction des émissions d'ammoniac milite davantage pour des systèmes pâturants avec fumier compact. Ce qui va aussi dans le sens du bien-être animal.
La filière a besoin de moyens de recherche pour quantifier le potentiel de réduction de différents leviers, par exemple sur la fréquence de paillage et de raclage. Et pour évaluer plus finement les évolutions des émissions, notamment grâce au levier alimentation.
Le guide des bonnes pratiques évalue que les leviers en bâtiment (apports de concentré ajustés, type de sol...) pourraient permettre de réduire jusqu'à -30 % les émissions d'ammoniac. La couverture des fosses pourrait réduire entre 50 et 80 % les émissions. Une rampe à pendillards, l'injection ou l'enfouissement du lisier épandu, pourraient les réduire entre 40 et 80 %, par rapport à l'emploi d'une buse palette.
À retenir
L'azote ammoniacal liquide des déjections (urine, bouse) se transforme en ammoniac gazeux au contact de l'air. Le lisier est plus riche en azote ammoniacal que le fumier, et le risque de perte est plus élevé.
L'ammoniac, NH3, est un gaz irritant pour les animaux et les humains et abrasif pour le matériel d'élevage.
L'ammoniac représente un enjeu de santé public car c'est un précurseur de particules fines. Il peut se combiner avec d'autres molécules comme l'oxyde d'azote (NOx) (issu du trafic routier), l'oxyde de soufre (SO2) (issu de combustion dans l'industrie), et donner dans ce cas le nitrate d'ammonium et le sulfate d'ammonium, source principale des pics de pollution printaniers.
L'ammoniac représente aussi un enjeu environnemental car il participe aux phénomènes d'eutrophisation des eaux et de pluies acides.
Chiffres clés
97 % des émissions d'ammoniac en France viennent de l'agriculture. 43 % des émissions françaises viennent de l'élevage bovin.
Les objectifs français de réduction des émissions d'ammoniac : -4 % en 2020 par rapport à 2005, soit 582 kt de NH3 ; -8 % en 2025, et -13 % en 2030 par rapport à 2005.
592 kt est le niveau d'émissions de NH3 en France en 2019.
L'ammoniac, un enjeu environnemental parmi d'autres
Les grands sujets environnementaux sont les émissions de gaz à effet de serre (GES), la qualité de l'eau (nitrates, phosphore, résidus de pesticides), la biodiversité et la qualité de l'air : ammoniac, diverses particules (issues de pesticides, de combustion). Par rapport aux Pays-Bas, au Danemark, à l'Allemagne, et même aujourd'hui à l'Irlande, l'environnement met moins la filière laitière française sous pression, selon Sylvain Foray, de l'Institut de l'élevage. La biodiversité notamment est un atout de nos systèmes d'élevage ; la qualité de l'eau s'est améliorée. Attention toutefois à ne pas se laisser rattraper par des contraintes, et à faire des objectifs environnementaux des atouts. Réduire les excès pour limiter les pertes d'azote et de carbone, peut en effet aussi améliorer les résultats économiques.