[Hausse des charges] Les stratégies possibles pour un système naisseur-engraisseur
La progression du prix des bovins peine à suivre celle des intrants. Littoral normand a chiffré pour l’année en cours des perspectives d’évolution d’excédent brut d’exploitation pour un système naisseur-engraisseur et a procédé à deux simulations de stratégie d’adaptation.
La progression du prix des bovins peine à suivre celle des intrants. Littoral normand a chiffré pour l’année en cours des perspectives d’évolution d’excédent brut d’exploitation pour un système naisseur-engraisseur et a procédé à deux simulations de stratégie d’adaptation.
Tant que l’année n’est pas achevée, il est difficile de chiffrer précisément comment va évoluer le revenu 2022 des producteurs de viande bovine. Pour autant, il n’est pas interdit de proposer différentes simulations. Littoral normand, entreprise de conseils en élevage, s’est livré à cet exercice pour un système naisseur-engraisseur associant la viande bovine comme principal atelier à quelques hectares de culture de vente.
L’objectif de ce travail étant de chiffrer quel pourra être l’impact de la hausse du prix des céréales, des oléagineux et des différentes catégories de bovins sur l’EBE en prenant bien évidemment en compte la progression des tarifs des différents intrants nécessaires pour produire ces denrées.
Deux hypothèses pour les charges
Pour le niveau des charges, deux hypothèses ont été prises en compte. « Avec l’hypothèse basse, on part du principe que l’éleveur a géré l’achat de ses intrants suffisamment tôt en saison. Cela lui permet de subir une hausse relativement modérée pour l’année en cours », explique Vincent Lecoq, en charge de cette étude pour Littoral normand.
La seconde hypothèse concerne des achats d’intrants insuffisamment anticipés côté calendrier en subissant de ce fait la hausse des prix de plein fouet. Les différents intrants prix en compte sont la fertilisation, les tourteaux, le carburant, les travaux par tiers, l’entretien du matériel et les différents frais de gestion. Le tout a été récapitulé dans les deux tableaux pour les deux cas de figure : Hypothèse haute et Hypothèse basse.
La dépense occasionnée pour l’achat de ces intrants ou services varie souvent du simple au double dans chacune des deux hypothèses et même parfois davantage. « Pour notre cas type, nous avons pris en compte une consommation de 10 000 litres de carburant en retenant 1,20 euro le litre dans le cas de l’hypothèse basse où les achats ont été suffisamment anticipés et 1,65 euro le litre quand cela n’a pas été le cas. Au final, cela représente une différence de 4 500 euros pour ce seul poste. Et quand on cumule le total des différentes charges, leur progression est de + 16 500 euros dans l’hypothèse basse et + 34 350 euros pour l’hypothèse haute."
La simulation prend ensuite bien entendu en compte la progression du prix des animaux finis, des céréales et des oléagineux. « Cela se traduit sur le cas type par une augmentation du produit viande de 22 000 euros », indique Vincent Lecoq. De la même façon, la hausse des prix du blé et du colza a été appliquée.
Cette progression du prix de la viande bovine des céréales et des oléagineux permet de conforter le produit brut total de 36 800 euros. « Au final, l’EBE serait conforté de 20 300 euros dans le cas de l’hypothèse basse pour le prix des intrants mais seulement de 2 500 euros pour l’hypothèse haute », souligne Vincent Lecoq.
Deux simulations d’adaptation
Pour répondre aux demandes les plus fréquemment formulées par les adhérents de Littoral normand, deux simulations d’adaptation ont été testées pour analyser si elles pouvaient se traduire par une amélioration de l’EBE dans le cadre du nouveau contexte auquel doit actuellement faire face la production de viande bovine.
« La première évolution envisagée serait d’arrêter l’engrais azoté sur les surfaces en herbe. Elle éviterait l’achat de 19 tonnes d’ammonitrate », explique Vincent Lecoq. Ce moindre recours aux engrais de synthèse pénaliserait le niveau de productivité des prairies avec un recul estimé à deux tonnes de MS/ha les faisant passer de 7 à 5 tMS/ha.
Moins d’herbe pâturée et récoltée se traduiront par la nécessité d’ajuster la dimension du cheptel, lequel passerait de 60 vaches à 48. « Moins de vaches, c’est moins d’UGB à nourrir mais c’est aussi moins de kilos de bovins susceptibles d’être vendus. C’est également un recul des disponibilités en fumier pour la fertilisation mais c’est aussi moins de charges liées à la conduite du cheptel. »
Cette éventualité d’évolution du système de production a été chiffrée dans le contexte économique 2022 avec, au final, un bien modeste avantage (+ 570 euros) à la réduction de la fertilisation accompagnée du recul des effectifs.
