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Phytos : des agriculteurs traitent leur eau pour réduire les doses de produits

Traiter l’eau de pulvérisation pour gagner en efficacité et réduire la dose de produit : telle est la promesse des fabricants de ces systèmes. Des agriculteurs utilisateurs affirment réduire la dose préconisée de 20, 30 voire 50 % grâce à ce procédé.

Les systèmes de traitement de l'eau, comme Aqua Phyto, utilisé par Etienne Lescroart, visent à optimiser le pH de l'eau pour accroître l'efficacité des traitements. © E. Lescroart
Les systèmes de traitement de l'eau, comme Aqua Phyto, utilisé par Etienne Lescroart, visent à optimiser le pH de l'eau pour accroître l'efficacité des traitements.
© E. Lescroart

Des agriculteurs ont choisi d’investir dans des systèmes de traitement de l’eau dans le but de réduire les doses de phytos et de faire des économies. Le principe de cette technique ? Modifier l’acidité ou la dureté de l’eau pour accroître l’efficacité des produits.

Exploitant dans le Calvados, Étienne Lescroart utilise le procédé de la société Aqua Phyto pour le traitement de l’eau. Depuis ses semis d’automne 2019, il teste la filtration de l’eau sur l’ensemble de sa surface. « Je peux choisir de corriger ensuite le dosage du pH de mon eau déminéralisée en fonction des produits. Seules les spécialités non génériques sont préconisées pour des questions de formulation. Les associations de produits sont possibles à condition qu’ils soient compatibles en termes de pH », souligne l’agriculteur normand.

Simple d’utilisation, la machine Aqua Phyto nécessite cependant d’anticiper la préparation des traitements. « La température optimale de l’eau est de 23 °C. L’eau nécessite donc d’être réchauffée et cela peut parfois prendre du temps mais c’est nécessaire pour homogénéiser le produit dans la cuve », explique l’agriculteur.

Des doses de produit réduites de moitié

30 000 euros, c’est la somme investie par Étienne Lescroart. « 100 % de ma sole a été conduit avec ce procédé tous traitements confondus. J’ai réduit d’office mes doses de produit de 50 % par rapport à celles conseillées par mon technicien. C’est surtout sur le lin que j’ai fait des observations intéressantes. Je n’ai pas constaté de phytotoxicité suite à l’application des herbicides, ce qui est rarement le cas autrement. Pour l’efficacité des fongicides, je suis plus réservé car j’ai peu de recul et en plus, cette année, les cultures ont été plutôt saines. »

Agriculteur dans la Marne, Sébastien Robert utilise un autre système de traitement : une station conçue par la société Atiben. « La solution Aquatiben 3P (brevet français déposé à l’INP) me permet de réduire les doses de mes produits phytos tout en rendant le traitement efficace. Le principe est simple et rapide. Selon les produits que j’utilise, en mélange ou solo, j’ajoute quelques gouttes d’acide dans le système pour corriger le pH. Le nombre de gouttes correspond à un pH donné. Je ne mélange que des produits compatibles en termes de pH pour ne pas altérer leur efficacité. L’eau est instantanément corrigée et je peux remplir la cuve de mon pulvérisateur dans la foulée. » Pour connaître le pH idéal de l’eau optimisant l’efficacité du produit, il suffit de se référer aux fiches de données sécurité (FDS) de chacune de ces spécialités. Ces données sont également fournies par Aquatiben.

Un investissement rentabilisé grâce à l’économie sur les phytos

Selon les cultures, Sébastien Robert a réduit ses fongicides et ses herbicides de 20 % à 30 % par rapport à la dose conseillée. « Je fais des économies. En ce qui concerne les insecticides, j’ai réduit de 10 % par rapport à la dose préconisée par mon technicien de CETA. Je n’ose pas réduire davantage pour le moment. » Le coût de son l’installation s’élève à 25 000 euros. « J’ai une cuve de réserve de 30 000 litres. Je traite à 100 litres par hectare. J’ai donc de la souplesse dans mon organisation. Cet investissement est vite rentabilisé grâce à mes économies de phytos. »

Dominique et Éric Bonnevie, exploitants à Dommartin le Coq dans l’Aube, utilisent Aquatiben 3P pour la deuxième année. « Depuis l’an dernier, nous faisons des essais en bande dans les parcelles de betteraves. Nous avons comparé l’eau ordinaire et l’eau avec Aquatiben 3P. Toutes les doses d’interventions ont été réduites de 30 %. Nous observons moins de marquages dans la bande avec l’eau de la station Atiben. Nous attendons la récolte pour tirer davantage d’enseignements. Pour la récolte 2021, nous étudierons des modalités supplémentaires avec des variations de doses de produits plus larges. » Les frères Bonnevie sont encore réservés sur la gestion des graminées. « Pour le moment, nous maintenons la dose conseillée sur les graminées pour éviter l’apparition de résistance aux herbicides car le secteur est sensible. »

