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Ukraine : le gouvernement veut réorienter les aides vers les fermes moyennes

Un peu plus argenté qu'il n'a pu l'être, l’État ukrainien a relancé un programme d’aides à l’agriculture, un secteur largement délaissé ces dernières années. Comme en Russie, le gouvernement vise le développement des fermes de taille moyenne. La tâche est ardue.

Les exploitations en cultures sont moins soutenues par le gouvernement que les fermes d'élevage.
© M. Lee

En Ukraine, mieux valait ces dernières années ne pas compter sur l’État lorsque l’on était agriculteur. La guerre qui sévit depuis 2014 dans le Donbass, à l’est du pays, a contribué à affaiblir l’économie, en crise. Très endetté, l’État a considérablement réduit les soutiens à l’agriculture. De 530 millions de dollars en 2014, les fonds destinés à la politique agricole et alimentaire sont passés à 40 millions en 2016. Les avantages fiscaux dont bénéficiaient les exploitations agricoles se sont également réduits : l’impôt unique fixe fondé sur la valeur du foncier agricole qui prévalait depuis 1998 ne se substitue plus qu’à trois taxes (impôts sur les bénéfices, taxe foncière, redevance sur l’eau). Les agriculteurs sont sinon soumis aux mêmes contraintes que les autres entreprises. Selon les calculs de l’OCDE (voir graphique), les soutiens publics à la production sont même négatifs de 9 % par rapport à la valeur des recettes agricoles brutes. « Les contraintes directes et indirectes liées à la réglementation génèrent plus d’inconvénients que ce que l’État peut amener en contrepartie comme soutiens directs, décrit Nicolas Perrin, conseiller agricole de l’ambassade de France à Kiev. Les procédures administratives et la corruption sont autant de coûts négatifs pour les entreprises. Cela signifie que quand on est agriculteur en Ukraine, on est plutôt face à des vents contraires… »

Retour à un vrai budget agricole pour 2018

Ces vents peuvent-ils tourner ? Pourquoi pas : l’économie ukrainienne sort peu à peu du rouge, les instances internationales comme le FMI exigent des réformes. Enfin, le gouvernement a bien conscience du poids économique de l’agriculture : le secteur emploie près de 15 % de la population, il représentait encore en 2015 14 % du produit intérieur brut et 40 à 45 % des exportations du pays. Fin 2017, l’État a donc adopté un budget agricole de 6,3 milliards de hrivnias, soit l’équivalent de 200 millions d’euros. Il est surtout destiné à des aides directes aux exploitants. Davantage tourné vers les élevages, le programme vise également les exploitations en cultures. Pas loin d’un milliard de hrivnias est par exemple prévu pour l’achat de machines agricoles de fabrication nationale, financées à hauteur de 25 % de leur coût. Une enveloppe est également consacrée à l’achat des semences et plants de sélection ukrainienne, remboursées à 80 % du prix d’achat. Limitée à 500 millions de hrivnias, une autre vise à compenser partiellement le coût des crédits par un remboursement mensuel de 25 % des dépenses liées au prêt. Ce n’est qu’une première étape. Selon l’OCDE, la loi sur le soutien à l’agriculture prévoit pour la période 2017-2021 une remontée des soutiens aux producteurs à hauteur de 1 % de la valeur de la production agricole.

Le développement des fermes de taille moyenne en ligne de mire

Pour Nicolas Perrin, l’État affiche pour la première fois une vraie stratégie agricole : encourager le développement des fermes moyennes, sous statut fermier. « Ces petites exploitations essaient de développer leur activité, mais elles n’ont pas de ressources pour se moderniser, remplacer le vieux tracteur des kolkhozes, par exemple, souligne le conseiller. L’objectif pour l’État est de professionnaliser cette agriculture qui occupe le territoire. » En moyenne de 100 hectares, ces exploitations peuvent couvrir jusqu’à 2000 hectares et fonctionnent un peu à la française. Elles représentent à peu près 40 % des exploitations. Dans le budget des aides 2018, un milliard de hrivnias de subventions directes (achats de semences et matériel d’origine ukrainienne ou aides au crédit) leurs sont réservés. Est prévue également une compensation partielle des services de conseil, un signe concret d’encouragement au changement. L’objectif est de voir ces exploitations participer au développement d’une industrie de la transformation locale et à l’augmentation de la valeur ajoutée.