« On économise 13 000 euros sur l’achat d’engrais et pratiquement autant sur les concentrés, les frais d’élevage et les frais de mécanisation liés à l’élevage. Mais ce recul du cheptel se traduit également par la perte de 23 150 euros sur le chiffre d’affaires lié aux ventes de bovins sans occulter non plus 1 630 euros d’aides aux bovins allaitants », souligne Vincent Lecoq, peu enclin à inciter les éleveurs à embrayer dans cette voie d’autant qu’en optant pour l’extensification de leur système de production, ils prennent le risque de se couper des possibilités offertes par les évolutions plus favorables du marché de la viande bovine, sans occulter non plus une diminution de leur capital.
Moins de prairies et plus de céréales
La seconde simulation envisagée est celle classiquement pratiquée ces dernières années dans bien des départements où le potentiel agronomique des parcelles permet d’accroître les surfaces en cultures aux dépens de celles occupées par les prairies. « On augmente de 15 hectares les surfaces en culture pour les faire passer de 16 à 31 hectares. Pour cela, on retourne 15 hectares de prairies."
Ce recul des surfaces en herbe se traduit par une diminution du cheptel de 12 vaches qui passe de 60 à 48 mères. Dans ce cas de figure, le produit lié à la vente de céréales progresse de presque 34 000 euros. Le recul du nombre d’UGB a forcément un impact sur les charges liées aux bovins (concentrés, frais d’élevage, frais de mécanisation liés à l’élevage). Le nombre d’animaux susceptible d’être vendus recule lui aussi, tandis que le fait de consacrer davantage de surfaces aux cultures a un impact sur les achats en engrais, phytos et frais de mécanisation consacrés aux cultures.
Au final, compte tenu du niveau des prix retenus pour cette simulation (280 €/t pour le blé et 5 €/kg de carcasse pour les vaches, les génisses et les JB), ce recul de l’herbe et de l’élevage est loin d’être dénué d’intérêt avec pratiquement 12 000 euros supplémentaires, sans même évoquer le volet du temps de travail et de son astreinte. « C’est plutôt alléchant », reconnaît Vincent Lecoq.
Et pour autant d’alerter sur le risque prévisible de moindre éligibilité de cette orientation plus « céréalière » aux mesures agro-environnementale et climatique et en particulier avec les écorégimes qui seront mis en place à compter de la PAC 2023.
Attention également aux conclusions trop hâtives. Avec ce type d’évolution, il conviendrait d’analyser sur le long terme l’évolution des rendements et de la fertilité des sols compte tenu du recul des apports de matière organique. Davantage de céréales c’est également davantage de risques liés aux aléas climatiques (sécheresse, risque d’échaudage, grêle, excès d’eau) lesquels vont aller croissant compte tenu de l’évolution du climat.
Vincent Lecocq, Littoral Normand
Peser le pour et le contre
« Conforter les surfaces en céréales est une éventualité a priori séduisante compte tenu du contexte. Pour autant, cela ne doit pas se faire sur un coup de tête mais doit être mûrement réfléchi. La décapitalisation est le plus souvent sans retour. Il faut donc garder la tête froide et bien analyser au préalable le pour et le contre dans les détails et dans la durée.
Mais avant d’envisager des évolutions, il est nécessaire de bien optimiser l’existant. Il faut prendre le temps d’analyser l’ensemble des résultats techniques du troupeau, en particulier en termes de productivité numérique (pourcentage de mortalité, âge au premier vêlage, IVV) et les comparer à ceux obtenus dans d’autres élevages. Dans la mesure où il y a de grosses différences entre élevages sur ces trois critères, cela signifie qu’il y a souvent des marges de progrès. Il convient également de faire la chasse aux UGB improductifs et en particulier aux vaches vides ou qui perdent leur veau. Nourrir des UGB qui ne produisent rien coûte de plus en plus cher. »
60 vaches sur 85 hectares à bon potentiel
Le cas type retenu est un système naisseur-engraisseur en agriculture conventionnelle en Normandie sur des terres à bon potentiel avec 60 vaches sur 94 hectares dont 55 de prairie (7 TMS/ha), 10 d’ensilage de maïs (15 TMS/ha), 16 de blé (80 qx/ha) et 4 de colza (35 qx/ha). Les 60 vaches permettent de produire 27 JB/an et sur les 27 génisses, 16 sont destinées au renouvellement pour un premier vêlage à 36 mois et 11 sont engraissées. Les 16 vaches de réformes sont également toutes finies et le chargement est de 1,8 UGB/ha de SFP. Les différents postes de charges ont été pris en compte selon ce qui est classiquement consommé pour une exploitation de ce type.