Prudence sur les résultats obtenus

Conseiller à la chambre d’agriculture du Loiret, Sylvain Deseau reste prudent. « L’expérimentation de ce genre de dispositif est délicate à mettre en place. Chez les utilisateurs, l’investissement dans une station s’accompagne souvent d’une remise à niveau des pratiques agronomiques. Les traitements sont réalisés dans des conditions optimales de température et d’hygrométrie. On s’interroge sur les résultats obtenus. Sont-ils liés aux conditions davantage maîtrisées lors de l’application des produits ou au traitement de l’eau qui rendrait plus efficaces les molécules ? »

Deux procédés de traitement différents

Le procédé Atiben agit sur la structure physico-chimique de l’eau et sa composition en captant les anions responsables de la séquestration des molécules des produits phytosanitaires. Le principe permet également d’acidifier le pH selon les préconisations des firmes.

Avec le système Aqua Phyto, l’eau est déminéralisée dans une bombonne en résine adaptée à la composition de l’eau de l’exploitation. Elle est ensuite stockée dans une cuve tampon pour être brassée puis chauffée jusqu’à 23 °C avant l’application au champ. Le pH peut être corrigé en fonction des produits utilisés.

Des experts circonspects sur l’intérêt du traitement de l’eau

« Le pH et la dureté de l’eau sont deux notions à ne pas confondre, explique Benjamin Perriot, ingénieur Techniques de pulvérisation chez Arvalis. Agir sur le pH consiste à acidifier ou à basifier l’eau alors que modifier la dureté de l’eau revient à réduire sa teneur en ions calcium et magnésium. »

Arvalis travaille sur le sujet du traitement de l’eau depuis 30 ans. « Les produits phytos homologués sont formulés pour ne pas avoir à modifier le pH, souligne l’expert. La ou les matières actives contenues dans le bidon sont associées à des coformulants dont le rôle est de tamponner le pH de la bouillie selon l’optimum d’efficacité. » En plus d’être dangereux pour l’utilisateur, l’ajout d’acide peut détruire certaines molécules. C’est le cas des sulfonylurées qui se dégradent en cas de pH faible.

Par rapport à la dureté de l’eau, les spécialités commerciales possèdent des émulgateurs ou des stabilisants qui rendent la bouille homogène et stable. Selon Ronan Vigouroux, responsable environnement à l’Union des industries de la protection des plantes, « la qualité et les propriétés chimiques de l’eau diffèrent selon que l’on utilise de l’eau provenant d’un puits, de la pluie ou du réseau. Elle peut influer sur l’efficacité du traitement phyto, mais ce n’est pas le paramètre principal. La réussite d’un traitement dépend de multiples facteurs : l’état de la culture au moment de l’application, les propriétés physico-chimiques du produit, les conditions météo… Il est difficile de mettre en place des essais pour mesurer un seul paramètre d’entre eux. »

 

 
© A. Contal
AVIS D’EXPLOITANT : Alexandre Contal, agriculteur à Tournan-en-Brie, en Seine-et-Marne

« on ne réduit pas forcément le nombre de passages mais on diminue la dose. »

« Cette année, j’ai traité environ 700 hectares de grandes cultures avec le système Aqua Phyto que j’utilise depuis 2009. J’ai réduit de 70 % la dose insecticide et de 60 % la dose herbicide par rapport aux doses conseillées par le technicien. Le plus important dans cette pratique, c’est de respecter les concentrations des matières actives en fonction du volume d’eau appliqué et de tenir compte des préconisations de la firme du produit phytosanitaire.

Avec Aqua Phyto, on ne réduit pas forcément le nombre de passages mais on diminue la dose du produit en fonction du volume d’eau. Je traite tout à 40 l/ha avec une utilisation de l’herbicide Fosburi à 0,35 l/ha (au lieu de la dose homologuée de 0,6 l/ha) ou du fongicide Épopée à 0,3 l/ha (au lieu de 1,5 l/ha) contre la septoriose. Cette année, j’ai fait une économie de 125 000 euros sur l’achat des produits phytosanitaires. Aqua Phyto est un bon outil complémentaire à l’agronomie pratiquée dans de bonnes conditions. »

686 hectares exploités dont 276 hectares de blé, 120 de colza, 94 de maïs, 68 d’orge d’hiver, 31 de féverole, 18 de betterave, 18 d’orge de printemps…

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