Des grandes structures qui vont chercher à défendre leurs intérêts

La question est de savoir si ce nouveau programme d’aides va ou non parvenir à ses fins. Pour pouvoir en profiter, l’État exige des agriculteurs des formalités administratives, l’ouverture de comptes en banque… ce qui n’a rien d’évident encore aujourd’hui pour ces fermes traditionnelles. « Il y a une grande crainte de voir ces aides destinées aux petites et moyennes exploitations captées par les grandes structures », indique Nicolas Perrin. Cette nouvelle politique prend en tout cas le relais d’un système qui était particulièrement favorable à ces dernières : le remboursement de TVA. Les exploitations agricoles bénéficiaient de cette exception fiscale depuis 1992. Sur une période donnée, celles-ci pouvaient garder sur un compte spécial 50 % de ce qu’elles devaient à l’État en matière de TVA et le réinvestir plus tard dans des moyens de production. En 2016, ce soutien a représenté une enveloppe d’1,2 milliard de dollars selon les calculs de l’USDA (département américain de l’agriculture) mais il a été totalement arrêté au 1er janvier 2017, conformément à la demande des instances internationales telles que l’OMC ou la banque mondiale. Les temps changent. Toutefois, comme le souligne Nicolas Perrin, « la classe dirigeante est issue des agroholdings ». Pour preuve, l’actuel président Petro Porochenko détient avec son frère Oleksiy une société qui exploite 122 000 hectares et dont les actifs agricoles sont évalués à 600 millions de dollars… Les intérêts des fermes moyennes resteront difficiles à défendre dans un Parlement où personne ne les représente aujourd’hui.

Un marché des terres toujours inexistant

Introduit en 2001, le moratoire sur la vente de terres agricoles est sans cesse reconduit. Depuis la distribution en 1999 des païs (petites parcelles de quelques ares à quelques hectares) aux 7 millions de ruraux qui travaillaient dans les fermes d’État, le marché du foncier n’est que locatif. Construit sur les décombres de l’ère soviétique, il permet à ceux qui le peuvent de louer assez facilement des lots de quelque milliers d’hectares, correspondant peu ou prou aux anciens kolkhozes. Plutôt pratique pour les agroholdings, cette situation défavorise probablement l’agrandissement des fermes de taille moyenne, chères au gouvernement. Mais dans les campagnes, la propagande va bon train contre une ouverture du marché, qui pourrait faire la part trop belle aux oligarques et investisseurs internationaux… Souhaitée par le FMI, notamment, la libéralisation du marché des terres aura-t-elle lieu après les élections présidentielles de mars 2019 ? Pour certains spécialistes, c'est la prochaine échéance à regarder. 

Difficultés logistiques

Faute de budget, l’État a délaissé la logistique. C’est l’un des points noirs de l’agriculture ukrainienne, souligné entre autres dans un récent rapport du journal ukrainien des affaires. Les écluses qui longent le Dniepr ont ainsi besoin de gros travaux de rénovation. Selon les données de l’association ukrainienne des grains, seuls 5 % des grains exportés transiteraient aujourd’hui par voie fluviale. L’Ukraine a obtenu des moyens de ses partenaires internationaux (Banque européenne d’investissement par exemple) pour faire de la rénovation. Mais il s’agit de travaux au long cours. Géré à plus de 80 % par la compagnie publique, le fret ferroviaire est lui aussi mal en point : manque de locomotives, vétusté des wagons, mauvaise utilisation du matériel roulant…. A priori, un plan d’investissement d’1 milliard de dollars a été approuvé en avril. À surveiller.

Ces agroholdings qui sont bien plus que des fermes

Qu’on se le dise, une agroholding ukrainienne n’est pas une ferme. Dotée de plusieurs milliers d’hectares très souvent repris des anciens kolkhozes, elle comprend des infrastructures de stockage, du transport, de la transformation voire de la commercialisation. Le plus grand opérateur ukrainien sur le marché des huiles végétales, le groupe Kernel, en est une. Son propriétaire, Andriy Verevskyi, exploite 390 000 hectares, contrôle neuf usines de trituration en Ukraine et la commercialisation de ses produits, jusqu’en Chine aujourd’hui. Autre exemple : la société Nibulon, géant ukrainien des grains, détenue par Oleksiy Vadaturskyi, exploite 82 500 hectares, mais gère aussi sa logistique et sa commercialisation. Avec l’aide d’organisations internationales (la Banque mondiale notamment), elle a récemment investi dans quatre terminaux de transbordement, des silos de stockage et des barges de transport pour mieux travailler sur le Dniepr. Très diverses dans leurs tailles ou leurs modes de fonctionnement, les agroholdings ont en commun de vouloir maîtriser la production agricole. Et leurs propriétaires ont souvent des réseaux d’influence efficaces.

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