Prix des céréales : sécuriser sa trésorerie face à la volatilité
Depuis la récolte 2023, les cours des céréales sont orientés à la baisse. Pour prendre les meilleures décisions et faire face à ses besoins de trésorerie, il est nécessaire de connaître les chiffres de son exploitation et d’adopter une stratégie de vente sécurisée.
Depuis la récolte 2023, les cours des céréales sont orientés à la baisse. Pour prendre les meilleures décisions et faire face à ses besoins de trésorerie, il est nécessaire de connaître les chiffres de son exploitation et d’adopter une stratégie de vente sécurisée.
Pour les producteurs de grandes cultures, l’heure est à l’inquiétude. Les cours des céréales poursuivent leur baisse depuis deux ans pour retrouver les niveaux de fin 2020-début 2021 aux alentours de 200 euros la tonne (€/t) actuellement. En 2023, l’essentiel de la baisse est survenu après la récolte avec des intrants achetés moins cher qu’en 2022, mais qui étaient encore à des niveaux élevés.
Les charges opérationnelles des exploitations ne redescendent malheureusement pas dans les mêmes proportions que le prix des céréales. « En 2021, les coûts de production se situaient aux alentours de 160 €/t, se souvient Sylvain Jessionesse, fondateur de Piloter sa ferme. Après les sommets atteints en 2023 autour de 230-250 €/t, on devrait se situer à 200-210 €/t en 2024. »
Bien connaître les chiffres de son exploitation
Ce contexte va nécessiter un pilotage fin de sa trésorerie en fonction de sa date de clôture d’exercice et des céréales qu’il reste à vendre. Certaines trésoreries sont mises à mal, car les approvisionnements pour 2024 ont déjà été effectués et les échéances de prélèvements MSA et impôts après les bons résultats de 2022 tombent au plus mauvais moment. « C’est surtout pour les clôtures au 31 décembre que cela peut être compliqué, car il faut gérer le décalage entre les achats de début de campagne et le paiement des récoltes sur l’exercice suivant, avance Pierre-Antoine Foreau, fondateur de Cereapro, société de négoce agricole qui collecte 500 000 tonnes de céréales par an en départ ferme auprès de 5 000 clients agriculteurs. Il va être nécessaire de valoriser rapidement les grains encore en stock pour répondre aux besoins de trésorerie. » « Celui qui n’a pas engagé suffisamment sa récolte et qui a besoin de trésorerie va être contraint de vendre en dessous de son prix d’équilibre », note Thomas Rigault, expert PME Agri chez Cogedis. C’est pourquoi il conseille d’avoir une bonne connaissance de sa situation personnelle, notamment son prix d’équilibre et une idée de son budget de trésorerie sur une année pour prévenir ces situations.
Parmi les leviers, les négoces et les coopératives peuvent accorder des avances de trésorerie et des décalages de paiements pour les approvisionnements. Les prêts à court terme et fonds de roulement peuvent aussi être mobilisés, mais ils sont actuellement pénalisés par les taux d’intérêt élevés. « Les choix sont à adapter en fonction des situations, mais il faut profiter de tous les événements de l’entreprise, comme l’installation ou l’investissement, pour avoir un bon niveau de fonds de roulement, en cohérence avec ses besoins », avance-t-il. Les prêts à court terme peuvent être utilisés dans certains cas, notamment quand les ventes et les besoins de trésorerie tombent toujours au même moment, par exemple pour les agriculteurs payés en prix d’acompte. « Il y a donc deux stratégies envisageables : avoir une réserve de trésorerie suffisante pour pouvoir décaler des ventes sur plusieurs mois, ou faire appel à des emprunts à court terme si les ventes sont à date régulière », propose Thomas Rigault.
C’est peut-être aussi le moment d’actionner les outils de sécurisation tels que la déduction pour épargne de précaution (DEP) ou encore de renégocier ses lignes de crédits (allongement de durée, année blanche…), quand cela est possible.
Répartir le risque en étalant la vente de la récolte
Dans ce contexte, le marché est en retard : les stocks de céréales sont plus importants qu’à l’accoutumée à cette date. FranceAgrimMer estime qu’au 1er janvier 2024, les stocks chez les collecteurs étaient 20 % plus élevés que la moyenne des dernières années. La partie stocks en dépôt des agriculteurs est même 52 % plus élevée que la moyenne quinquennale. Certains ont en effet attendu pour vendre leur récolte dans l’espoir d’une remontée des cours. Mal leur en a pris. « À l’heure où on se parle, les prix du blé ne permettent pas de couvrir les charges, on est dans l’effet ciseau », avance Pierre-Antoine Foreau. « L’agriculteur qui a vendu avant la récolte pouvait espérer 50 € de marge à la tonne, la même récolte vendue quelques mois plus tard, c’est une perte de 70 €/t, alors que les niveaux de charges sont connus depuis début 2023 », déplore Sylvain Jessionesse.
Les niveaux de prix exceptionnels après le déclenchement de la guerre en Ukraine ne peuvent pas servir de référence pour élaborer sa stratégie de vente. « La sécurisation du risque passe par une stabilité de la stratégie, considère Pierre-Antoine Foreau. Cela ne se fait pas sur un an, car ce qui a marché une année ne marchera pas forcément l’année suivante, c’est pourquoi la répartition du risque passe par l’échelonnement de la vente de la récolte avant et après celle-ci, tout en restant raisonnable par rapport à l’inconnue du rendement final. »
Au final, très peu d’agriculteurs ont pu bénéficier des prix à 300 €/t de début 2023, bien avant la récolte. La situation est différente de celle de 2022 où la baisse des prix est survenue en cours de campagne et où la plupart des céréaliers ont pu en profiter. « Il est logique de souhaiter vendre au meilleur moment et de chercher la meilleure rentabilité, considère Thomas Rigault. Mais il semble également important d’assurer au moins une partie des ventes à un prix qui permette de rembourser les charges, pour ne pas mettre en péril la trésorerie et la rentabilité de l’exploitation. »