CAMPAGNE CONTRE VILLE
Reprendre l’initiative sur le foncier
Chaque année, plus de 60 000 hectares de terres agricoles disparaissent au profit de l’urbanisation. Difficile de lutter car les prises de décision sur le foncier sont diffuses et parfois contradictoires. La seule solution est de garder la main sur les dossiers, notamment au niveau municipal. À chacun de faire prendre conscience à ses élus que la terre agricole n’est pas seulement une réserve à disposition des villes.
Pour bon nombre d’agriculteurs, l’artificialisation des terres agricoles est vécu comme le passage d’un rouleau-compresseur qu’il est impossible de stopper. Pourtant, le monde agricole tire la sonnette d’alarme depuis de nombreuses années. Des outils législatifs existent pour limiter la perte de terres agricoles, encore fautil les connaître et les mettre en oeuvre. Pour cela, il faudrait une volonté politique cohérente des élus municipaux, départementaux, régionaux, voire nationaux qui, tous à leur niveau, peuvent intervenir sur l’affectation du foncier.Or, les collectivités entrent en concurrence les unes avec les autres pour favoriser l’emploi et toucher des taxes professionnelles, sans porter une grande attention à l’activité agricole et l’espace naturel. Les emprises foncières nécessaires à l’urbanisation sont dégagées, quitte à modifier les documents d’urbanisme.
PERTE DE 61 000 HECTARES PAR AN
Les Français sont de plus en plus gourmands en espace. « Chaque habitant consomme 4 m2 de plus par an et les surfaces urbanisées augmentent beaucoup plus que la population française. Entre 1992 et 2003, les surfaces liées à l’habitat ont progressé de 24 % alors que la population a augmenté de 5 % », souligne Robert Lévesque, directeur de Terres d’Europe Scafr, société de conseil pour l’aménagement du foncier rural. Ainsi, 61000 hectares de terres sont urbanisés chaque année dont 35000 hectares sont imperméabilisées (recouvertes de béton, de bitume ou compactées). « Pour chaque mètre carré construit, on imperméabilise trois fois plus de surface, ce qui est considérable », poursuit le spécialiste. Sur les 61 000 hectares, 7 000 sont destinés à des jardins composés (partiellement recouverts de pelouses, le reste étant imperméabilisé) et 19000 sont transformés en pelouses autour des résidences privées. « L’étalement urbain s’explique en partie par la montée d’une classe moyenne importante depuis le début des années 80, dont les moyens financiers et les aspirations à un meilleur bien-être font éclater le cadre urbain de la période précédente », explique Marc Sauvez, urbaniste.
LES RURAUX SONT AUSSI RESPONSABLES
Pour autant, l’artificialisation des terres n’est pas seulement un problème des villes. Les surfaces artificialisées (bâtiments, serres, sols revêtus ou stabilisés) au profit de l’agriculture atteignent 722000 hectares, soit 21 % des surfaces artificialisées nationales, et les pelouses des exploitations agricoles couvrent 96 000 hectares soit 6 % de l’ensemble national pour une population qui ne représente que 4 % de l’ensemble. En France, sur les 55 millions d’hectares du territoire français, l’activité agricole s’exerce sur 30 millions d’hectares, soit 55 % du territoire. Les sols urbanisés couvrent près de 10 % du territoire, avec 5 millions d’hectares dont 3,4 sont artificialisées et 1,6 sont recouverts de pelouses.
HARO SUR LES MEILLEURES TERRES
« Si l’on poursuit le rythme actuel, la France aura besoin de 2,2 millions d’hectares urbanisés de plus d’ici 2050 », s’inquiète le spécialiste de l’aménagement foncier. « Du fait de la localisation originelle des villes dans les plaines et les vallées, l’accélération de l’urbanisation conduit à faire prioritairement disparaître les meilleures terres agricoles et conduit au renforcement de l’habitat diffus, notamment dans l’Ouest et le Sud de la France. Le patrimoine de la France qui comptait 12 millions d’hectares de bonnes terres est tombé à 9 millions et pourrait bientôt se réduire à 7 millions. » À quand une prise de conscience collective ? Dans l’attente, l’agriculture doit jouer ses meilleurs atouts en utilisant les outils législatifs à sa disposition.
Avis d'expert : Robert Lévesque, directeur de Terres d’Europe Scafr.