Intercultures
S’orienter dans la jungle des couverts végétaux
Des dizaines d’espèces et de mélanges au choix, une diversité
dans les techniques de semis, une réglementation modifiée.
La mise en place d’un couvert végétal en interculture engendre de nombreuses questions. D’autant que le contexte local pèse beaucoup sur les décisions.
Nouveau programme de la directive Nitrates oblige, les couverts végétaux en interculture vont se développer de façon conséquente dès la prochaine campagne. Les agriculteurs ont à disposition une gamme très large d’espèces végétales pour le choix du couvert. La moutarde blanche domine largement dans les implantations, mais les légumineuses semblent promises à un bel avenir. Ces dernières apportent de l’azote à la culture suivante.
PAS SEULEMENT PIÈGE À NITRATES
Avec la hausse du prix des engrais azotés, c’est toujours ça de pris.Mais n’oublions pas que les légumineuses sont également capables de piéger de l’azote. Les couverts végétaux sont souvent présentés comme une culture intermédiaire piège à nitrates (Cipan). Pourtant, leur rôle ne se résume pas à cette fonction bénéfique pour l’environnement. Ils contribuent également à limiter les risques d’érosion, à restructurer un sol avant une culture, à apporter de la matière organique, à concurrencer le développement de certaines adventices… Pour certaines compositions à base de graminées notamment, ils sont même utilisables comme fourrage pour les éleveurs. Le choix de l’espèce végétale ou du mélange fait intervenir de multiples critères, y compris la rotation culturale.
LE POIDS DE L’EXPÉRIENCE
Le développement des couverts végétaux introduit de nouvelles pratiques, notamment sur les semis. Aussi bien les instituts techniques que les agriculteurs euxmêmes testent diverses techniques avec l’objectif d’optimiser le temps consacré tout en assurant une qualité de semis permettant une bonne levée des plantes. À voir les témoignages présentés dans ce dossier, les techniques sont aussi diverses que les utilisateurs. L’expérience va beaucoup compter dans la réussite des couverts.
DIRECTIVE NITRATES
Les règles de couverture hivernale tardent à se dessiner. Dans les départements, les arrêtés préfectoraux définissant les règles du quatrième programme de la directive Nitrates ne seront pas pris avant fin juin, pour des implantations dans la foulée des récoltes.
En zones vulnérables, l’objectif est d’arriver à 100 % de couverture hivernale en 2012. « Cela pourrait conduire à l’abandon de cultures de printemps au profit de cultures d’hiver plutôt qu’à la mise en place de cultures intermédiaires, craint Henri Frémont, à la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire, alors que l’on pousse à l’allongement des rotations dans notre région où le système colza/blé/orge domine. »
Les légumineuses auront leur place dans le choix des espèces. Mais dans la plupart des cas, elles ne seront autorisées qu’en mélange, le plus souvent avec une graminée. Des départements s’orientent vers la rédaction de listes de couverts végétaux autorisés, d’autres non.Dans ce dernier cas, l’implantation d’une légumineuse seule en interculture ne serait pas proscrite.
Les repousses de céréales sont un autre point âprement discuté : elles ne seront pas retenues comme couvert végétal en interculture dans la majorité des département alors que celles de colza le sont. « Mieux vaut une bonne repousse qu’une mauvaise Cipan, juge pourtant Corinne Revest, responsable du service agronomie et environnement à la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle. Mais il faut suffisamment de repousses et une répartition homogène pour qu’elles remplissent leur rôle de couvert végétal. Et attention aux problèmes de contrôle de ces graminées par la suite… » La Meurthe-et-Moselle ne prévoit pas d’intégrer les repousses de céréales comme couvert végétal en hiver alors que les autres départements de Lorraine pourraient les autoriser…
Les situations de sols très argileux devraient bénéficier de dérogations pour ne pas avoir à implanter des cultures intermédiaires. « L’obligation d’attendre novembre pour détruire le couvert végétal pose problème. C’est trop tard pour intervenir dans des sols argileux sans risquer de les tasser fortement », explique Mathieu Albella à la chambre d’agriculture du Gers, un département où les deux tiers des sols présentent plus de 25 % d’argile.Quant au maïs, une culture intermédiaire serait obligatoire après un maïs ensilage, et un mulch serait suffisant après maïs grain… Difficile de s’y retrouver !
CINQ EXPERIENCES D'AGRICULTEURS
Des agriculteurs implantent les cultures intermédiaires par obligation, d’autres par choix. Au final, tous y trouvent de sérieux atouts : restructuration du sol dans une logique de non labour, piégeage de l’azote, absence de sol nu en hiver… Quelles que soient les motivations de départ, le choix des espèces se raisonne à la rotation.
Éric Despres, polyculteuréleveur à Plénée-Jugon, dans les Côtes-d’Armor.
« Une partie des couverts est utilisée en fourrage »
« Début 2007, le plafond d’azote épandable est passé dans notre secteur de 210 à 140 unités d’azote total et 160 unités pour moi qui suis éleveur laitier. Ajoutons à cela l’envolée des prix des matières premières et l’on comprend bien l’importance d’implanter des cultures intermédiaires. L’idée est de fixer un maximum d’azote pour le restituer à la culture suivante et donc, faire des économies sur le poste engrais. Perçue au départ comme une contrainte, je me suis vite aperçu que la présence des couverts rendait le travail du sol plus facile, surtout dans les premiers centimètres de l’horizon. C’est un atout important à l’heure où je pense tester le non labour sur maïs. Cette année, 18 des 50 hectares que compte l’exploitation ont été recouverts de moutarde, 10 hectares par de la vesce associée à de l’avoine et 8 hectares par du trèfle blanc mélangé à du ray-grass d’Italie. Cette dernière option me permet de réaliser trois pâtures : une à l’automne, une en février et une en avril. L’an prochain, je compte tester un mélange phacélie, trèfle et crucifère pour profiter au mieux des atouts de chaque espèce. »
Vincent Guyot, agriculteur à Étaves et Bocquiaux (Aisne).
« Avec la moutarde, je mise sur la simplicité et l’efficacité »
« La pratique la plus courante que je retiens est une moutarde avant betterave pour limiter la pression de nématodes. J’ai abandonné le radis pour des questions de coût, d’implantation et de destruction. Pour l’interculture courte, entre deux blés, je me suis aperçu que je me compliquais la vie pour des résultats peu probants : mêmes reliquats sortie hiver avec ou sans moutarde et pas plus de rendement. Détruite trop tôt (début octobre), la moutarde relargue avant l’hiver tout l’azote qu’elle a piégé. Aujourd’hui, 25 à 40 des 130 hectares cultivés sont couverts. À l’heure où les prix de la tonne de betterave et du quintal de blé ne sont pas très réjouissants, je mise sur la simplicité et l’efficacité avec 100% de moutarde. Implantée autour du 10 septembre, je la détruis dès le 15 novembre au glyphosate. Au-delà, les plantes se lignifient et se décomposentmoins bien. Durant l’hiver, je passe un coup de canadien sur sol gelé pour mélanger les tiges au premier horizon du sol et favoriser ainsi leur décomposition. À terme, j’aimerais opter pour une destruction non chimique, histoire de réduire les coûts. »
Philippe Pastoureau, éleveur laitier et 75 hectares de cultures dans la Sarthe.
« Des mélanges avec un maximum de biodiversité »
« Je sème de plus en plus des couverts « biomax » (mélanges d’espèces avec le maximum de biodiversité). L’objectif est de remettre de la vie dans le sol et d’avoir 40% de la surface couverte au moment du semis (sans labour). Nous essayons de travailler avec des couverts gélifs ou qui peuvent être détruits avec un rolo-faca sur un gel léger. On cherche aussi à faire plutôt des crucifères avant une culture de graminées et inversement pour pouvoir gérer le couvert dans la culture avec les herbicides. Sur les intercultures courtes, je mets des crucifères parce qu’elles démarrent vite et ont quasiment fait leur cycle en 60-70 jours. J’essaie de rajouter un peu de légumineuses, comme le pois fourrager ou la vesce. Avant les cultures de printemps, c’est plutôt de l’avoine brésilienne ou du seigle, du tournesol, du radis et de la féverole par exemple. Le radis fait son cycle avant l’hiver tandis que la graminée reste jusqu’au printemps. Nous produisons nous-mêmes les semences de graminées, féverole, pois fourrager, radis, tournesol et on achète juste la phacélie, la moutarde et les trèfles. Cela nous revient à 20-25 euros par hectare. »
Boris Boudeau, agriculteur à Saint- Germain-de-Prinçay en Vendée.
« Une préférence pour la phacélie »
« Ce n’est pas en remplissant des papiers que les problèmes de pollution vont se résoudre. Ici, l’exploitation est non seulement classée en zone vulnérable mais aussi en zone à action complémentaire (ZAC). Du coup, l’implantation de cultures intermédiaires est obligatoire. Cela fait dix ans que les couverts font partie de mon assolement : dans le but de diminuer la pollution bien sûr mais aussi et surtout pour améliorer la structure des sols. Après avoir étudié plusieurs espèces (nyger, moutarde, radis…), j’avoue préférer la phacélie pour son impact sur la structure des 15 premiers centimètres du sol. De plus, sa famille végétale (hydrophyllacées) diffère de celle des cultures de ma rotation. Je la sème au 15 août et la détruis mi-janvier avec du glyphosate que je compte bien remplacer par du 2,4 D désormais autorisé. J’ai testé le roulage mais l’impact sur la faune sauvage fut catastrophique. Si c’était à refaire, j’utiliserais des barres d’effarouchage pour éloigner le gibier. À terme, j’aimerais introduire une légumineuse (féverole ou pois) en mélange, pour donner un coup de pouce au couvert au démarrage. Trouver une solution pour l’interculture courte, entre deux blés, fait aussi partie de mes objectifs afin de répondre à la problématique azote. »
Jean-Claude Lajous, agriculteur à Esparron en Haute-Garonne.
« Ne pas dépasser 20 euros par hectare »
« Le semis direct, je m’y suis converti en 1997. Les cultures intermédiaires sont arrivées progressivement. Depuis cinq ans, elles sont systématiques. Mon objectif n’est pas de piéger l’azote mais bien d’activer la microbiologie du sol. Soja alimentaire, blé, avoine, tournesol et féverole composent les 110 hectares de l’exploitation. En hiver, tous les sols sont couverts, répartis entre l’avoine, la féverole et un mélange de phacélie et de moutarde. Le choix de l’espèce se fait aussi en fonction du prix de la semence, l’objectif étant de ne pas dépasser 20 euros/hectare. Et puis il faut des plantes faciles à détruire car je ne dépasse pas 2,5 litres/hectare d’utilisation de glyphosate par an. Pour la féverole, j’utilise le Horsh fraise, afin de me passer de traitement chimique. Dans notre zone, les étés sont secs et cela pose parfois des difficultés pour réussir l’implantation des couverts juste après moisson : dans ce cas, je décale à début septembre. La destruction a lieu en janvier ou février, ce qui dégage le sol de toute végétation et lui laisse le temps de se réchauffer avant les semis de printemps. »
Delphine Nicolas